Le pouvoir de l’image dans les sociétés sinophones contemporaines

(English Version below)

Coordonné par Marie Laureillard (Université Paris Nanterre) & Fanny Paldacci (Université Lumière Lyon 2)

“Pictures, including world pictures, have always been with us, and there is no getting beyond pictures, much less world pictures, to a more authentic relationship with Being, with the Real, or with the World.”

(Mitchell, W. J. T., What Do Pictures Want? The Lives and Loves of Images. University of Chicago Press, 2005)

Dans les sociétés sinophones contemporaines, l’image dessinée, imprimée, affichée ou diffusée occupe une place centrale dans la construction des imaginaires collectifs, des récits identitaires et des dynamiques de pouvoir. L’image ne se contente pas de représenter : elle agit, performe, interpelle, subvertit parfois. Ce numéro propose d’interroger le pouvoir de l’image en contexte sinophone depuis une centaine d’années en s’appuyant sur divers types de supports : art contemporain, bandes dessinées, affiches politiques, dessins de presse, images de propagande, iconographie religieuse ou populaire, entre autres.

Autour du pouvoir de l’image s’articule une riche littérature qui résulte d’approches et de disciplines diverses. On pense au souci « socio-sémiotique » qui, dans les années 1990, pousse de nombreux théoriciens de l’image à en interroger la discursivité ainsi que la portée sociale. Pierre Fresnault-Deruelle analyse ainsi la rhétorique de documents visuels allant de la bande-dessinée à l’affiche électorale, au panneau publicitaire ou à l’iconographie religieuse, afin de mettre au jour les rapports entre icones et idéologies dans l’image fixe. À la même époque, l’historien David Freedberg travaille quant à lui à une socio-histoire des procédés de censure, à travers l’étude de la réception des images. Il part du postulat que « le contexte [en] conditionne la lecture ». Plus que d’étudier les processus selon lesquels les images nous parlent, l’historien s’intéresse plutôt aux façons dont une société donnée les fait parler. Au début des années 2000, le critique d’art William John Thomas Mitchell élabore pour sa part une interrogation psychanalytique et philosophique sur la place de l’image dans la construction du sujet. Citant Lacan, Freud et Deleuze, Mitchell identifie trois types de rapports fondamentaux à l’image (le totémisme, l’idôlatrie et le fétichisme), et s’appuie sur cette catégorisation des interactions humaines avec l’objet visuel pour proposer une lecture élargie du « lien symbiotique entre les images et le reste de la vie ». De l’analyse des signes à la théorie du sujet, en passant par la socio-histoire de l’obscène et de l’iconoclasme, le pouvoir de l’image suscite des interrogations dans une pluralité de disciplines.

Prenant cette notion pour thème central, ce dossier souhaite ainsi encourager des approches croisées empruntant à l’histoire de l’art, aux études visuelles, à l’anthropologie, aux études chinoises, à la théorie politique ou encore à la sémiotique. Les propositions pourront explorer, dans les espaces sinophones, les multiples registres de l’image : l’image comme vecteur de pouvoir, dans ses fonctions de légitimation, d’endoctrinement ou de résistance, en contexte contemporain ; l’image comme agent performatif, qui engage des affects, des croyances ou des comportements et participe à la construction du réel ; l’image comme support d’un imaginaire collectif, qu’il soit nationaliste, diasporique, révolutionnaire ou utopique ; l’image comme mémoire ou archive, susceptible de faire apparaître ou disparaître certains récits de l’histoire ; l’image comme terrain d’expérimentation esthétique, notamment dans les pratiques visuelles contemporaines (arts plastiques, installations, arts numériques, fanzines, etc.) qui interrogent les formes de visibilité, de censure ou de dissidence.

Au nombre des approches qui abordent le phénomène culturel dans leur contexte, on pourra se référer aux travaux de Chang-tai Hung qui, tout en étudiant la culture visuelle du régime qui s’établit en Chine à partir de 1949, met au jour les particularités du régime culturel centralisé qui prend forme sous l’action du PCC. On pense aussi aux contributions de Wu Hung lorsque, à l’intersection de l’histoire de l’art, de l’histoire chinoise moderne et des études culturelles, celui-ci propose une lecture de l’architecture et des images de la place Tiananmen comme signes performatifs de l’utopie communiste. Enfin, les travaux les plus récent de Zhou Xian ; qui s’intéresse aux façons dont les technologies visuelles informent la vie quotidienne, de l'influence de la télévision sur les coutumes traditionnelles à l'essor des pratiques culturelles favorisées par l’usage d’Internet, témoignent d’une démarche qui tout, en continuant à interroger le sens des images, nous parle des enjeux et des tensions qui traversent la société chinoise contemporaine.

Les contributions pourront porter sur des objets issus de la Chine continentale, de Taïwan, de Hong Kong, de Macao ou des diasporas sinophones. Nous espérons ainsi mettre en perspective les spécificités selon lesquelles l’image et son interprétation s’inscrivent dans chaque société étudiée.

Quelques pistes de réflexion :

Comment l’image prend-elle part à l’édification des récits officiels ou alternatifs dans la Chine contemporaine ?
Quelles sont les stratégies visuelles du pouvoir (ou de sa contestation) dans les productions graphiques ?
Comment les artistes sinophones contemporains mobilisent-ils l’image pour redéfinir les frontières culturelles ou politiques ?
Quelle place occupe l’image dans la mémoire visuelle des révolutions, des catastrophes ou des utopies sociales en contexte sinophone ?
Quelles sont les modalités d’agentivité prêtées aux images dans les cultures sinophones (puissance sacrée, performativité politique, pouvoir émotionnel...) ?

Repères bibliographiques :

Andrews, Julia F. & Shen, Kuiyi, The Art of Modern China. University of California Press, 2012.
Descola, Philippe, Les Formes du visible. Une anthropologie de la figuration. Points, 2023.

Evans, Harriet & Donald, Stephanie (dir.), Pictures of Power: Propaganda Posters in Revolutionary China. Rowman & Littlefield, 1999.

Freedberg, David, The Power of Images: Studies in the History and Theory of Response. University of Chicago Press, 1989.

Fresnault-Deruelle, Pierre, L’éloquence des images. PUF, 1993.

Gladston, Paul, et al. (dir.), Visual Culture Wars at the Borders of Contemporary China: Art, Design, Film, New Media. Springer, 2021.

Hung, Chang-tai, Mao’s New World: Political Culture in the Early People's Republic. Cornell University Press, 2007.

Huyghe, René, Les puissances de l’image. Flammarion, 1992.

Kikuchi, Yuko (dir.), Refracted Modernity: Visual Culture and Identity in Colonial Taiwan. University of Hawai’i Press, 2007.

Lent, John A., Asian Comics. University Press of Mississippi, 2015.

Lent, John A., Illustrating Asia: Comics, Humor Magazines, and Picture Books. University of Hawaii Press, 2001.

McIntyre, Sophie, Imagining Taiwan: The Role of Art in Taiwan’s Quest for Identity (1987–2010). Brill, 2018.

Mitchell, W. J. T., What Do Pictures Want? The Lives and Loves of Images. University of Chicago Press, 2005.

Pang, Tina, Hong Kong Visual Culture: The M+ Guide. Thames 1 Hudson Ltd, 2021.

Poplin, Justine, Memes, Myth and Meaning in 21st Century Chinese Visual Culture. Palgrave Macmillan, 2023.

Tang, Xiaobing, Visual Culture in Contemporary China: Paradigms and Shifts. Cambridge University Press, 2015.

Wang, Ban, The Sublime Figure of History: Aesthetics and Politics in Twentieth-Century China. Stanford University Press, 1997.

Wu, Hung, Remaking Beijing: Tiananmen Square and the Creation of a Political Space. University of Chicago Press, 2005.

Wu, Hung (dir.), Between Past and Future: New Photography and Video from China. Smart Museum of Art & David and Alfred Smart Gallery, 2004.

Zhou, Xian, Visual Culture in Contemporary China II. Routledge, 2025.

Soumission des articles

Les propositions, rédigées en français ou en anglais, devront comporter un titre, un résumé d’environ 500 mots et une courte notice bio-bibliographique de l’auteur. Elles seront à déposer avant le 30 septembre 2026 sur l’espace consacré du site des Cahiers de l’AFPC : https://cahiers-afpc.fr/appels-a-contribution/participer ou envoyées aux coordinatrices du numéro.

Les articles finalisés,rédigées en français ou en anglais, seront à déposer avant le 31 octobre 2026 sur l’espace consacré du site des Cahiers de l’AFPC : https://cahiers-afpc.fr/appels-a-contribution/participer ou envoyés aux coordinatrices du numéro.

Calendrier

Publication de l’appel : 15 septembre 2025

Date limite de soumission des résumés : 31 mai 2026

Date limite de soumission des articles finalisés : 30 septembre 2026

Publication du numéro : 1er mars 2027

Contacts

Coordination du numéro : Marie Laureillard (marie.laureillard@parisnanterre.fr) et Fanny Paldacci (fanny.paldacci@univ-lyon2.fr)

Les Cahiers de l’AFPC : afpc.cahiers@gmail.com

(English version)

The Power of the Image in Contemporary Sinophone Societies

Coordinated by Marie Laureillard (Université Paris Nanterre) & Fanny Paldacci (Université Lumière Lyon 2)

“Pictures, including world pictures, have always been with us, and there is no getting beyond pictures, much less world pictures, to a more authentic relationship with Being, with the Real, or with the World.”
(Mitchell, W. J. T., What Do Pictures Want? The Lives and Loves of Images. University of Chicago Press, 2005)

In contemporary Sinophone societies, the drawn, printed, displayed, or disseminated image plays a central role in shaping collective imaginaries, identity narratives, and power dynamics. Images do not merely represent: they act, perform, challenge, and sometimes subvert. This issue proposes to investigate the power of the image in Sinophone contexts over the past century, drawing on various media: contemporary art, comics, political posters, editorial cartoons, propaganda images, religious or popular iconography, among others.

The question of the power of images has generated a rich body of literature, stemming from diverse approaches and disciplines. In the 1990s, a “socio-semiotic” concern led many image theorists to interrogate the discursivity of images as well as their social reach. Pierre Fresnault-Deruelle thus analyzed the rhetoric of visual documents ranging from comic strips to electoral posters, advertisements, and religious iconography, in order to reveal the relationship between icons and ideologies in the fixed image. Around the same time, historian David Freedberg worked toward a socio-history of censorship through the study of image reception, on the premise that “context conditions interpretation.” Rather than studying the processes by which images speak to us, Freedberg focused on how a given society makes images speak. In the early 2000s, art critic W. J. T. Mitchell developed a psychoanalytic and philosophical inquiry into the role of images in the construction of the subject. Drawing on Lacan, Freud, and Deleuze, Mitchell identified three fundamental modes of relating to the image (totemism, idolatry, and fetishism). Using this categorization of human interactions with visual objects, he offered an expanded reading of the “symbiotic relationship between images and the rest of life.” From sign analysis to subject theory, and from the socio-history of the obscene to studies of iconoclasm, the power of images raises questions across a plurality of disciplines.

Taking this notion as its central theme, this issue aims to encourage cross-disciplinary approaches drawing on art history, visual studies, anthropology, Chinese studies, political theory, and semiotics. Proposals may explore, within Sinophone spaces, the multiple registers of the image: the image as a vector of power, functioning to legitimize, indoctrinate, or resist in contemporary contexts; the image as a performative agent, engaging affects, beliefs, and behaviors while participating in the construction of reality; the image as a support for collective imaginaries—nationalist, diasporic, revolutionary, or utopian; the image as memory or archive, capable of making certain historical narratives appear or disappear; and the image as a field of aesthetic experimentation, particularly in contemporary visual practices (fine arts, installations, digital arts, fanzines, etc.) that interrogate visibility, censorship, or dissent.

Among approaches that situate cultural phenomena in their context, one may cite the work of Chang-tai Hung, who, while studying the visual culture of the regime established in China after 1949, highlighted the particularities of the centralized cultural system shaped by the Chinese Communist Party. Wu Hung’s contributions, at the intersection of art history, modern Chinese history, and cultural studies, interpret the architecture and imagery of Tiananmen Square as performative signs of communist utopia. More recent work by Zhou Xian, which explores how visual technologies inform everyday life—from the influence of television on traditional customs to the rise of cultural practices shaped by the use of the Internet—illustrates an approach that, while continuing to interrogate the meaning of images, also sheds light on the stakes and tensions within contemporary Chinese society.

Contributions may focus on objects from mainland China, Taiwan, Hong Kong, Macao, or Sinophone diasporas. We hope to put into perspective the specificities of how images and their interpretations are inscribed in each society under study.

Possible avenues of inquiry include:

How do images contribute to the construction of official or alternative narratives in contemporary China?
What are the visual strategies of power (or its contestation) in graphic productions?
How do contemporary Sinophone artists mobilize the image to redefine cultural or political boundaries?
What role does the image play in the visual memory of revolutions, catastrophes, or social utopias in Sinophone contexts?
What forms of agency are ascribed to images in Sinophone cultures (sacred power, political performativity, emotional force…)?

Selected Bibliographic References: