
Les cahiers de l'AFPC
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Bernard Allanic
Avant-propos
La date de création du comité éditorial des Cahiers de l’AFPC – Association française des professeurs de chinois – coïncidant avec le quarantième anniversaire de l’association, le choix de la thématique du premier numéro a rapidement fait l’unanimité : L’enseignement - apprentissage du chinois en France – évolution de la réflexion disciplinaire et des pratiques pédagogiques depuis 40 ans. Nous avons reçu une douzaine de propositions. Huit ont été retenues. A ces huit contributions originales, il faut en ajouter une neuvième qui est la republication d’un article de référence, daté de la fin des années 1990, que nous présenterons à la fin de cette introduction. Comme on le sait, les quarante dernières années ont été marquées par une croissance spectaculaire des effectifs d’apprenants de chinois langue étrangère (désormais CLE) en France. Le mandarin est devenu en 2007 la cinquième langue la plus apprise dans l’enseignement secondaire, derrière l’anglais, l’espagnol, l’allemand et l’italien, avec un pic du nombre d’apprenant avoisinant les quarante mille en 2016. C’est justement de cette évolution de la place de l’enseignement du CLE en France, dans le paysage scolaire et aussi dans le paysage médiatique dont parle l’article co-signé par Charlotte Wang-Barrat et Joël Bellassen, intitulé : « The representation of Chinese language and culture through coverage of language education in the French press ». Les auteurs ont étudié la façon dont les journalistes de presse écrite avaient rendu compte de cet essor de l’enseignement du CLE en analysant un total de 750 articles publiés pendant vingt ans – du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2023 – dans quatorze grands quotidiens nationaux ou régionaux. L’une des conclusions de leur étude est que le CLE a bénéficié d’une très large couverture médiatique, qui a sans doute également contribué à renforcer l’attrait de nouveaux apprenants pour cette langue distante, en véhiculant une représentation très positive de l’enseignement-apprentissage du CLE. Non, ce n’était pas la difficulté présumée du chinois que la majorité des articles analysés a surtout mis en avant mais l’importance d’apprendre la langue d’un pays future grande puissance économique mondiale, et les bénéfices en termes d’ouverture sur le monde et de découverte culturelle que les apprenants retiraient d’un tel apprentissage.
C’est justement la notion de découverte culturelle qui est au centre de l’article de Wang Lei intitulé : « Les enjeux des langues et cultures régionales sur la compétence interculturelle des étudiants français en mobilité en Chine : la double difficulté communicative et l’insécurité linguistique ». Wang Lei a enquêté auprès d’une dizaine d’étudiants inscrits pour la plupart d’entre eux en troisième année de licence de chinois à l’INALCO et partis étudier entre six mois et un an dans différentes universités chinoises situées aux quatre coins du pays. Elle souhaitait étudier l’impact des langues et cultures régionales sur la qualité de l’immersion culturelle de ceux qu’elle nomme si bien les « explorateurs de l’altérité », qui avaient certes d’assez bonne connaissance en chinois standard, c’est-à-dire en putonghua, mais qui ont dans l’ensemble éprouvé de grandes difficultés, au moins au début de leur séjour respectif, à cause des parlers locaux très éloigné du mandarin. Les conclusions de son étude l’ont amenée à se poser une question de fond : quelle place conviendrait-il d’accorder aux cultures et aux langues régionales dans l’enseignement-apprentissage du CLE ?
La question de la variété linguistique est également au cœur de la contribution de Guo Jing, intitulée : « Le registre du chinois oral : spécificités, rôle et pratique dans l’enseignement ». Le concept de « registre du chinois oral » désigne dans cet article le registre informel du chinois, c’est-à-dire le chinois parlé quotidiennement par des millions de locuteurs natifs, une langue beaucoup plus flexible que le chinois écrit, avec des termes plus familiers et des structures de phrases souvent très éloignées de la norme grammaticale du chinois standard. Après avoir établi le constat de la quasi invisibilité de cette variété de chinois oral dans le paysage du CLE, Guo Jing présente quelques mesures mises en place au sein du département des études chinoises à l’INALCO pour renforcer son apprentissage, comme l’établissement d’un dispositif eTandem chinois/français, la création d’un atelier de théâtre chinois et la conception d’une méthode originale en trois volumes, dont le troisième opus donne une large place au registre du chinois oral, par exemple à travers les enregistrements audio d’interviews spontanées, réalisées sans textes pré-écrits et qui sont retranscrites très fidèlement.
Deux autres contributions évoquent aussi des méthodes d’enseignement du CLE conçues et publiées en France. Dans l’une d’entre elles, intitulée « De la découverte d’un remarquable modèle didactique d’enseignement des caractères en usage dans le primaire chinois à son adaptation pour le chinois langue étrangère – Retour sur l’élaboration de la méthode Le chinois… comme en Chine », Bernard Allanic raconte et explique comment il a essayé d’adapter au CLE la stratégie d’enseignement qui était au cœur d'une méthode mise en œuvre à partir de 1958 dans une école primaire de la province du Liaoning. Alexandre Salmon, quant à lui, dans un article intitulé « Accélérer l’autonomisation dans la lecture de la langue chinoise : une approche didactique des manuels de Tao Xingzhi et de Li Leilei », rapproche de façon très novatrice le manuel Méthode 90 Chinois, imaginé par Li Leilei au début des années 2000 pour ses étudiants de section LEA anglais-chinois, et l’un des manuels utilisés en Chine il y a cent ans pour apprendre à lire aux adultes illettrés, le Pingmin qian zi ke 平民千字課 de Tao Xingzhi publié en 1923. La raison de ce rapprochement est l’objectif commun poursuivi par les deux ouvrages : enseigner dans un temps limité et avec un même nombre de leçons – 96 pour la méthode chinoise, 90 pour la méthode française – le nombre de caractères correspondant au seuil de lecture en autonomie.
Les deux contributions suivantes concernent la psychologie des apprentissages et plus exactement les processus cognitifs à l’œuvre en lecture et les stratégies de compréhension déployées par les apprenants de CLE à deux moments différents de l’apprentissage. Dans son article intitulé « La compréhension de l’écrit en classe de Chinois Langue Etrangère : Les apprenants de niveau élémentaire face à la segmentation des phrases en mots », Rachel Daveluy s’interroge sur la façon dont des apprentis-lecteurs – 55 étudiants de chinois scolarisés en première année de licence de LEA – s’y prennent pour tâcher d’identifier les mots – parfois formés d’un seul caractère, parfois de deux ou trois – dans des textes où tous les caractères sont séparés les uns des autres par un intervalle, contrairement à beaucoup d’écritures alphabétiques où il y a un espace entre chaque mot.
Quant à Enhao Léger-Zheng, sa contribution en chinois, intitulée « 对汉语二外词汇教学法的思考 ——探究社会文化知识在词汇习得中的影响 » (Réflexions sur les méthodes d'enseignement du vocabulaire en chinois langue étrangère —— l'influence des connaissances socio-culturelles sur l'acquisition du vocabulaire), traite des stratégies d’inférence lexicale mises en œuvre par des apprenants d’un niveau avancé – 33 étudiants inscrits en troisième année d’étude de CLE à l’université – quand ils rencontrent des mots inconnus au fil de leur lecture. L’expérience qu’elle a conduite auprès de ces apprentis-lecteurs et les résultats obtenus montre que pour le CLE aussi, c’est en lisant et, serait-on tenté de dire, en lisant le plus possible, que les apprenants pourront étoffer leur bagage lexical, grâce à leur habileté à deviner le sens des mots inconnus. Mais cette habileté n’est pas innée, elle s’apprend. Enhao Léger-Zheng insiste dans sa conclusion sur l’importance de deux savoirs à transmettre aux apprenants tout le long de l’enseignement-apprentissage du CLE : le savoir socio-culturel, qui va les aider à mieux comprendre les mots à forte valeur culturelle ; et le savoir sinographique, qui les aidera à deviner le sens d’un certain nombre de mots composés.
Comme on le sait, l’évolution des modalités d’enseignement du CLE de ces quarante dernières années a été marquée par le développement spectaculaire des TICE, les « technologies de l’information et de la communication appliquées à l’enseignement », à commencer par la généralisation des outils informatisés de traitement de texte et l’intégration des caractères chinois au système de codage standard universel « unicode »… Plus récemment, depuis 2022 précisément, ce sont les systèmes d’intelligence artificielle dite « générative » qui ont fait une entrée tonitruante dans notre quotidien ainsi que dans le paysage scolaire et universitaire. Cette nouvelle technologie est au cœur de la contribution de Li Xia, intitulée : « Élaboration de tâches communicatives basées sur les conflits en CLE avec ChatGPT ». Elle y explore de façon originale, non pas la relation entre ce nouvel outil et les apprenants, mais l’aide qu’il pourrait apporter aux enseignants dans la préparation de certains cours. Li Xia raconte comment elle s’y est prise pour demander à ChatGPT de rédiger une série de courts dialogues afin d’illustrer des situations conflictuelles entre les passagers d’un train et également de trouver d’autres situations de conflits potentiels. Elle décrit en détail les interactions femme-machine et y évalue la pertinence des différentes productions successives de son « assistant virtuel ». Si la qualité des dialogues générés par la machine souffre de plusieurs problèmes de cohérence et de réalisme et n’ont pas convaincu la chercheuse, elle reconnaît toutefois que cette interaction avec ChatGPT a été pour elle une source d’inspiration, notamment pour le choix final des différentes situations de communication à proposer ensuite aux apprenants.
Ce premier numéro des Cahiers de l’AFPC se clôt sur une rubrique intitulée « Un article de référence revisité », que nous espérons pouvoir renouveler à chaque livraison de la revue. C’est une rubrique en deux parties : la republication in extenso d’un article académique ayant marqué l’histoire de la discipline, suivie d’un entretien avec son auteur ou son autrice pour en quelque sorte recontextualiser l’article et le mettre en perspective. Comme ce premier numéro est consacré à la didactique du CLE, c’est à un texte de Joël Bellassen, l’un des principaux pionniers de cette discipline en France puisqu’il fut le premier enseignant-chercheur à obtenir une Habilitation à Diriger des Recherches en didactique du CLE en France et même en Europe – c’était en 1997. L’article que nous avons retenu a eu un retentissement considérable dans le monde du CLE non seulement en France ou en Europe mais également en Chine, où il a rapidement été publié dans sa version chinoise. Il date de 1996. C’est au départ la version rédigée d’une communication que Joël Bellassen avait faite lors d’un colloque international ayant eu lieu à Paris en février de la même année, un colloque ayant d’ailleurs lui aussi marqué l’histoire de la discipline puisqu’il s’agissait du tout premier événement de cette ampleur consacré à l’enseignement du CLE jamais organisé en France. C’était d’ailleurs le Bureau de l’AFPC dont Joël Bellassen était alors le président qui l’avait organisé.
Cet article intitulé « Le conflit territorial écrit-oral dans les manuels de chinois : annexion, autonomie, sécession ? » posait la question de la place et du statut occupés dans les manuels de CLE par les caractères. En effet beaucoup des manuels de l’époque, surtout ceux publiés en Chine, n’enseignaient que les mots, sans considération, dans le cas de mots composés, pour la signification des sinogrammes concernés. Il y était dressé un constat très sévère :
Du point de vue didactique, et notamment en ce qui concerne le problème crucial que sont les principes qui président à la rédaction des manuels de chinois langue étrangère, nous considérons que cette discipline est face à une crise. Bien qu'ils se soient améliorés sur certains points, la plupart des manuels ne se sont pas emparés de la question de fond de l'enseignement du chinois (quel parti prendre face à l'unité linguistique qu'est le caractère). De ce fait on peut considérer que l'enseignement du chinois se trouve toujours dans un état d'arriération.
La republication de cet article est suivie d’un entretien avec son auteur (« Trois questions à Joël Bellassen ») qui s’est déroulé en février 2025.
Appels à contribution
Adeline Chan, Georges Bê Duc
Bernard Allanic
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