N°1 : L’enseignement/apprentissage du chinois en France ― évolution de la réflexion disciplinaire et des pratiques pédagogiques depuis 40 ans

Bernard Allanic

Avant-propos 

La date de création du comité éditorial des Cahiers de l’AFPC – Association française des professeurs de chinois – coïncidant avec le quarantième anniversaire de l’association, le choix de la thématique du premier numéro a rapidement fait l’unanimité : L’enseignement - apprentissage du chinois en France – évolution de la réflexion disciplinaire et des pratiques pédagogiques depuis 40 ans. Nous avons reçu une douzaine de propositions. Huit ont été retenues. A ces huit contributions originales, il faut en ajouter une neuvième qui est la republication d’un article de référence, daté de la fin des années 1990, que nous présenterons à la fin de cette introduction. Comme on le sait, les quarante dernières années ont été marquées par une croissance spectaculaire des effectifs d’apprenants de chinois langue étrangère (désormais CLE) en France. Le mandarin est devenu en 2007 la cinquième langue la plus apprise dans l’enseignement secondaire, derrière l’anglais, l’espagnol, l’allemand et l’italien, avec un pic du nombre d’apprenant avoisinant les quarante mille en 2016. C’est justement de cette évolution de la place de l’enseignement du CLE en France, dans le paysage scolaire et aussi dans le paysage médiatique dont parle l’article co-signé par Charlotte Wang-Barrat et Joël Bellassen, intitulé : « The representation of Chinese language and culture through coverage of language education in the French press ». Les auteurs ont étudié la façon dont les journalistes de presse écrite avaient rendu compte de cet essor de l’enseignement du CLE en analysant un total de 750 articles publiés pendant vingt ans – du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2023 – dans quatorze grands quotidiens nationaux ou régionaux. L’une des conclusions de leur étude est que le CLE a bénéficié d’une très large couverture médiatique, qui a sans doute également contribué à renforcer l’attrait de nouveaux apprenants pour cette langue distante, en véhiculant une représentation très positive de l’enseignement-apprentissage du CLE. Non, ce n’était pas la difficulté présumée du chinois que la majorité des articles analysés a surtout mis en avant mais l’importance d’apprendre la langue d’un pays future grande puissance économique mondiale, et les bénéfices en termes d’ouverture sur le monde et de découverte culturelle que les apprenants retiraient d’un tel apprentissage. 

   

C’est justement la notion de découverte culturelle qui est au centre de l’article de Wang Lei intitulé : « Les enjeux des langues et cultures régionales sur la compétence interculturelle des étudiants français en mobilité en Chine : la double difficulté communicative et l’insécurité linguistique ». Wang Lei a enquêté auprès d’une dizaine d’étudiants inscrits pour la plupart d’entre eux en troisième année de licence de chinois à l’INALCO et partis étudier entre six mois et un an dans différentes universités chinoises situées aux quatre coins du pays. Elle souhaitait étudier l’impact des langues et cultures régionales sur la qualité de l’immersion culturelle de ceux qu’elle nomme si bien les « explorateurs de l’altérité », qui avaient certes d’assez bonne connaissance en chinois standard, c’est-à-dire en putonghua, mais qui ont dans l’ensemble éprouvé de grandes difficultés, au moins au début de leur séjour respectif, à cause des parlers locaux très éloigné du mandarin. Les conclusions de son étude l’ont amenée à se poser une question de fond : quelle place conviendrait-il d’accorder aux cultures et aux langues régionales dans l’enseignement-apprentissage du CLE ? 

    

La question de la variété linguistique est également au cœur de la contribution de Guo Jing, intitulée : « Le registre du chinois oral : spécificités, rôle et pratique dans l’enseignement ». Le concept de « registre du chinois oral » désigne dans cet article le registre informel du chinois, c’est-à-dire le chinois parlé quotidiennement par des millions de locuteurs natifs, une langue beaucoup plus flexible que le chinois écrit, avec des termes plus familiers et des structures de phrases souvent très éloignées de la norme grammaticale du chinois standard. Après avoir établi le constat de la quasi invisibilité de cette variété de chinois oral dans le paysage du CLE, Guo Jing présente quelques mesures mises en place au sein du département des études chinoises à l’INALCO pour renforcer son apprentissage, comme l’établissement d’un dispositif eTandem chinois/français, la création d’un atelier de théâtre chinois et la conception d’une méthode originale en trois volumes, dont le troisième opus donne une large place au registre du chinois oral, par exemple à travers les enregistrements audio d’interviews spontanées, réalisées sans textes pré-écrits et qui sont retranscrites très fidèlement. 

    

Deux autres contributions évoquent aussi des méthodes d’enseignement du CLE conçues et publiées en France. Dans l’une d’entre elles, intitulée « De la découverte d’un remarquable modèle didactique d’enseignement des caractères en usage dans le primaire chinois à son adaptation pour le chinois langue étrangère – Retour sur l’élaboration de la méthode Le chinois… comme en Chine », Bernard Allanic raconte et explique comment il a essayé d’adapter au CLE la stratégie d’enseignement qui était au cœur d'une méthode mise en œuvre à partir de 1958 dans une école primaire de la province du Liaoning. Alexandre Salmon, quant à lui, dans un article intitulé « Accélérer l’autonomisation dans la lecture de la langue chinoise : une approche didactique des manuels de Tao Xingzhi et de Li Leilei », rapproche de façon très novatrice le manuel Méthode 90 Chinois, imaginé par Li Leilei au début des années 2000 pour ses étudiants de section LEA anglais-chinois, et l’un des manuels utilisés en Chine il y a cent ans pour apprendre à lire aux adultes illettrés, le Pingmin qian zi ke 平民千字課 de Tao Xingzhi publié en 1923. La raison de ce rapprochement est l’objectif commun poursuivi par les deux ouvrages : enseigner dans un temps limité et avec un même nombre de leçons – 96 pour la méthode chinoise, 90 pour la méthode française – le nombre de caractères correspondant au seuil de lecture en autonomie. 

   

Les deux contributions suivantes concernent la psychologie des apprentissages et plus exactement les processus cognitifs à l’œuvre en lecture et les stratégies de compréhension déployées par les apprenants de CLE à deux moments différents de l’apprentissage. Dans son article intitulé « La compréhension de l’écrit en classe de Chinois Langue Etrangère : Les apprenants de niveau élémentaire face à la segmentation des phrases en mots », Rachel Daveluy s’interroge sur la façon dont des apprentis-lecteurs – 55 étudiants de chinois scolarisés en première année de licence de LEA – s’y prennent pour tâcher d’identifier les mots – parfois formés d’un seul caractère, parfois de deux ou trois – dans des textes où tous les caractères sont séparés les uns des autres par un intervalle, contrairement à beaucoup d’écritures alphabétiques où il y a un espace entre chaque mot. 

  

Quant à Enhao Léger-Zheng, sa contribution en chinois, intitulée « 对汉语二外词汇教学法的思考 ——探究社会文化知识在词汇习得中的影响 » (Réflexions sur les méthodes d'enseignement du vocabulaire en chinois langue étrangère —— l'influence des connaissances socio-culturelles sur l'acquisition du vocabulaire), traite des stratégies d’inférence lexicale mises en œuvre par des apprenants d’un niveau avancé – 33 étudiants inscrits en troisième année d’étude de CLE à l’université – quand ils rencontrent des mots inconnus au fil de leur lecture. L’expérience qu’elle a conduite auprès de ces apprentis-lecteurs et les résultats obtenus montre que pour le CLE aussi, c’est en lisant et, serait-on tenté de dire, en lisant le plus possible, que les apprenants pourront étoffer leur bagage lexical, grâce à leur habileté à deviner le sens des mots inconnus. Mais cette habileté n’est pas innée, elle s’apprend. Enhao Léger-Zheng insiste dans sa conclusion sur l’importance de deux savoirs à transmettre aux apprenants tout le long de l’enseignement-apprentissage du CLE : le savoir socio-culturel, qui va les aider à mieux comprendre les mots à forte valeur culturelle ; et le savoir sinographique, qui les aidera à deviner le sens d’un certain nombre de mots composés. 

    

Comme on le sait, l’évolution des modalités d’enseignement du CLE de ces quarante dernières années a été marquée par le développement spectaculaire des TICE, les « technologies de l’information et de la communication appliquées à l’enseignement », à commencer par la généralisation des outils informatisés de traitement de texte et l’intégration des caractères chinois au système de codage standard universel « unicode »… Plus récemment, depuis 2022 précisément, ce sont les systèmes d’intelligence artificielle dite « générative » qui ont fait une entrée tonitruante dans notre quotidien ainsi que dans le paysage scolaire et universitaire. Cette nouvelle technologie est au cœur de la contribution de Li Xia, intitulée : « Élaboration de tâches communicatives basées sur les conflits en CLE avec ChatGPT ». Elle y explore de façon originale, non pas la relation entre ce nouvel outil et les apprenants, mais l’aide qu’il pourrait apporter aux enseignants dans la préparation de certains cours. Li Xia raconte comment elle s’y est prise pour demander à ChatGPT de rédiger une série de courts dialogues afin d’illustrer des situations conflictuelles entre les passagers d’un train et également de trouver d’autres situations de conflits potentiels. Elle décrit en détail les interactions femme-machine et y évalue la pertinence des différentes productions successives de son « assistant virtuel ». Si la qualité des dialogues générés par la machine souffre de plusieurs problèmes de cohérence et de réalisme et n’ont pas convaincu la chercheuse, elle reconnaît toutefois que cette interaction avec ChatGPT a été pour elle une source d’inspiration, notamment pour le choix final des différentes situations de communication à proposer ensuite aux apprenants.  

   

Ce premier numéro des Cahiers de l’AFPC se clôt sur une rubrique intitulée « Un article de référence revisité », que nous espérons pouvoir renouveler à chaque livraison de la revue. C’est une rubrique en deux parties : la republication in extenso d’un article académique ayant marqué l’histoire de la discipline, suivie d’un entretien avec son auteur ou son autrice pour en quelque sorte recontextualiser l’article et le mettre en perspective. Comme ce premier numéro est consacré à la didactique du CLE, c’est à un texte de Joël Bellassen, l’un des principaux pionniers de cette discipline en France puisqu’il fut le premier enseignant-chercheur à obtenir une Habilitation à Diriger des Recherches en didactique du CLE en France et même en Europe – c’était en 1997. L’article que nous avons retenu a eu un retentissement considérable dans le monde du CLE non seulement en France ou en Europe mais également en Chine, où il a rapidement été publié dans sa version chinoise. Il date de 1996. C’est au départ la version rédigée d’une communication que Joël Bellassen avait faite lors d’un colloque international ayant eu lieu à Paris en février de la même année, un colloque ayant d’ailleurs lui aussi marqué l’histoire de la discipline puisqu’il s’agissait du tout premier événement de cette ampleur consacré à l’enseignement du CLE jamais organisé en France. C’était d’ailleurs le Bureau de l’AFPC dont Joël Bellassen était alors le président qui l’avait organisé. 

 

Cet article intitulé « Le conflit territorial écrit-oral dans les manuels de chinois : annexion, autonomie, sécession ? » posait la question de la place et du statut occupés dans les manuels de CLE par les caractères. En effet beaucoup des manuels de l’époque, surtout ceux publiés en Chine, n’enseignaient que les mots, sans considération, dans le cas de mots composés, pour la signification des sinogrammes concernés. Il y était dressé un constat très sévère : 

Du point de vue didactique, et notamment en ce qui concerne le problème crucial que sont les principes qui président à la rédaction des manuels de chinois langue étrangère, nous considérons que cette discipline est face à une crise. Bien qu'ils se soient améliorés sur certains points, la plupart des manuels ne se sont pas emparés de la question de fond de l'enseignement du chinois (quel parti prendre face à l'unité linguistique qu'est le caractère). De ce fait on peut considérer que l'enseignement du chinois se trouve toujours dans un état d'arriération. 

La republication de cet article est suivie d’un entretien avec son auteur (« Trois questions à Joël Bellassen ») qui s’est déroulé en février 2025.

Articles de ce numéro

10 mai 2025
De la découverte d’un remarquable modèle didactique d’enseignement des caractères en usage dans le primaire chinois à son adaptation pour le chinois langue étrangère – Retour sur l’élaboration de la méthode Le chinois… comme en Chine
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Bernard Allanic (Université de Rennes 2)

 

Résumé : L’enseignement-apprentissage de la lecture et de l’écriture en langue maternelle et en langue étrangère représentent généralement deux mondes bien séparés. Tout simplement parce qu’alors qu’un écolier sait déjà parler sa langue avant d’entrer à l’école, ce n’est bien sûr pas le cas d’un apprenant en langue étrangère, ce qui fait que les objectifs et les techniques d’enseignement sont très différents d’un public à l’autre. Or, de par la nature non alphabétique de son écriture, le mandarin fait un peu figure d’exception. Car les écoliers chinois doivent apprendre un par un plusieurs centaines de caractères et ils ne sont sur ce plan que faiblement avantagés par rapport aux apprenants étrangers, car si la connaissance pré-acquise du vocabulaire oral leur permet de retenir plus aisément la prononciation des signes et la façon de les utiliser, elle ne leur est d’aucune aide pour mémoriser la façon dont ils s’écrivent. C’est avec cette idée en tête que Bernard Allanic s’est lancé à la fin des années 1990 dans l’exploration des différentes méthodes utilisées à travers les âges en Chine pour enseigner la lecture et l’écriture aux enfants, dans le but de trouver des techniques ou/et des stratégies d’enseignement transférables au chinois langue étrangère. C’est ainsi qu’il a découvert une remarquable méthode mise au point à partir de la fin des années 1950 dans le nord-est de la Chine pour justement aider les enfants à mieux mémoriser la graphie des caractères. C’est cette méthode qui a ensuite servi de modèle didactique à l’élaboration du manuel de chinois langue étrangère Le chinois…comme en Chine, fruit de nombreuses années d’expérimentation avec les étudiants apprenant le chinois-mandarin à Rennes 2. Cet article revient sur les caractéristiques essentielles de la méthode originelle et explique comment elles ont été transposées dans un manuel d’apprentissage à destination de non sinophones.

Mots clés : Didactique du chinois langue étrangère – Ecriture chinoise – Didactique des sinogrammes – Psychologie de l’apprentissage – Mémoire sinographique. 

 

 

Introduction

Si la didactique des sinogrammes est une discipline récente et encore en construction pour le chinois langue étrangère, il en est autrement pour le chinois langue première, notamment en République Populaire de Chine, où depuis la fin des années 1950 et la généralisation de l’usage du pinyin dans les classes, de nombreux instituteurs-chercheurs ont mis au point de nouvelles méthodes pour permettre aux écoliers de mémoriser les 1500 à 1800 caractères au programme des deux premières années du primaire. Depuis une vingtaine d’années, nous avons entrepris de nous inspirer de l’une d’entre elles pour tenter de mettre au point un enseignement-apprentissage raisonné des caractères à destination, cette fois, des apprenants non sinophones. Cette méthode, née en 1958 dans une école du Liaoning au nord-est de la Chine, repose sur un choix rigoureux des caractères à maîtriser en priorité par les écoliers et les entraîne à reconnaître et à nommer les différents éléments graphiques de tous les nouveaux caractères. C’est une méthode très rationnelle qui respecte les grandes propriétés de l’écriture chinoises, notamment son économie générale sur le plan graphique et sa logique combinatoire. Transposée et adaptée au monde du chinois langue étrangère, elle permet donc aussi aux apprenants de comprendre le fonctionnement réel de cette écriture singulière. Ce dernier aspect étant loin d’être anodin, car comme nous allons le voir dans la première partie, la plupart des apprenants en chinois langue étrangère ont, quand ils commencent les cours la première année, une représentation erronée du fonctionnement de cette écriture…

1. Comment les primo-apprenants se représentent-ils l’écriture chinoise ? 

Il m’arrive d’enseigner la langue et l’écriture chinoises à des débutants complets en première année de licence à l’université, dans le cadre des cours LANSAD (langues pour spécialistes d’autres disciplines). Je profite alors souvent du premier cours pour leur poser quelques questions afin de mieux les connaître, notamment par rapport à leur motivation pour l’étude du mandarin et des sinogrammes. La dernière fois que j’ai eu l’occasion de le faire était en septembre 2020, avec 39 étudiants qui ont ainsi accepté de répondre par écrit à quelques questions. Je trouve que leurs réponses valent la peine d’être énoncées et commentées ici car elles sont représentatives de la façon dont beaucoup de jeunes français perçoivent l’écriture chinoise. 

 

Tout d’abord, à la question « Pourquoi avez-vous choisi de faire du chinois ? », la réponse qui arrive en tête, pour 12 personnes, est : « le chinois est un atout pour la vie professionnelle ». Mais la réponse qui arrive ensuite est « je suis intéressé par l’écriture », énoncée par 9 personnes, devant « je suis intéressé par les cultures asiatiques » (8 personnes), « je suis intéressé par la culture chinoise » (7 personnes), et « je trouve le chinois joli à écouter » (2 personnes). 

 

J’ai ensuite inventorié les arguments que huit des neuf étudiants se disant « intéressés par l’écriture chinoise » avaient écrits. Les voici : 

 

« J’ai envie d’apprendre une nouvelle écriture » (énoncé par 3 personnes). 

« Je suis fasciné par l’écriture. » 

« J’ai envie de découvrir le processus d’apprentissage d’une langue non latine. » 

« je souhaite pouvoir écrire en caractères. » 

« J’ai envie d’apprendre la calligraphie chinoise. » 

« C’est motivant d’apprendre les caractères qui sont totalement différents de notre langue. » 

« Les langues avec des alphabets différents m’ont toujours intéressée et le chinois m’a intéressée beaucoup plus que le reste. »

 

J’ai trouvé ces réponses très intéressantes et très encourageantes pour l’année de cours qui allait démarrer car elles montraient qu’une bonne partie des étudiants avaient choisi d’étudier le chinois parce qu’ils étaient intéressés par son écriture et qu’ils étaient donc en quelque sorte prêts à s’appliquer dans leurs études. C’est d’ailleurs là, je trouve, une donnée très instructive pour les enseignants de chinois langue étrangère : non, tous les étudiants ne redoutent pas forcément d’apprendre les sinogrammes, il y en a même une bonne partie qui choisissent le chinois justement pour apprendre son écriture. La source de leur motivation réside dans la curiosité pour une écriture originale, très différente des écritures latines et encore peu répandue dans le paysage académique français.

 

J’ai également voulu connaître quelle représentation ces 39 primo-apprenants en chinois langue étrangère se faisaient de l’écriture chinoise, en leur posant les deux questions suivantes : 

a) Combien à votre avis existe-t-il de caractères chinois en tout ? 

b) Combien faut-il connaître de caractères pour pouvoir commencer à lire ? 

 

Et je dois avouer que j’ai été très surpris par leurs réponses. En effet, je m’imaginais que la plupart d’entre eux allait dire qu’il y avait un nombre très important de caractères, des milliers, voire des dizaines de milliers et que cela aurait été la même réponse pour les deux questions, car il me semblait que c’était là une idée très répandue, conforme au préjugé du chinois très difficile. Or, Ils ne sont que dix en tout à avoir déclaré que le nombre total de caractères dépassait les 5.000, et seulement deux à dire qu’il fallait en connaître au moins 10.000 pour commencer à lire. La plupart des autres réponses sous estimaient grandement le nombre de caractères existant, sept d’entre eux allant même jusqu’à déclarer qu’à leur avis, la connaissance de moins de 100 caractères suffisait pour pouvoir commencer à lire des documents authentiques chinois ! Voici un tableau présentant le large et très surprenant éventail de ces réponses : 

 

 

 

Nombre total de caractères

Seuil d’accès à la lecture

 « infini » (1 )

« Plus on en connaît, mieux c’est » (1 )

Plusieurs millions (1 )

20 000 (1 )

45 000 (1 )

 

30 000 (1 )

10 000 (1 )

Plusieurs milliers (3 )

 

5 000 (3 )

2 000 (1 )

2 000 (1 )

 

1 500 (1 

 

1000- 1500 (2 )

700 (1 ) / 500 (1 )

900 (1 )

300 (1 )

600 (1 )

300 (1 )

500 (2 )

200 (1 ) / 100 (1 )

300 – 400 (2 )

 

Plus de 100 (3 )

60 (2  ) / 50 (1 )

50 (2  )

50 (1  ) / 40 (1 )

40 (1  )

25 (1  )

35 (2  )

30 (1  )

Ne sait pas (7 )

 

 

Tableau 1. Réponses sur le nombre de caractères 

 

La variété de ces réponses sur le nombre de caractères montre que la quasi-majorité des étudiants interrogés ont une conception erronée de l’écriture chinoise ; ils ignorent comment peut fonctionner une écriture non alphabétique et ont du mal à concevoir une écriture sans alphabet, ou qui n’ait pas au moins un syllabaire, comme le japonais. Du moins est-ce ainsi que j’interprète les nombres inférieurs à la centaine, donnés par huit personnes, ainsi que les propos déjà cités plus haut d’une étudiante très intéressée par l’apprentissage de l’écriture chinoise qui avait déclaré : « Les langues avec des alphabets différents m’ont toujours intéressée et le chinois m’a intéressée beaucoup plus que le reste. » 

 

Ce questionnaire permet donc de dresser le constat du manque de connaissance des étudiants sur l’écriture chinoise, que beaucoup vont jusqu’à apparenter aux écritures alphabétiques. Si bien que l’un des rôles de l’enseignant de langue et d’écriture chinoises sera non seulement d’enseigner à lire et à écrire le chinois mais aussi, et peut-être même surtout aux débuts de l’apprentissage, d’expliquer les règles et les logiques à l’œuvre dans le système graphique chinois. Il pourra pour ce faire prendre appui sur les données de la sinographie traditionnelle mais aussi par celles fournies par la sinographie contemporaine, qu’on va présenter succinctement ci-après. 

 

2. Trois grandes propriétés de l’écriture chinoise

Toutes les études statistiques menées sur l’écriture chinoise depuis les années 1980 au moyen des outils informatiques montrent qu’elle fonctionne sur le principe de l’économie de moyens, comme toutes les autres écritures. Ces études ont mis en lumière trois propriétés fondamentales. 

 

2.1 Le nombre de caractères usuels est limité

Les résultats des deux plus grandes études statistiques sur la fréquence d’emploi des caractères, l’une menée dans les années 1970 et l’autre en 1998, montrent de façon identique que les 500 caractères les plus fréquents recouvrent 77% de tous les caractères présents dans toutes les publications et que le taux de couverture cumulé atteint respectivement 90% et 95 % pour les 1 000 puis pour les 1500 les plus fréquents. Autrement dit, ces inventaires statistiques prouvent de façon irréfutable que le nombre de caractères fréquents est (relativement) limité. 

 

Tableau 2.png

 

Tableau 2. Taux de couverture des 2 000 caractères les plus fréquents

 

 

Rapportées à la didactique des sinogrammes, cela montre l’importance de sélectionner les caractères à enseigner en fonction de leur fréquence d’usage. 

 

2.2 Les caractères ont une grande capacité combinatoire

L’écriture chinoise, de type morpho-syllabique ne note pas les sons mais les morphèmes syllabiques. Les utilisateurs du chinois connaissent généralement un nombre beaucoup plus important de mots que de caractères en vertu de la grande capacité combinatoire des morphèmes, qui s’associent entre eux pour composer d’autres mots. C’est ainsi par exemple que diàn, morphème de l’électricité, (qui est aussi le mot « électricité ») peut s’associer avec le morphème huà « parole » pour former le mot « téléphone », avec le morphème chē « véhicule » pour former « tramway », avec le morphème nǎo « cerveau » pour former « ordinateur », avec yǐng « ombre » pour former « cinéma », etc.  

 

diàn → 电话 téléphone、电脑 ordinateur、电车 tramway、电影 cinéma

 

Cette capacité combinatoire des caractères varie bien sûr suivant leur fréquence d'usage, mais elle reste toujours très élevée : elle est supérieure à 40 mots par caractère en moyenne pour les 500 caractères les plus fréquents et dépasse encore 20 mots par caractère en moyenne pour les 500 caractères suivants, c’est-à-dire ceux placés entre la 501ième et la millième place dans les listes de fréquence.

 

Ces moyennes très élevées correspondent à la réalité des dictionnaires et concernent bien évidemment un corpus de mots très supérieur à celui étudié par les apprenants non sinophones. Elles indiquent néanmoins un fait dont devraient pouvoir tirer parti les méthodes de chinois langue étrangère : la maîtrise d'un nombre limité de caractères peut permettre la connaissance d'un nombre beaucoup plus grand de mots, surtout quand ce sont des caractères très usuels. 

 

 

2.3 Les caractères sont composés d’un nombre réduit d’éléments graphiques

La troisième grande propriété du système graphique chinois que montre la sinographie moderne est que la totalité des caractères peut s’écrire avec un nombre limité de composants graphiques et que ce nombre est relativement réduit pour les sinogrammes usuels, puisque 384 éléments graphiques différents permettent d’écrire 3 500 caractères « usuels ». Nous présentons ces données dans le tableau suivant :

 

 

 

Nombre de caractères analysés

Nombre de composants

Liste officielle 1997

Plus de 20 000

560

Chen Renfeng, Chen Abao (Chen, Chen, 1997)

3 500 caractères usuels

384

Tableau 3. Un nombre limité de composants graphiques

 

De plus, une grande partie de ces composants graphiques sont eux-mêmes des caractères. Les chercheurs distinguent en effet deux types de composants : les « composants non autonomes » , ou CNA (非字构件) qui ne peuvent être utilisés seuls, comme  (CNA des plantes), 讠 (CNA de la parole), (CNA de l'eau), etc. Et les composants qui sont aussi des caractères, qu’ils nomment « composants-caractères » (成字构件), tels bāo (sac), ou yuán (yuan, unité monétaire). 

 

Au niveau de l’enseignement-apprentissage des sinogrammes, on devine l’intérêt qu’il y aurait à effectuer une programmation respectueuse de ces trois propriétés et notamment de la dernière liée à la logique à l’œuvre dans la composition graphique des caractères. Cet intérêt ne serait pas seulement de permettre de mieux faire voir aux étudiants la façon dont fonctionne l’écriture chinoise, il serait aussi de respecter le processus cognitif d’apprentissage qui veut qu’on mémorise mieux une nouvelle information si on peut la relier à une donnée déjà mise en mémoire auparavant.

 

Une méthode rationnelle d’enseignement des caractères serait donc de commencer par enseigner des composants autonomes de grande fréquence, tels que par exemple bāo (sac) ouyuánqui sont des caractères à structure simple, assez facilement mémorisables sur le plan graphique car formés de peu de traits (respectivement cinq et quatre)et dont l’archivage en mémoire pourra faciliter par la suite l’encodage mémoriel de la forme graphique de caractères à structure complexe dans lesquels ils s’enchâssent, comme pǎo (courir) ou bǎo (être rassasié) pourbāo, et yuǎn (loin) ou wán (terminer) pour yuán. 

 

3. Présentation de la méthode « d’enseignement regroupé des caractères » de l’école Beiguan du Liaoning

C’est dans le cadre de mes recherches de DEA puis de Doctorat, menées de 1998 à 2003, sous la direction du professeur Joël Bellassen, que j’ai découvert la méthode d’enseignement-apprentissage des caractères, mise au point à partir de 1958 à l’école expérimentale Beiguan située dans le district Heishan dans la province du Liaoning (辽宁省黑山县北关实验学校), connue sous le nom de jízhōng shízìfǎ 集中识字法.La première fois que j’en ai entendu parler, c’était dans une histoire de l’enseignement du chinois en Chine rédigée par Chen Bixiang 陈必祥 et publiée en 1987 (Chen, 1987). L’auteur la citait comme une alternative à la méthode la plus couramment utilisée jusqu’aux années 1960, la « méthode d’enseignement dispersé des caractères au fil des textes », 随课文分散识字法 . J’ai ensuite lu tout ce que je pouvais trouver à son sujet, notamment des articles et des ouvrages rédigés par Zhang Tianruo (qui était alors le responsable éditorial du manuel de l’école Beiguan) que j’ai dénichés à la bibliothèque du Yunnan à Kunming, où j’ai eu la chance de résider pendant un an en tant que professeur de français langue étrangère.

 

C’est un peu plus tard, quand j’ai pu me procurer les quatre manuels utilisés pendant les deux premières années du primaire par les écoliers de cette école du Liaoning – et par des milliers d’autres partout en Chine en 1999 – et que j’ai pu les feuilleter à ma guise et commencer de les analyser, que j’ai compris à quel point cette méthode pouvait être intéressante aussi pour l’enseignement du chinois langue étrangère. J’ai alors décidé, avec l’accord de mon directeur de recherche, d’en faire un des objets d’étude principaux de ma thèse.

 

Au moins quatre aspects de cette méthode méritent en effet toute notre attention. Nous allons les présenter brièvement un à un.

 

3.1 Le principe « jízhōng shízì » 集中识字

 

La méthode de l’école Beiguan a concrétisé la remise à l’honneur dans les années 1950 par le programme officiel du ministère de l’éducation du principe de « l’entraînement concentré des caractères » (集中识字), qui concerne les 1 500 caractères environ constituant le seuil d’accès à la lecture que les écoliers doivent apprendre pendant les deux premières années de leur scolarité. « Remise à l’honneur » car ce principe, qui était initialement celui de l’enseignement traditionnel – le 百家姓 (Les Cent noms de famille), le 三字经 (Classique en trois caractères) et le 千字文(Texte en mille caractères), souvent appris successivement par les enfants au début de leur éducation, leur permettaient eux aussi d’apprendre 1500 caractères environ – avait ensuite été oublié par la plupart des pédagogues à la suite des réformes éducatives des années 1920.

 

Avec le recul historique et grâce aux études statistiques menées sur la fréquence d’usage des caractères par la sinographie moderne à partir des années 1980, on sait maintenant que ce choix au départ empirique de 1 500 caractères était en fait très rationnel, car, comme on l’a vu, la connaissance des 1 500 caractères les plus fréquents permet l’identification de 95% de tous les sinogrammes de tout document et cela quel que soit le corpus étudié. C’est donc effectivement le nombre de caractères qu’il faut savoir identifier si on veut pouvoir commencer à lire sans rencontrer trop de « tigres », c’est-à-dire trop de caractères inconnus.

 

3.2 Des séquences d’enseignement des caractères séparées des textes à lire 

La particularité essentielle de la méthode de l'école Beiguan tient à la mise en place tout au long des deux premières années, de séquences d’enseignement regroupé des caractères, séparées des séquences de lecture de textes. C'est là le cœur de la méthode, comme l’a souligné Zhang Tianruo : 

 

L’apprentissage regroupé des caractères, c’est d’abord apprendre les caractères, ensuite lire. (集中识字是先识字后读书.) » De cette façon, continue-t-il, « pendant les cours d’apprentissage des caractères, on se concentre pour apprendre les nouveaux caractères et pendant les cours de lecture de textes, on se concentre pour augmenter ses compétences de lecture. (识字时集中力量识字,读课文时集中力量训练阅读能力) (Zhang, 1999). 

 

C’est ce qui différencie cette approche pédagogique de la méthode de l’enseignement dispersé des caractères au fil des textes, où la programmation des nouveaux sinogrammes, toujours dépendante de leur apparition dans le texte à lire – soit immédiatement avant soit immédiatement après –, entraîne la rédaction de listes de nouveaux caractères très arbitraires. Le choix des didacticiens de l’école Beiguan leur permet au contraire de sélectionner les caractères en les regroupant selon leurs ressemblances graphiques, comme on peut le voir sur l’exemple ci-dessous. 

 

Illustration 1.jpg

 

Illustration 1 : Deux leçons de caractères du manuel de l’école Beiguan (Zhang, 1999, Volume 1, p. 64 et 65)

 

Ces deux pages se situent au tout début de la première séquence d’enseignement regroupé des caractères du premier volume du manuel. Il s’agit de deux leçons de caractères. Elles permettent de voir comment sont présentés les nouveaux caractères à apprendre par les écoliers : Ils sont regroupés par « famille » selon leur ressemblance graphique. A la suite de ces deux pages, il y a encore 12 autres qui présentent un total de plus de 80 caractères nouveaux, après quoi seulement se situe une séquence de textes à lire, comportant une quinzaine de très courts textes.

 

Le fait de disjoindre enseignement des textes et enseignement de la lecture a conféré aux rédacteurs une grande liberté didactique dans le choix des caractères à enseigner. Ce choix est à chaque fois réfléchi pour faciliter leur apprentissage en les regroupant selon leurs ressemblances graphiques C’est aux yeux de Zhang Tianruo l’un des aspects fondamentaux de cette méthode, car comme il le dit très bien :

 

Il n’y a qu’en regroupant les nouveaux caractères qu’on peut tirer parti de la particularité des idéophonogrammes, des pictogrammes ou des idéogrammes pour aider les écoliers à les mémoriser, et exercer leur habileté dans cet apprentissage en le rendant intéressant. » (只有把生字集中起来才能充分利用汉字的形声、象形、会意等特点,帮助学生记忆,并有利于培养识字能力,引起识字兴趣)(Zhang, 2012)

 

C’est justement parce que les séances d’enseignement regroupé des caractères forment le cœur de la méthode de l’école Beiguan, que nous avons d’ailleurs choisi de la nommer « méthode d’enseignement regroupé des caractères » en français.

 

3.3 Le rôle central des « caractères premiers »

Outre la séparation des séquences d'enseignement des caractères et des séquences de lecture de textes, l'autre grande particularité de la méthode Beiguan est la mise en relief systématique de la forme graphique des caractères par l'utilisation d'une technique pédagogique dite des « caractères introduits par un caractère premier » 基本字带字.

 

Cette stratégie d'enseignement est introduite dès la leçon 33 du premier fascicule, qui inaugure, on l’a vu plus haut, la première séquence d'enseignement regroupé des caractères. Elle fait par exemple intervenir le « caractère premier »  yuán (appris à la leçon 11), pour introduire trois nouveaux caractères : yuán (jardin), yuǎn (loin) et wán (s'amuser), composés de  et de trois clés également déjà apprises précédemment. Comme les écoliers ont déjà mémorisé le caractère , ils peuvent s’appuyer sur cet acquis pour mieux retenir ces trois nouveaux caractères ayant un lien graphique – et ici aussi phonétique – avec lui.

 

Nous avons répertorié un total de 214 « caractères premiers » utilisés dans les leçons de caractères du manuel de l'école Beiguan utilisé à la fin des années. Ces 214 caractères entrent dans la composition graphique de plus de la moitié des caractères enseignés les deux premières années. Un inventaire plus précis a permis d'établir la liste suivante, regroupant les 90 « caractères premiers » les plus efficients, c'est à dire ceux qui, enseignés la première année, permettent l'introduction d'au moins deux autres caractères nouveaux. 

 

 

754911244444

45443227647

29523338332

22246273325

22945674372

231074332226

43322西254522

82524643352

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Tableau 4. Les 90 « caractères premiers » les plus productifs du manuel de l’école Beiguan

 

Le terme que nous traduisons par « caractère premier » est基本字 jīběnzì, qui signifie littéralement « caractère fondamental ». Voici les raisons pour lesquelles nous n'avons pas souhaité reprendre cette traduction littérale ni employer les termes « composant autonome » ou « caractères à structure simple » et préféré le terme de « caractère premier ». Ces raisons sont de quatre ordres :

 

Premièrement, le terme « caractère fondamental » manque de précision. Il est souvent utilisé dans d’autres contextes et renvoie à de toutes autres listes que celle des jīběnzì du manuel de l’école Beiguan. 

 

Deuxièmement, si les jīběnzì sont bien ce qu'il est convenu d'appeler des « composants autonomes », c’est à dire des éléments graphiques qui entrent dans la composition des « caractères composés » (合体字) en étant eux-mêmes des caractères, on constate, en étudiant le corpus des caractères enseignés pendant les deux premières années à Beiguan, qu'il y a un grand nombre de « composants autonomes » qui ne jouent pas le rôle de jīběnzì dans la méthode, car non enseignés en tant que caractères. C'est le cas par exemple de ou . C’est parce que le manuel de l'école Beiguan n'enseigne que des caractères usuels permettant de composer des mots du vocabulaire courant, ce qui n'est pas le cas des quatre ci-dessus. Nous ne pouvons donc pas nous contenter de traduire jīběnzì par « composant autonome ». 

 

Troisièmement, si on dénombre beaucoup de « caractères à structure simple » (独体字) parmi les jīběnzì (comme 贝、车、寸、丁、工、木、田, etc.), il y en a également un très grand nombre qui sont des « composants composés ». C'est par exemple le cas de采、分、古果、合, etc. C'est pourquoi le terme « caractères à structure simple », trop réducteur, ne convient pas non plus. 

 

Enfin le termes « caractère premier » m’a semblé bien rendre compte de la réalité didactique et pédagogique que révèle l'utilisation des jīběnzì dans la méthode de l'école Beiguan. En effet, ce sont toujours des caractères introduits en premier dans le manuel, et toujours enseignés ou révisés de façon prioritaire au début des leçons de caractères. Au niveau du processus de mémorisation, ils correspondent également à ce que les écoliers doivent enregistrer en premier dans la mémoire à long terme, afin de s'en servir pour classer la forme graphique des nouveaux caractères à apprendre. 

 

3.4 Une première séquence capitale

La première séquence du premier livret du manuel de l’école Beiguan a pour objet « les quatre bases fondamentales » (四大基础) : le pinyin, le nom et l’ordre des traits, les clés et les « caractères premiers ». Les concepteurs du manuel ont réussi un vrai tour de force puisque cette séquence permet aux instituteurs d'enseigner en très peu de temps la transcription pinyin et les principales règles expliquant la composition graphique des caractères, tout en introduisant entre 150 et 180 caractères fondamentaux, sélectionnés parmi les plus usuels et les plus simples, dont une grande partie de « caractères premiers ». Voici son déroulement :

 

Treize leçons expliquent l'écriture du pinyin, en commençant par les voyelles simples, en continuant par les initiales (à raison de trois ou quatre par leçons), et en terminant par les finales composées. Chaque syllabe est illustrée d'un dessin représentant un mot du vocabulaire courant ;

 

Vingt-quatre leçons introduisent 110 caractères environ (entre 3 et 5 par séance), tout en donnant le nom des principaux traits et les règles d'écriture. Les caractères (dont une grande partie de pictogrammes) sont regroupés par thème : phénomènes naturels, animaux, nombres, parties du corps, plantes, unités monétaires, unités de mesure, etc.

 

Enfin huit leçons introduisent une cinquantaine de caractères composés, pour illustrer les structures graphiques élémentaires : combinaisons de caractères (tels  et  qui forment , ou  et qui composent  ) ; combinaisons de clé non autonomes et de caractères (comme la clé de la parole et  qui font , la clé du chemin et 不 qui font  ), etc. 


L’illustration ci-dessous présente la leçon 32 de cette première séquence qui introduit cinq clés non autonomes en les associant à cinq caractères à structure complexe. 

 

Illustration 2.jpg

 

Illustration 2 : Extrait de la première séquence du manuel de l’école Beiguan (Zhang, 1999, vol. 1, p. 54) 

 

Comme on le voit sur l’illustration précédente, les écoliers sont systématiquement entraînés à décomposer tous les caractères à structure complexe et à nommer les composants graphiques. Ils ne sont pas passifs pendant les leçons de caractères mais au contraire acteurs de leur propre apprentissage. J’ai eu la chance de me rendre à l’école Beiguan au printemps 2002 et ai pu y assister à plusieurs cours en tant qu’observateur – j’étais accompagné de monsieur Zhang Tianruo. J’ai constaté à chaque fois la même chose : les écoliers ont à chaque fois plusieurs minutes pour réfléchir en petits groupes à la composition graphique des caractères nouveaux, en mettant en commun les connaissances de chacun. Et je peux témoigner qu’ils prenaient visiblement plaisir à construire et à déconstruire les caractères comme s’il s’agissait de puzzles.

 

3.5 La première méthode d’enseignement raisonné des caractères de l’histoire

La méthode de l’école Beiguan a eu une influence considérable pendant les années 1980 en Chine. De par le rôle des « caractères premiers » et le respect de la logique inhérente à la structure graphique des caractères dans la programmation de l’ensemble des sinogrammes au programme pendant les deux premières années du primaire, elle est devenue la première méthode d'enseignement raisonné des caractères (理性识字法), respectant à la fois les particularités de l'écriture chinoise, et le processus cognitif d'acquisition et de mémorisation des caractères par les apprenants.

 

Dans une étude consacrée à la comparaison des différentes méthodes d'enseignement des caractères en usage à la fin du 20e siècle en République Populaire de Chine, Tong Lequan 佟乐泉 a affirmé que c'était grâce à l'énorme travail accompli par les équipes de l'école Beiguan que le problème ardu que posait l'enseignement des caractères jusqu'à la fin des années 1970 avait été résolu (ibid. p. 226). Et que ce n'était pas un hasard si on retrouvait désormais dans la plupart des méthodes, le même souci d'optimiser la programmation des caractères, en prenant en compte les logiques graphique et mnémotechnique.

 

Bien qu'il y ait actuellement en Chine plusieurs méthodes d'enseignement des caractères qui ne partagent pas les mêmes priorités pédagogiques, elles se ressemblent néanmoins sur un point : elles mettent en évidence les règles de combinaison graphique des caractères et entraînent les apprenants à les décomposer (ibid. p. 224). 

 

4. Un essai de transposition au chinois langue étrangère

Fortement influencé par les réussites de la méthode de l’école Beiguan, sur le plan didactique et pédagogique, j’ai donc décidé dès 2004, un an après l’obtention du doctorat, d’expérimenter à mon tour une approche pédagogique raisonnée de l’enseignement-apprentissage des caractères, tout d’abord au lycée (entre 2004 et 2006) puis à l’université Rennes 2, dans le cadre des cours de chinois en section LANSAD (langues pour spécialistes d’autres disciplines). Bien sûr, il était impossible d’utiliser tel quel le manuel de l’école Beiguan, car les primo-apprenants en chinois qui sont par définition non sinophones doivent à la fois apprendre à parler et à lire le chinois, mais j’étais convaincu que l’adaptation des principes directeurs de la méthode chinoise, notamment le respect de la logique graphique des caractères et le rôle moteur des caractères premiers pouvait rendre bien des services aussi aux apprenants de chinois langue étrangère. Cette expérimentation a donné lieu à la publication d'un manuel, dont les trois volumes ont été publiés aux éditions des Presses Universitaires de Rennes (en 2009, 2016 puis en 2022), sous le titre Le chinois...comme en Chine

 

4.1 La disjonction oral / écrit

Le premier grand principe de notre approche pédagogique concerne la relation oral/ écrit. Il peut être énoncé ainsi : on apprend à dire avant d’apprendre à écrire. Cela signifie qu’il y a le plus souvent un décalage dans le temps d’apprentissage, entre l’apparition d’un mot à l’oral et son enseignement à l’écrit. Cela permet aux apprenants de se focaliser sur la prononciation, la signification et l’utilisation des mots pendant les séances de travail oral, et d’être ainsi plus à même de se concentrer sur la mémorisation de la forme graphique des caractères servant à écrire ces mots pendant les séances de travail de l’écrit. 

 

Ce décalage peut être court : un même mot peut apparaître en pinyin puis ensuite en caractère(s) dans le cadre de la même leçon ; il suffit que l’apprenant ait mémorisé, même imparfaitement, la prononciation ou la signification du mot au préalable, ce qui lui permettra de gagner du temps de mémorisation en allégeant le volume d’informations à traiter en même temps. Mais il peut être assez long, voire très long, quand le caractère est un caractère à structure composé complexe, comme par exemple les caractères écrivant les mots « merci » (谢谢xièxiè) ou « chat » (māo). Voici les explications données dans l’introduction du volume 1 :

 

Vous remarquerez un décalage entre l’apparition des mots à l’oral et l’enseignement des caractères servant à les écrire : māo (chat) apparaît ainsi à l’oral à l’unité 2, 猫 (le caractère « chat ») est enseigné quant à lui à l’unité 4. Ce décalage est dû à la volonté de tenir compte de la logique graphique des caractères en allant des simples aux composés – le caractère “chat” comporte ainsi trois composants expliqués un à un au préalable (Allanic, 2009, p. 20). 

 

Le second principe régissant la disjonction entre activités orales et enseignement de l’écrit est le suivant : on n’apprend pas à écrire tout ce qu’on sait dire. Cela permet de se libérer des pesanteurs de l’écrit pour introduire beaucoup de mots pendant les activités orales et cela permet de respecter une programmation la plus logique possible des caractères à apprendre à l’écrit, en se concentrant sur les caractères et les composants les plus fréquents.

 

Par exemple lors d’une activité de compréhension et d’expression orales, au cours de laquelle les apprenants doivent aborder les genres de musique qu’ils aiment écouter, on peut introduire différents styles musicaux en les notant en pinyin, dont yáogǔn yuè (rock), ou juéshì yuè (jazz). Mais on ne demandera pas ensuite aux apprenants de savoir les écrire tous, ni même de les lire en caractères, car certains mots (comme les deux cités ici) s’écrivent avec des caractères très peu fréquents, dont l’apprentissage ne ferait que retarder l’acquisition de caractères plus utiles

 

La disjonction oral/écrit procure une grande liberté pédagogique en libérant comme on le voit l’oral de l’entrave de l’écrit. Elle procure aussi une grande liberté didactique en autorisant un enseignement des caractères non plus exhaustif (on ne doit plus enseigner à écrire tout ce qu’on apprend à dire), mais sélectif, où enseignants et apprenants peuvent donc se focaliser sur l’enseignement et l’apprentissage de la forme graphique des caractères, en sélectionnant ces derniers comme bon leur semble parmi tous ceux pouvant écrire les mots déjà utilisés lors des activités orales.

 

Toutes proportions gardées, on est donc un peu dans la situation des didacticiens de l’école Beiguan au seuil de leurs séquences d’enseignement regroupés des caractères, quand ils peuvent choisir en toute liberté la façon dont ils vont associer les nouveaux caractères dans chaque leçon.

 

4.2 Le rôle central des « caractères premiers » 

J’ai tiré parti de deux listes de caractères réalisées pendant mes recherches de doctorat pour tâcher d’élaborer une programmation des sinogrammes la plus rationnelle et la plus logique possible. 

 

La première liste comporte 1 440 sinogrammes fréquents qui constituent ce que j’ai nommé dans ma thèse le « premier seuil d’accès à la lecture » (ou liste PSAL). Cette liste a été élaborée pour combler le vide de la didactique du chinois langue étrangère qui n’avait pas encore énoncé ce principe de seuil d’accès à la lecture et qui ne possédait pas une telle liste. 

 

La seconde est celle des « caractères premiers » potentiels. L’analyse graphique des sinogrammes de la liste PSAL avait abouti à l’identification d’une liste de 320 composants autonomes pouvant jouer le rôle de « caractères premiers ». Nous les avions ensuite répartis en trois groupes. 

 

88 « caractères premiers » potentiels, également listés comme « clés »

88字.png

 

109 « caractères premiers » potentiels composant au moins deux autres sinogrammes

109字.png

 

123 « caractères premiers » potentiels composant un seul autre sinogramme

123字.png

 

Je parle de « caractères premiers » potentiels, c’est-à-dire susceptibles de jouer ce rôle dans la méthode mais pas forcément assurés de l’endosser pour chacun d’entre eux. Car comme l’un des principes de l’enseignement raisonné des caractères est que l’apprenant doit (autant que possible) apprendre tout d’abord à l’oral au moins un mot du vocabulaire usuel que permettra d’écrire chaque caractère enseigné, il faut donc pouvoir relier chacun des « caractères premiers » à un mot (au moins) dont l’enseignement lors des activités orales est lui aussi légitime au moment prévu de l’apprentissage. Cela est facile pour un très grand nombre d’entre eux, notamment tous ceux qui sont des mots du vocabulaire courant, comme c’est le cas par exemple pour 白、包、车、元, et des dizaines d’autres. Cela n’a pas été compliqué non plus pour les « caractères premiers » potentiels, comme 化 ou , qui ne sont pas des mots à eux seuls mais qui peuvent s’associer un autre caractère de la liste PSAL pour former au moins un mot du vocabulaire usuel, par exemple ici 文 ou 学 pour former les mots 文化 (culture) ou 化学 (chimie) et  pour former le mot 风景 (paysage).

 

Mais cela n’a pas été possible pour d’autres « caractères premiers » potentiels, comme par exemple 此、并、ou , qui en plus d’être des sinogrammes correspondant à des morphèmes non libres, ne permettent d’écrire que des mots ou des locutions très peu utilisés au début de l’apprentissage. Leur introduction dans la méthode en tant que « caractères premiers » n’était donc pas souhaitable au moins dans un premier temps. 

 

Il va de soi également qu’il était impossible de présenter les nouveaux caractères de façon regroupée par ressemblances graphiques, comme dans le manuel de l’école Beiguan, à des apprenants non sinophones, mais nous avons veillé à ce que les « caractères premiers » soient toujours enseignés avant les caractères composés dans lesquels ils s’enchâssent, cela, comme on l’a vu, afin de faciliter la mémorisation de leur forme graphique. La différence avec le manuel de l’école Beiguan est que nous étalons ces familles de caractères sur plusieurs leçons. C’est ainsi queyuán est enseigné à l’unité 4 du manuel, yuǎn (loin) à l’unité 7 et wán (terminer) à l’unité 12 ; que bāo est enseigné dès l’unité 2 etpǎo (courir) à l’unité 14, etc.

 

 4.3 L’autre unité fondamentale : les « composants non autonomes »

 Comme dans l’approche de l’école Beiguan, nous avons voulu que les apprenants soient acteurs de leur apprentissage, en les amenant très vite à comprendre par eux-mêmes la logique interne du fonctionnement de l’écriture chinoise, et en les entraînant à décomposer tous les caractères composés. Voici deux illustrations montrant la façon dont la graphie des nouveaux caractères est présentée dans le manuel.

 

 

 

Illustration 3.png

 

Illustration 3. Extrait de la page 93 du manuel Le chinois…comme en Chine

 

Illustration 4.png

 

 

Illustration 4. Extrait de la page 103 du manuel Le chinois…comme en Chine

 

A l’exception des premières leçons de caractères qui concernent essentiellement les caractères à structure simple où la mémorisation de la graphie passe essentiellement par l’écriture du sinogramme – ce qui concerne une soixantaine de caractères répartis par groupes de sept ou huit sur les deux premières unités du manuel – tous les autres moments d’enseignement-apprentissage des caractères se présentent toujours sous forme d’exercices, à faire chez soi ou pendant les cours. Pour les caractères composés de composants-caractères, on demande aux étudiants de nommer chacun de ces derniers, soit en pinyin, soit en donnant leur signification en français. On leur demande ensuite de réfléchir aux liens entre graphie, signification et prononciation du caractère composé, en les aidant parfois – mais seulement quand cela est pertinent – par l’ajout d’une courte explication d’ordre étymologique pour que l’empreinte mnésique lié à ces nouveaux caractères soit aussi bonne que possible. 

 

Ces leçons sont très appréciées par les étudiants, notamment de part ces explications touchant à l’étymologie. Elles leur permettent de faire d’une pierre deux coups car comme ils doivent réactiver certains caractères déjà appris pour décrire la graphie des nouveaux sinogrammes, ils augmentent leur vocabulaire écrit tout en ayant la possibilité de consolider leurs acquis. 

 

Un autre cas de figure apparaît lui aussi très tôt dans la méthode, comme le montre l’illustration n°4. Celui des caractères de structure complexe, composés de composants non autonomes. Là encore, la consigne donnée au début de la leçon de caractères est la même : les apprenants doivent indiquer le nom en français des CNA (acronyme utilisé dans le manuel et pendant les cours pour désigner les composants non autonomes). Il est en effet à nos yeux très important que les étudiants puissent identifier rapidement et nommer tous les éléments graphiques des caractères composés, afin de mieux distinguer les caractères qui se ressemblent et éviter ainsi nombre de confusions, et pour mémoriser plus durablement leur forme graphique, sans forcément avoir besoin de les recopier très souvent. 

 

Nous avons donc de nouveau analysé la graphie des 1 400 sinogrammes de la liste PSAL pour dresser cette fois l’inventaire des CNA entrant dans leur composition. Ils peuvent être divisés en deux groupes : 

 

Il y a en tout d’abord une soixantaine qui figurent déjà dans les tableaux traditionnels des clés, et qui à ce titre possédaient déjà un nom que nous avons conservé, comme c’est le cas du « CNA des plantes » , du « CNA de la parole » , ou du « CNA de l'eau » , etc. Les voici, par ordre décroissant de fréquence : 

 

          亻,氵,艹,扌,讠,宀,辶,纟,阝,刂,攵,钅,竹字头,彳,冫,忄,亠,丷,尸,囗,皿,个字头,夂,卩,衤 ,彐,礻,灬,厶,欠,匕,饣,穴,左字旁,彡,冂,罒,酉,廾,卜,聿,疒,舟,犭,耂,匚,爫,矢,丬,歹,糸,虍,氏,廴,弋,戈,羽,隹,釆,缶 

 

Nous avons également identifié d’autres CNA, qui eux ne sont pas référencés dans les tableaux des clés et qui ne possédaient pas encore de nom conventionnel. Comme par exemple la partie supérieure des caractères 有 et  ;la partie droite des caractères 轻 et  ; «  » entrant dans la composition des caractères et  ; ou encore «  » entrant dans la composition de 寓,遇 et .Nous avons donc cherché quel nom nous pouvions leur donner afin d’aider les étudiants à les identifier et si possible à les mémoriser. Nous avons tâché de respecter l’évolution graphique des sinogrammes en donnant à chacun de ces composants le nom de ce qu’il représentait à l’origine. C’est ainsi que les deux traits en haut de 有 sont appelés dans notre méthode le « CNA de la main » ; la partie droite du caractère , le « CNA du métier à tisser » ; «  », le CNA « cloche avec anneau » ; et «  », le CNA « guenon ». Ce second type de CNA compte une vingtaine d’unités. 

 

L’illustration n°4 montre l’utilité pédagogique de ces listes de CNA à travers l’exemple du caractère  (avoir) représentant une main et un morceau de viande et celui de , écrivant le morphème non libre yǒu (amitié), qui est un signe représentant deux mains. Un apprenant ne sachant pas que les deux premiers traits de ces deux caractères représentent une main – ce qui peut arriver car ce CNA ne figure pas dans les listes de clés habituelles—passerait, à notre avis, à côté d’une information non seulement intéressante du point de vue culturel, mais surtout très utile du point de vue de l’apprentissage de l’écriture. 

 

Conclusion

Cela fait déjà une quinzaine d’années que nous expérimentons à l’université Rennes 2 cette méthode d’enseignement-apprentissage raisonnée des sinogrammes, inspirée de la méthode d’enseignement « regroupé » des caractères de l’école Beiguan. Comme nous l’avons vu, c’est la disjonction de l’oral et de l’écrit qui nous a permis d’avoir plus de liberté dans le choix et la programmation des caractères à enseigner, tout comme c’était le cas pour la méthode chinoise avec un enseignement des caractères indépendant des leçons de lecture de textes. Cette méthode d’enseignement, en allant ainsi des « caractères premiers » aux caractères composés, et qui nomme chaque élément graphique afin de développer la mnémotechnie, met bien en valeur les propriétés spécifiques et l’économie générale de l’écriture chinoise. Nous pouvons attester qu’elle produit de très bons résultats sur le plan de la mémorisation à long terme des caractères. Elle permet aussi aux étudiants de modifier d’eux-mêmes et assez rapidement, dès les premières leçons de décomposition graphique des caractères, la représentation erronée qu’ils avaient au départ de l’écriture chinoise, en réalisant qu’elle forme un système certes très différent mais tout aussi cohérent et rationnel que celui des alphabets et des syllabaires. 

 

Bibliographie

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Zhang Tianruo张田若, 1989, 吸收安子介学说·集中识字教学法又有新发展 [En appliquant les théories d'An Zijie – La méthode d'enseignement regroupé des caractères connaît un nouvel essor] , 汉字文化1-2/1989.

 

11 mai 2025
Le registre du chinois oral : spécificités, rôle et pratique dans l’enseignement
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Guo Jing (INALCO)

 

Résumé : Dans certaines langues, l’oral et l’écrit présentent des écarts significatifs, tandis que dans d'autres, les différences sont moins marquées. Le chinois standard (普通话 Pǔtōnghuà) fait partie des langues où les différences entre les registres de l’écrit et de l'oral sont particulièrement prononcées (Lü, 2007, p. 34 ; Hu, 1993 ; Li, 2018). Cet article traite des spécificités du registre du chinois oral ainsi que sa place dans les documents de référence, le système d’évaluation et en classe. En prenant l’exemple de l’enseignement du chinois à l’Inalco, nous présenterons les mesures pédagogiques mises en place par notre équipe d’enseignants pour en favoriser l’acquisition.

Mots clés : registres, oral, chinois, grammaire

 

Abstract : In some languages, the differences between spoken and written forms are significant, while in others, these differences are less pronounced. Standard Chinese (普通话 Pǔtōnghuà) is one of the languages where the differences between the registers of written and spoken forms are considerable (Lü, 2007, p. 34 ; Hu, 1993 ; Li, 2018). This paper discusses the specificities of the register of spoken Chinese, as well as its place in reference documents, evaluation systems, and classroom teaching. Using the example of Chinese teaching at Inalco, we will present the pedagogical measures implemented by our teaching team to promote its acquisition.

Keywords: registers, spoken language, Chinese, grammar

 

1. Distinguer le chinois oral (汉语口语 Hànyǔ kǒuyǔ) et le chinois écrit (汉语书面语  Hànyǔ shūmiànyǔ)

1.1. Le chinois oral et le chinois écrit 

Dans le chinois standard (普通话 Pǔtōnghuà), les termes « oral » et « écrit » désignent à la fois les modes de communication et les registres de langue. Selon Feng Shengli et Shi Chunhong (2018, p. 302), le registre (语体 yǔtǐ) est « un mécanisme linguistique qui permet aux individus d'exprimer ou de définir leurs relations et leur distance mutuelle dans une interaction directe, en utilisant le langage ». En fonction des éléments constitutifs de la communication (le destinataire, le lieu, le contenu (Feng, 2010), il est possible de varier le degré de formalité, ce qui permet de définir le registre de la langue (formel, neutre, informel).

 

Afin d'éviter toute confusion, dans notre article, nous utiliserons le terme « registre du chinois oral (汉语口语语体 Hànyǔ kǒuyǔ yǔtǐ) » pour désigner le registre informel du chinois et le terme « registre du chinois écrit (汉语书面语语体 Hànyǔ shūmiànyǔ yǔtǐ) » pour désigner le registre formel du chinois. Les expressions « chinois oral (汉语口语 Hànyǔ kǒuyǔ) » et « chinois écrit (汉语书面语 Hànyǔ shūmiànyǔ) » seront quant à elles utilisées pour désigner les modes de communication orale et écrite. 

 

Le registre du chinois oral fait référence au dialecte de Pékin du milieu du XXe siècle, exprimé dans un style informel (Chao, 1968). Il n’est pas réservé exclusivement à l'oral ; il est courant que des termes et expressions oraux soient utilisés dans des échanges écrits. Le registre du chinois écrit, quant à lui, fait référence au registre formel de la langue chinoise. Comme le registre du chinois oral, le registre du chinois écrit n'est pas uniquement utilisé pour l'écrit, mais peut également s'employer à l'oral (Feng, 2006). Il s'agit d'un registre formel construit à partir de la langue parlée, des dialectes, d'emprunts linguistiques, de la langue classique et de néologismes, avec une structure rythmique et grammaticale basée sur la langue parlée (Feng, 2006, p. 103). Le « registre neutre », enfin, désigne un registre intermédiaire entre le formel et l'informel (Sheng, 1994).

 

1.2. Les spécificités des registres du chinois oral (汉语口语语体 Hànyǔ kǒuyǔ yǔtǐ) et du chinois écrit (汉语书面语体 Hànyǔ shūmiànyǔ yǔtǐ)

Dans certaines langues, les différences entre l'oral et l'écrit sont très marquées, tandis que dans d'autres, elles sont plus faibles. Le chinois standard (普通话 Pǔtōnghuà) fait partie des langues où les différences entre les registres de l’écrit et de l'oral sont significatives (Lü, 2007, p. 34 ; Hu, 1993 ; Li, 2018). Cela s'explique en partie par la stabilité du système des sinogrammes (caractères chinois) au fil des millénaires, ce qui a permis de maintenir un lien fort entre le registre écrit du chinois contemporain et celui de la langue classique. Selon Drocourt (2007, p. 360-361, 1997), le registre du chinois écrit présente les caractéristiques suivantes :

 

1. « Il a conservé un fonds important de monosyllabes du chinois classique [...]. Leur emploi exige souvent une syntaxe différente de celle du registre courant » ;

2. « Contrairement au registre courant où les mots les plus usuels sont monosyllabiques, la langue écrite privilégie le vocabulaire dissyllabique » ;

3. « […] il accorde plus d'importance à la forme : le sujet grammatical y est systématiquement présent, le déterminant nominal est parfois très long et l'emploi des conjonctions y est plus répandu » ;

4. « N'ayant, a priori, pas de rapport avec la parole vive, il fait rarement usage des interjections[...] des particules modales [...] et le suffixe aspectuel ».

 

En comparaison, le registre du chinois oral a évolué plus rapidement que celui du chinois écrit. Dans le registre du chinois oral, la langue est beaucoup plus flexible. Les termes employés sont souvent familiers, les structures de phrases sont courtes, et des mots ou groupes de mots remplacent fréquemment des phrases complètes (Qi, 1996). À l'inverse du registre du chinois écrit dont les conjonctions peuvent parfois sembler redondantes pour exprimer une idée (Jia, 2003), dans le registre du chinois oral, les conjonctions sont rarement utilisées. 

 

De plus, certains mots couramment utilisés à l'oral n'ont pas de sinogrammes populaires ou reconnus qui leur correspondent. Par exemple, « » (hōu, « trop salé ou trop sucré ») et « » (yāo, « peser avec une balance »). Certaines expressions ou tournures de phrases très courantes à l'oral ne sont pas référencées dans les dictionnaires ni utilisées dans les écrits formels, comme « 哪儿的话 » (nǎr de huà, « ce n'est rien, je vous en prie ») ou « 闹了半天…… » (nào le bàntiān, « enfin, après tout ça... ») (Zhang, 2008, p. 91-92). Dans le registre du chinois oral, les locuteurs utilisent souvent des « 短意元 » (duǎnyìyuán ; unités courtes), organisées en fonction du sens à exprimer et des habitudes d'expression (Zhang, 2008, p. 93). Par exemple, pour répondre à la question « 这是谁干的 ? » (Zhè shì shéi gàn de ? « Qui a fait ça ? »), un locuteur chinois peut répondre de plusieurs façons : « 这是我干的 » (Zhè shì wǒ gàn de. « C'est moi qui ai fait ça. »), « 我干的 » (Wǒ gàn de. « Je l'ai fait. »), « 是我 » (Shì wǒ. « C'est moi. »), ou simplement « » (Wǒ. « Moi »).

 

Le phénomène de renversement « 倒装句» (dàozhuāngjù) entre le sujet et le prédicat est également très fréquent dans le registre du chinois oral. Le prédicat, élément grammatical décrivant l'action ou l'état du sujet (Chen, 1992), peut être placé avant le sujet pour souligner l'importance de l'action ou de l'état. Cette inversion, courante à l'oral, est rarement utilisée dans le registre du chinois écrit. Par exemple, pour dire « Il est déjà parti », la traduction correcte selon les règles grammaticales est « 他已经走了 » (Tā yǐjīng zǒu le. « Il est déjà parti. »). Toutefois, à l'oral, plusieurs variations sont possibles, ne respectant pas nécessairement cet ordre, comme : « 他走了,已经 » (Tā zǒu le, yǐjīng. « Il est parti, déjà »), « 已经走了,他 » (Yǐjīng zǒu le, tā. « déjà parti, lui »), ou encore « 走了已经,他 » (Zǒu le yǐjīng, tā. « parti déjà, lui ») (Zhang, 2008, p. 97). Ce phénomène s'explique par la tendance du locuteur à mentionner d'abord les informations les plus importantes, en plaçant les éléments secondaires en fin de phrase s'il a suffisamment de temps. Ce processus est appelé « 位移和补充 » (wèiyí hé bǔchōng, « déplacement et complémentation », pour plus de détails sur ce sujet, voir Lu et Shen, 2004, p. 162-207). 

 

Dans la vie quotidienne, les constructions s’éloignant de la norme grammaticale sont omniprésentes dans le registre du chinois oral. Par exemple, lors des conversations, on omet souvent des mots dont le sens est implicite, à tel point que les phrases sembleraient incorrectes si elles étaient utilisées dans d'autres contextes. Voici un exemple : « 他是个日本女人 » (Tā shì gè Rìběn nǚrén. « Lui, est une femme japonaise »). En réalité, dans ce contexte, les deux locuteurs parlent de servantes. Comme le sujet de la conversation est implicite, le locuteur a omis les mots « sa servante ». La phrase devient alors « (sa servante) est japonaise », ce qui est parfaitement compréhensible dans ce contexte spécifique, mais serait totalement erroné dans un autre. Ce phénomène est même très courant dans les interventions de bons conférenciers diffusées par les chaînes de télévision officielles (Wang, 2004). Puisque ce type de construction ne pose aucun problème de compréhension et que le sens est parfaitement clair, les locuteurs chinois ne la considèrent pas comme incorrecte. En revanche, si un apprenant novice s'entraîne seul avec un document audio contenant ce type de discours, ou en lit la transcription, il risque de ne pas comprendre, car l'enseignement du chinois repose généralement sur des supports issus du registre « discours conversationnel structuré » (句型化的口语 jùxínghuà de kǒuyǔ, Yang, 1997, p. 54). Dans ce style, les conversations orales sont formulées avec des structures grammaticalement complètes et respectent strictement les règles de grammaire, se situent souvent en dehors d’un contexte réel. Comme le souligne Drocourt (2007, p. 362), dans la pratique, on néglige très souvent la question des registres, ce qui conduit à des confusions dans l'utilisation de la langue chez les apprenants.

 

2. Quelle grammaire du chinois oral enseigner ?

Dans son étude sur le registre informel en classe de FLE (français langue étrangère) et de CLE (chinois langue étrangère), Qin Nan (2021) a constaté que le registre informel est souvent relégué au second plan au profit du registre neutre. Les enseignants et les apprenants reconnaissent l'importance de la variation linguistique, et les apprenants ont exprimé le désir d'apprendre le registre informel. Cependant, tous considèrent que la langue standard doit prédominer, tandis que le registre informel devrait occuper une place plus restreinte. Selon Qin Nan (2021), cela s’explique par l'influence des représentations sociales sur la norme et la variation linguistiques :

 

Le registre informel possède souvent une image négative notamment dans le cadre institutionnel. La langue standard est liée au nécessaire alors que le langage familier en option. La langue standard est censée être apprise en classe tandis que les variations, en dehors » (Qin Nan, 2021, p. 93).

 

Cette vision négative de l'enseignement du registre informel en classe est également largement répandue au sein de la communauté scientifique chinoise. Selon certains chercheurs, le chinois oral adapté à l'enseignement serait « guidé par le chinois écrit », ce qui correspond approximativement à « une conversation sans contrainte entre des Pékinois ayant reçu une éducation secondaire ou supérieure dans un contexte formel ». Il s'agit du « registre de langue parlée courante ou formelle utilisé dans des situations de communication générale »  (Chen, 1992, p. 27 ; Wang, 1999 ; Xu, 2016). Par conséquent, dans l'enseignement du chinois oral, l'objectif serait « de former l'apprenant à l'expression et à la compréhension orales, et non d'enseigner le registre oral », car « certaines caractéristiques grammaticales, bien qu'utiles pour l'étude du registre oral, ne sont pas toutes adaptées à l'enseignement » (Xu, 2016, p. 7).

 

Malgré cette vision contestable concernant l'objectif de l'enseignement du chinois oral en classe, de nombreux travaux réalisés par des linguistes ont permis des avancées significatives dans la conception des programmes de grammaire du chinois oral (Li, 2004 ; Xu, 2016 ; Feng et Shi, 2018). Une des propositions très intéressante décrit la grammaire du chinois oral en trois domaines : la structure linguistique, la modalité et le discours (结构范畴语法jiégòu fànchóu yǔfǎ, 情态范畴语法qíngtài fànchóu yǔfǎ和话语范畴语法 huàyǔ fànchóu yǔfǎ, Xu, 2016). Dans le domaine de la structure linguistique, on étudie les phénomènes grammaticaux spécifiques à la langue orale, ainsi que les expressions idiomatiques structurées. Le domaine de la modalité regroupe les formes linguistiques qui expriment le degré de certitude du locuteur par rapport à la proposition, son attitude envers l'interlocuteur, ainsi que la source de l'information. Enfin, dans le domaine du discours, on analyse les formes linguistiques permettant d'initier ou de prendre la parole, de maintenir ou changer de sujet, de conclure un sujet, de donner un retour sur le contexte et de répondre de manière idiomatique.

 

3. Le registre du chinois oral dans les documents de référence

L'importance du registre du chinois oral n'est pas suffisamment mise en avant dans les documents de référence ni dans les dispositifs d'évaluation. Voici quelques exemples.

 

3.1.《现代汉语词典》Xiàndài Hànyǔ cídiǎn (« Dictionnaire de chinois contemporain »)

Le《现代汉语词典》Xiàndài Hànyǔ cídiǎn (« Dictionnaire de chinois contemporain ») est un dictionnaire de chinois publié par Commercial Press (商务印书馆Shāngwùyìnshūguǎn) en 1978 et réédité plusieurs fois depuis. Il contient 69 000 entrées dans sa 7e édition (2016). 

 

C'est le dictionnaire de référence de la langue chinoise. On constate que, dans ses différentes éditions, les entrées du registre oral du chinois ne sont pas toujours clairement indiquées. Bien que la 2ᵉ édition (1983) ait mentionné les mots et expressions de ce registre, cette notation a été supprimée dans la 3ᵉ édition (1996). Ce n'est qu'à partir de la 5ᵉ édition (2005) que cette indication a été restaurée. C’est le cas, par exemple, du mot « 白班 báibān » (service de jour ou équipe de jour). Cependant, sur les 65 000 entrées de cette édition, seules 908 sont spécifiques au registre oral du chinois. En effet, de nombreux mots et expressions propres à ce registre n'ont pas été inclus ou sont mal identifiés (Liu, 2010).

 

3.2. HSKK (汉语水平口语考试 Hànyǔ Shuǐpín Kǒuyǔ Kǎoshì « Chinese speaking proficiency test »)

Créé en 1984 et introduit à l'international en 1991, le HSK (汉语水平考试 Hànyǔ Shuǐpín Kǎoshì) est le test de niveau de chinois le plus prestigieux. C'est un test standardisé qui évalue principalement la capacité des candidats non sinophones à utiliser le chinois dans leur vie quotidienne, leurs études et leur travail. Les résultats du HSK sont une condition préalable pour les étudiants étrangers qui souhaitent étudier en Chine ou postuler à une bourse d'études. Ils constituent également une preuve de compétence linguistique pour les étrangers désirant travailler, obtenir un permis de séjour permanent ou immigrer en Chine. Les niveaux décrits dans le HSK font partie des objectifs linguistiques à atteindre dans presque tous les centres de formation de chinois, en Chine et à l'international.

 

Le HSKK (汉语水平口语考试 Hànyǔ Shuǐpín Kǒuyǔ Kǎoshì) est le test oral associé au HSK. Selon la description du HSKK, les candidats qui réussissent le niveau débutant sont capables de comprendre et de s'exprimer en chinois sur des sujets courants de la vie quotidienne, répondant ainsi aux besoins de communication de base. Ceux qui réussissent le niveau intermédiaire sont en mesure de comprendre et de communiquer en chinois de manière relativement fluide avec des locuteurs natifs. Enfin, les candidats ayant réussi le niveau avancé peuvent comprendre et s'exprimer en chinois de façon fluide, tout en exprimant leurs opinions de manière claire et précise.

 

On constate que dans cette description de niveau, le critère important distinguant les niveaux est la fluidité et l'étendue du sujet, il n'y a aucune exigence concernant la maîtrise du registre oral. Même dans le déroulement de ce test, aucune étape ne reproduit une situation d'interaction entre le candidat et un locuteur natif dans laquelle le candidat est invité à s'exprimer avec le registre du chinois oral. Par exemple, pour le test de niveau avancé, il y a trois parties : dans la première partie, un court texte audio est diffusé et le candidat doit le répéter après écoute. La deuxième partie est la lecture à haute voix. Un texte est fourni sur la feuille d'examen et le candidat doit le lire à haute voix. La troisième partie est la réponse à des questions. Deux questions sont fournies sur la feuille d'examen et le candidat doit y répondre après les avoir lues.

 

3.3. HKC (汉语口语水平测试 Hànyǔ Kǒuyǔ shuǐpíng Cèshì « Chinese Oral Proficiency Test ») et 《汉语口语水平等级标准及测试大纲》 Hànyǔ Kǒuyǔ shuǐpíng děngjí biāozhǔn jí cèshì dàgāng ( « Spoken Chinese Proficiency Grading Standards and Testing Guideline »)

En octobre 2010, le Ministère de l'Éducation nationale de Chine et la Commission nationale de la langue chinoise (国家语言文字工作委员会Guójiā Yǔyán Wénzì Gōngzuò Wěiyuánhuì ) ont publié, pour la première fois, un document officiel fournissant des listes de vocabulaire pour évaluer l'oral en chinois. Ce document introduit le test de production orale intitulé 汉语口语水平测试 Hànyǔ Kǒuyǔ shuǐpíng Cèshì (HKC) (Guo, 2020), accompagné de trois listes de 8 300 mots. Il représente la première norme nationale de test de niveau de l'oral pour les locuteurs non natifs du chinois ainsi que pour les Chinois d'outre-mer et d'origine chinoise. Le HKC évalue les candidats selon trois niveaux (débutant, intermédiaire et avancé), chacun étant subdivisé en trois sous-niveaux.

 

Bien que le document définisse le terme « oral » (口语 kǒuyǔ ) comme « la variante orale de la langue » (“语言的口头变体yǔyán de kǒutóu biàntǐ) (《 汉语口语水平等级标准及测试大纲 》Hànyǔ Kǒuyǔ shuǐpíng děngjí biāozhǔn jí cèshì dàgāng2010, p. 1), il semble que, dans la pratique, la notion d’oral se réduise à une production orale conforme à la langue standard, avec un registre neutre et écrit. En effet, ce test évalue la capacité de l’apprenant à maîtriser la prononciation, la grammaire, l’exactitude, la fluidité, ainsi que les trois listes de vocabulaire définies, sans mettre en avant les caractéristiques du registre du chinois oral dans ses critères d’évaluation. Par exemple, pour le niveau avancé, les compétences attendues sont décrites comme suit (p. 3) :

 

Dans un contexte plus vaste que la vie quotidienne, la capacité à accomplir des tâches de communication orale en chinois implique la maîtrise des caractéristiques sonores, rythmiques et tonales du chinois standard, ainsi qu'une prononciation correcte. Il est également important de maîtriser un vocabulaire avancé et d'utiliser des termes précis, tout en étant capable d'employer différentes formes de phrases simples et complexes pour s'exprimer oralement, avec une hiérarchie claire et une grammaire essentiellement normative. 

 

Dans le déroulement de ce test, comme dans le HSKK, il n'y a aucune évaluation de l'interaction orale en situation de conversation, car le test se déroule entre le candidat et un ordinateur. Les étapes du test sont les suivantes : lire à haute voix ; répondre à des questions en regardant une image ; répéter le contenu entendu ; décrire une image ; expliquer les raisons en fonction du contenu ou donner son avis en regardant une vidéo ; prononcer un court discours sur un sujet donné, comme par exemple « mon endroit préféré ».

 

Par ailleurs, les 8 300 mots ont été sélectionnés en référence à des documents officiels importants, tels que « la liste de mots fréquents des journaux, des médias télévisés et d'Internet » et « la liste des mots fréquents de la langue chinoise contemporaine ». Les corpus oraux contenant des conversations informelles et authentiques, tels que les films et les séries, sont absents. Il n'est donc pas surprenant que de nombreux mots de cette liste ne soient pas du tout utilisés dans le registre oral, car ils sont rarement, voire jamais, employés dans des conversations informelles (par exemple : 党中央 dǎngzhōngyāng « Comité central du Parti », 当前 dāngqián « actuel, présent », 道路 dàolù « route, chemin », 对比 (duìbǐ) « comparer, contraste », p. 17 ; 传递 chuándì « transmettre, faire passer », 传输 chuánshū « transmettre (données, informations) », 传承 chuánchéng « hériter, transmettre une tradition », p. 88 ; 宣读 xuāndú « lire à voix haute officiellement », 选取 xuǎnqǔ « sélectionner, choisir », 选用 xuǎnyòng « choisir et utiliser », 削弱 xuēruò « affaiblir », 严寒 yánhán «  froid rigoureux », 言语 yányǔ « paroles, langage », p. 116 ; 撞击 zhuàngjī « heurter, percuter », 追逐 zhuīzhú « poursuivre, courir après », 准入 zhǔnrù « accès autorisé », 资费 zīfèi « frais, coûts », 宗旨 zōngzhǐ « objectif, but principal », 总书记 zǒngshūjì « Secrétaire général », p. 123).

 

3.4. 《国际中文教育中文水平等级标准》Guójì Zhōngwén jiàoyù Zhōngwén shuǐpíng děngjí biāozhǔn ( « Chinese Proficiency Grading Standards for International Chinese Language Education »)

Le Chinese Proficiency Grading Standards for International Chinese Language Education (《国际中文教育中文水平等级标准》(2021), désormais désigné par « Standard ») est la première norme établie par le Comité national de la langue chinoise pour les apprenants étrangers de chinois. Ce document décrit et évalue de manière exhaustive les compétences linguistiques et le niveau en chinois des apprenants. Le « Standard » divise le niveau de chinois en « trois niveaux et neuf grades », en utilisant les quatre éléments de base de la langue : les syllabes, les sinogrammes (caractères chinois), le vocabulaire et la grammaire, pour former les quatre dimensions de référence. Les dimensions d'évaluation comprennent la capacité à communiquer en chinois, les sujets et les tâches, ainsi que les indicateurs quantitatifs de la langue. Les compétences linguistiques évaluées sont la compréhension orale, l'expression orale, la lecture, l'expression écrite et la traduction.

 

Dans ce document, l'idée des registres (“语言得体yǔyán détǐ) apparaît dès le 6e niveau, sans être développée en profondeur. L'expression décrite est : « Capable d'exprimer pleinement ses opinions et ses émotions personnelles, avec une expression fluide, un vocabulaire riche, dans un registre globalement approprié et avec une logique solide » (“较充分地表达个人见解和思想感情,表达顺畅,用词丰富,基本得体,逻辑性较强, p. 6). À partir du 7e niveau, l’apprenant est censé être « capable d'adapter son expression en fonction de la situation de communication, dans un registre approprié » (“能够根据交际场景调整表达方式, 语言表达得体, p. 7).

 

Le « Standard » sera désormais le document de référence pour tous les aspects de l’enseignement du chinois. En effet, il servira de base pour l'élaboration des programmes, des manuels, des matériaux pédagogiques et des tests de langue dans le monde entier. Avec la mise en application de ce document en 2021, le test de niveau du chinois HSK a subi d’importantes modifications, évaluant désormais les apprenants sur 9 niveaux (au lieu de 6), avec un nouveau programme qui sera progressivement mis en place dans les années à venir. Au moment où nous rédigeons cette étude, il semble que les tests oraux HSKK et HKC n’aient pas encore été modifiés.

 

4. Enseigner le registre du chinois oral en classe

L'enseignement du registre du chinois oral n’est pas suffisamment développé, voire négligé en classe.

 

Tout d'abord, en dehors des départements de LEA et de LLCER dans les universités, il existe peu de centres de formation en chinois qui proposent des cours spécifiquement axés sur l'expression orale, comme c’est parfois le cas dans l'enseignement secondaire (collège et lycée) et dans l'enseignement supérieur. À titre d’exemple, on peut citer les cours au Collège Carnot à Dijon, les cours à l’Institut Emmanuel d’Alzon à Nîmes, les cours de LANSAD proposés par l’Université de Strasbourg et Aix-Marseille Université, ou encore ceux dispensés à l’École Internationale Tunon et à l’École PIGIER de Strasbourg. Dans ces cours, où le temps est limité, l'enseignant doit faire des choix parmi les contenus à traiter. Très souvent, il privilégie l’apprentissage basé sur des supports écrits. Par conséquent, la pratique de l'oral se réduit généralement à la répétition de ce qui a été appris à l'écrit, laissant aux apprenants peu d’occasions de découvrir les caractéristiques propres au chinois oral.

 

Certaines universités, comme l’Université de Strasbourg ou l’Inalco, proposent des cours axés sur l’expression orale. Cependant, elles manquent souvent de manuels adaptés pour atteindre efficacement cet objectif. Dans la plupart des manuels de chinois, la distinction entre les registres de langue n'est pas très claire, par exemple on peut citer « 你说吧 ! Nǐ shuō ba ! » (Arslangul et al., 2013) ; « Le chinois sans peine (Tome 1) » (Kantor, 2002) ; « Méthode de chinois premier niveau 汉语入门 » (Rabut et al., 2003) et « Méthode de chinois deuxième niveau 中级汉语(上)» (Drocourt et al., 2017). En ce qui concerne le vocabulaire et la grammaire, le registre présenté dans ces manuels correspond généralement à un chinois standard de base avec un registre neutre. Par conséquent, on observe peu de différences entre les manuels de chinois oral et écrit, qui ce soit en termes de contenu linguistique ou de méthodes d'expression (« 集中识字Lecture Intensive » et « 口语速成  Conversation intensive », Zhang, 2002 ; « 汉语会话301 301 phrases dans les conversations en chinois Tome 1) » Kang et Lai2005). Dans la pratique de l'enseignement, la proportion de registre neutre dans les manuels est très élevée, et la durée d'utilisation est longue, couvrant les niveaux débutant, intermédiaire et avancé (Li, 2004).

 

Cette négligence des registres de langue conduit soit à l'absence d'apprentissage du registre du chinois oral dans les cours, soit à son introduction tardive. Le document de référence le plus important en matière d'enseignement/apprentissage des langues étrangères, le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL, Conseil de l’Europe, 2001), préconise qu’au niveau inférieur à B2, l’apprenant peut « s’exprimer et répondre à un large éventail de fonctions langagières en utilisant leurs expressions les plus courantes dans un registre neutre » (p. 95). Ce n’est qu’à partir du niveau B2 que l'apprenant « peut s'exprimer avec assurance, clairement et poliment dans un registre formel ou informel approprié à la situation et aux personnes en cause » (Conseil de l'Europe, 2001, p. 95). Cependant, pour le chinois, l’absence d’introduction au le registre informel dès les premiers niveaux nous semble problématique.

 

Prenons l'exemple de la formule « bonjour ». Au département des études chinoises à l’Inalco, comme dans la majorité des centres de formation, l'enseignement privilégie la langue standard avec un registre plutôt neutre, voire formel. Les formules de politesse de base, telles que « bonjour », « au revoir », « merci », « de rien », sont introduites dès le début de l'apprentissage. Ainsi, pour dire « bonjour », les formules « 你好 » (Nǐ hǎo. « Bonjour à toi ») et « 你好吗? » (Nǐ hǎo ma ? « Est-ce que tu vas bien ? ») sont présentées dès les premières leçons. Le problème est qu'en Chine, ces formules ne sont utilisées que dans des contextes formels et restreints. Elles ne conviennent pas aux échanges entre personnes proches. Pour se saluer, au lieu de dire « bonjour », un Chinois peut demander à son interlocuteur « 吃了吗? » (Chī le ma ? « Avez-vous mangé ? ») si c'est le moment du repas, « 要出去呀? » (Yào chūqù ya ? « Allez-vous sortir ? ») si son interlocuteur quitte l'immeuble, ou encore « 去哪儿啊?» (Qù nǎr a ? « où allez-vous ? »). En effet, entre personnes très proches, il est possible de saluer par des phrases qui décrivent le moment de la rencontre, comme « 在休息哪 ? » (Xiūxi na ? « Tu te reposes ? »), « 做饭哪 ? » (Zuòfàn na ? « Tu fais à manger ? »), « 干什么哪 ?» (Gàn shénme na ? « Que fais-tu ? »), « 今天没出门啊 ? » (Jīntiān méi chūmén a ? « Tu n'es pas sorti aujourd'hui ? »), etc. L'emploi de la formule « 你好 » (Nǐ hǎo) entre personnes proches n'est pas approprié. Introduire cette formule dès les premières leçons peut donner l'impression qu'elle est couramment utilisée dans des situations informelles similaires. Sans explication claire, les apprenants risquent de mal comprendre cette règle et de continuer à faire cette erreur même au niveau intermédiaire. Voici un extrait d'un dialogue entre un père et son fils, créé par deux étudiants en deuxième année de licence à l’Inalco :

 

儿子:爸爸,你好*,你最近好吗?

爸爸:不太好。

Érzi: Bàba, nǐ hǎo*, nǐ zuìjìn hǎo ma?

Bàba: Bù tài hǎo.

Fils : Papa, bonjour, comment vas-tu récemment ? »

Papa : Pas très bien.

 

Dans cet exercice, les deux apprenants présentent une scène où le fils rend visite à son père. Pour saluer ce dernier, le fils utilise la formule formelle « Bonjour » (« 你好 » Nǐ hǎo), ce qui n’est pas approprié.

 

5. L’enseignement du registre du chinois oral à Inalco

Afin de renforcer l’apprentissage de l’oral et surtout du registre du chinois oral, beaucoup de mesures ont été mises en place au sein du département des études chinoises à l’Inalco. Il s’agit notamment de la conception d’une nouvelle méthode de langue, de la création d’un dispositif eTandem chinois/français et de la création d’un atelier de théâtre chinois.

 

5.1. Une méthode de langue pour sensibiliser l’apprenant au registre oral

Avec une équipe d’enseignants, nous avons conçu une méthode de chinois dédiée aux apprenants en deuxième année de licence : « Méthode de chinois troisième niveau 中级汉语(下) » (Arslangul et al., 2019). Cette méthode est la suite de deux autres méthodes utilisées en année d‘initiation et en première année de licence à l’Inalco. Elle est utilisée dans cinq cours de langue : compréhension orale, expression orale, lecture, expression écrite et grammaire/vocabulaire. Cette méthode prépare l’apprenant à atteindre le niveau B2 du CECRL. Une des grandes caractéristiques de cette méthode est que le point central de la conception de chaque leçon a été le choix d’un thème socioculturel important de la société chinoise contemporaine. L’enseignement de ces thèmes est accompagné des activités langagières sollicitant aussi bien les compétences sociolinguistiques que les compétences linguistiques et pragmatiques.

 

Une attention particulière est apportée à la sensibilisation des apprenants aux différents registres, comme le soulignent les auteurs (Arslangul et al., 2019, p. 19) : « On habitue ici systématiquement l’apprenant à identifier les correspondances entre registre oral et écrit ».  Pour chaque leçon, une liste de vocabulaire oral et une liste de vocabulaire écrit sont proposées, accompagnées d'une section dédiée à l'explication de la grammaire et du vocabulaire, spécifiquement réservée aux différents registres (« registre soutenu » et « registre familier »).

 

Dans notre méthode, nous privilégions un langage naturel et authentique, car « nous visons à aider les apprenants à comprendre la langue orale (...) telle qu’elle est utilisée par les locuteurs natifs ». Ainsi, de nombreux mots et expressions appartenant au registre oral sont introduits dans les exercices de compréhension orale, qui servent de modèles pour les exercices d’expression orale. Par exemple, nous avons introduit la particule modale dissyllabique « 着呢 zhene » (« 喜欢他的女孩儿多着呢! Xǐhuān tā de nǚhár duō zhene! Il y a beaucoup de filles qui l’aiment ! »), l’adverbe «   » (« 可不是嘛! Kě bu shì ma!  Ça, c’est bien vrai ! »), ainsi que les expressions « 吃个痛快!Chī ge tòngkuài!  Mange à ta guise ! » et « 这还不说,Zhè hái bù shuō, Et ce n’est pas tout... ».

 

Par ailleurs, afin de sensibiliser les apprenants aux spécificités du registre oral, plusieurs interviews spontanées, réalisées sans texte préécrit, sont intégrées et fidèlement transcrites. Voici deux exemples :

 

Exemple 1 : 

记者:小君,你周围有没有丁克的朋友(5)

小君:我周围有,就是(1)我原来在北京工作的时候,有同事是丁克家庭。是一位男同事,然后他的妻子(3)也是那个主张 (préconiser) 丁克的。所以他们两个就决定不要孩子。那他们家里呢(3)是养 (élever) 两条狗。然后我跟他们关系很好,所以有时候周末去他们家玩,我就发现他们过得特别滋润 (zīrủn, humide, [ici] mener une vie confortable) 就是(1)他们下班以后有时候累了,回家去那种/(2)就是(1)中国有很多那种洗脚店 (salon de massage des pieds) (3)什么的。他们去那个/(2)也不用管孩子。然后周末就活动很多、很丰富。

 

JìzhěXiǎojūn, nǐ zhōuwéi yǒu méi yǒu dīngkè de péngyǒu ne (5) ?
Xiǎo Jūn: Wǒ zhōuwéi yǒu, jiùshì (1) wǒ yuánlái zài Běijīng gōngzuò de shíhou, yǒu tóngshì shì Dīngkè jiātíng. Shì yí wèi nán tóngshì, ránhòu tā de qīzi ne (3) yěshì nàge zhǔzhāng Dīngkè de. Suǒyǐ tāmen liǎng gè jiù juédìng bú yào háizi. Nà tāmen jiālǐ ne (3) shì yǎng liǎng tiáo gǒu. Ránhòu wǒ gēn tāmen guānxì hěn hǎo, suǒyǐ yǒu shíhou zhōumò qù tāmen jiā wán, wǒ jiù fāxiàn tāmen guò de tèbié zīrùn. Jiùshì (1) tāmen xiàbān yǐhòu yǒu shíhou lèi le, huí jiā qù nà zhǒng/ (2) jiùshì (1) Zhōngguó yǒu hěn duō nà zhǒng xǐjiǎo diàn a (3) shénme de. Tāmen qù nàgè /(2) yě búyòng guǎn háizi. Ránhòu zhōumò jiù huódòng hěn duō, hěn fēngfù.

Journaliste : Xiaojun, est-ce que tu as des amis qui sont DINK (Double Income, No Kids) autour de toi ?

Xiaojun : Oui, j’en ai. Par exemple, quand je travaillais à Pékin, j’avais un collègue qui avait une famille DINK. C’était un collègue masculin, et sa femme aussi préconisait le mode de vie DINK. Donc, tous les deux ont décidé de ne pas avoir d’enfants. Chez eux, ils ont deux chiens. J’entretiens de bonnes relations avec eux, alors parfois, je vais chez eux le week-end. Et j’ai remarqué qu’ils mènent une vie particulièrement confortable. Par exemple, après le travail, quand ils sont fatigués, ils rentrent à la maison ou bien ils vont dans un de ces salons de massage des pieds qui sont très fréquents en Chine. Ils n’ont pas à s’occuper d’enfants. Et puis, leurs week-ends sont remplis d’activités variées et très riches.

 

Exemple 2 : 

记者:那他们都不学钢琴是不是 (5)

姜欢晨:不学。

记者:那你也/(2)你要是不学你跟妈妈说不学(1)不行吗?

姜欢晨:不行。

记者:为什么?

姜欢晨:我跟她说了。不行(4)必须要弹下来 ! 以后生活会好的!

 

Jìzhě: Nà tāmen dōu bù xué gāngqín shì bù shì (5)
Jiang Huancheng : Bù xué.
Jìzhě: Nà nǐ yě /(2) nǐ yào shì bù xué, nǐ gēn māma shuō bù xué (1) bù xíng ma
Jiang Huancheng : Bù xíng.
Jìzhě: Wèi shénme
Jiang Huancheng :Wǒ gēn tā shuō le. “Bù xíng (4)Bìxū yào tán xiàlái! Yǐhòu shēnghuó huì hǎo de!”

 

Journaliste : Alors, aucun d'entre eux n'apprend le piano, n'est-ce pas ?
Jiang Huancheng : Non, ils n'apprennent pas.

Journaliste : Et toi… si tu ne veux pas apprendre, tu ne peux pas dire à ta mère que tu ne veux pas apprendre ?
Jiang Huancheng : Non, ce n'est pas possible.

Journaliste : Pourquoi ?
Jiang Huancheng : Je lui ai (déjà) dit. (Mais elle m’a dit), "ce n'est pas possible ! Il faut que tu continues à jouer ! Plus tard, ta vie sera meilleure !"

 

Dans l’exemple 1, une femme raconte à la journaliste la vie d’un collègue qui ne souhaite pas avoir d’enfants. Dans l’exemple 2, une petite fille de 7 ans explique à la journaliste pourquoi sa mère la force à apprendre le piano. Dans les deux transcriptions, les redondances (1), les hésitations, les changements brusques de sujet ou de fil conducteur (2), les interjections et les particules modales (3), les phrases courtes et les omissions (4), ainsi que les inversions (5), ont tous été conservés.

 

En ce qui concerne notre cours d’expression orale, un entraînement hebdomadaire permet aux apprenants de pratiquer le chinois oral dans un contexte de communication, imaginaire mais très proche de la vie réelle, afin de « développer les capacités d'expression de l’apprenant pour qu’il puisse s'exprimer de la façon la plus naturelle possible sur des sujets actuels » (Arslangul et al., 2019, p. 18). Plus concrètement, dans notre méthode, nous avons intégré beaucoup d’exercices encourageant les apprenants à rédiger des dialogues et à s’exercer à travers des jeux de rôles, tout en réutilisant le vocabulaire et les expressions étudiés en cours (Guo et Wang, à paraître). Ces activités, pleinement inscrites dans l’approche communicative, invitent les apprenants à jouer des rôles d’usagers linguistiques dans des cadres appropriés. Comme le souligne Puren (2006), la classe peut être considérée comme un espace de simulation où l’apprenant se prépare aux situations qu’il rencontrera dans la société. Les jeux de rôles, soutenus par des scénarios imaginés ou improvisés, permettent à chaque participant d’incarner un personnage en mobilisant ses connaissances linguistiques et socioculturelles. Les apprenants interagissent entre eux comme s’ils étaient dans une situation réelle. Faciles à mettre en œuvre, ces activités offrent une occasion précieuse de réemployer les structures langagières apprises, constituant ainsi un excellent entraînement à l’oral. 

 

En classe, une grande partie du temps est consacrée à la pratique. Dès la première séance, les apprenants sont répartis en binômes qu’ils conservent tout au long du semestre. Chaque binôme sélectionne des thèmes issus des exercices du manuel, rédige des dialogues, puis les soumet à l’enseignant pour validation.

 

L’enseignant, quant à lui, explique les caractéristiques linguistiques propres aux différents personnages en fonction de leur statut social ou hiérarchique, vérifie que le registre oral employé est approprié, et propose des suggestions pour améliorer le texte, si nécessaire. Une fois le dialogue validé, les apprenants s’entraînent à le jouer avant de le présenter devant l’enseignant.

 

Ce dernier leur pose ensuite des questions improvisées, modifiant le contexte pour encourager une réutilisation spontanée des expressions linguistiques apprises. Cette approche permet de renforcer à la fois la fluidité et la capacité d’adaptation des apprenants dans l’usage du registre oral en chinois.

 

5.2. Un dispositif eTandem chinois/français

L’apprentissage en tandem implique deux personnes appartenant à des communautés de langues maternelles différentes qui collaborent pour apprendre mutuellement la langue maternelle de l’autre et découvrir leurs cultures respectives (Lewis et Stickler, 2007). À la rentrée universitaire 2018, nous avons lancé la conception du programme eTandem chinois /français Inalco-BFSU (Guo, 2022). Ce programme vise à permettre aux étudiants en chinois de Licence 2 à l’Inalco et aux étudiants en français de Licence 2 à la BFSU de se rencontrer et de pratiquer les deux langues de manière régulière et guidée. Il s’organise sous forme de formation hybride d’une durée de 15 semaines, combinant des séances de travail en présentiel et à distance. Lors des sessions en ligne, les étudiants de l’Inalco sont invités à discuter en chinois sur des sujets déjà abordés en cours. Les discussions se déroulent sous diverses formes : présentation de situations, échange d’avis, partage d’informations, et occasionnellement jeux de rôle. Une fois cette partie du travail accomplie, les étudiants peuvent choisir librement leurs sujets de discussion pour pratiquer l’oral. Dans notre étude de 2022 (Guo, 2022), nous avons constaté que ce dispositif avait permis aux apprenants de progresser dans toutes les compétences orales, notamment en fluidité, exactitude, prononciation, grammaire, et surtout en spontanéité et en utilisation du vocabulaire oral, rendant la communication plus naturelle. Ces progrès ont été perçus non seulement par les apprenants eux-mêmes, mais ont également été confirmés par leurs partenaires chinois, comme le montre le témoignage d'un étudiant chinois évaluant le progrès de son binôme français (Guo, 2022, p. 73).

 

Il parle chinois plus fluidement. Au début, il parlait comme s’il récitait des textes, maintenant, il communique réellement avec moi pour exprimer ses idées ; ses phrases sont beaucoup plus naturelles et l’emploi des mots est plus approprié ; il utilise davantage du vocabulaire de l’oral et sa prononciation est bonne pour la grande majorité de situations » (XKX).

 

5.3. Un atelier de théâtre chinois

En continuité avec notre enseignement de l’oral en classe, et dans le cadre du programme de remédiation destiné à la réussite en Licence, l’association des étudiants de l’Inalco (Chin'alco) et les enseignants du département d’études chinoises ont créé, à la rentrée 2018, un atelier de théâtre chinois (Guo et Wang, à paraître). Les apprenants s’entraînent une fois par semaine lors d’une séance d’une heure et demie, travaillant autour des extraits d’une pièce de théâtre pré-sélectionnée. Bien que les textes soient écrits, ils comportent des scènes de conversation entre des personnages de différents statuts sociaux et hiérarchiques. Nous avons conçu ou réécrit les textes de chaque pièce pour qu'ils soient le plus naturels possible. Lors d’une séance type, chaque participant travaille sur le texte de son rôle, avec l’accompagnement d’un enseignant qui lui apporte un soutien linguistique pour la compréhension du texte et la prononciation. Une fois que l’ensemble du groupe a suffisamment progressé sur le texte, le travail sur les aspects techniques et artistiques commence. Un enseignant spécialiste en études théâtrales dirige alors le groupe sur le jeu théâtral, en se concentrant sur les expressions corporelles, la voix, l’émotion et la mise en scène. Depuis la création de cet atelier, nous avons déjà donné quatre représentations.

 

En mai 2022, un questionnaire a été utilisé pour recueillir les impressions des participants. Les témoignages recueillis montrent qu'ils sont tous très satisfaits de cette expérience et estiment que leur compétence orale s'est améliorée, non seulement en prononciation, mais aussi en improvisation et en pratique naturelle de l’oral, comme le soulignent les deux témoignages cités dans l’étude de Guo et Wang (à paraître).

 

« Très gros progrès à l’oral et improvisation en chinois, grâce à beaucoup de pratique répétée ».

« De l’assurance en grande partie, car j’ai appris à intégrer ce que je disais, dire les choses d’une manière naturelle, mais aussi par l’échange avec les autres étudiants et les retours des professeurs qui mettent en confiance ».

 

Bien que des démarches expérimentales soient nécessaires pour évaluer de manière significative l’effet de ces deux dispositifs sur l’acquisition du registre oral, il est néanmoins évident que ces dispositifs ont permis d’augmenter considérablement le temps d’exposition des apprenants aux données linguistiques orales en chinois. De plus, les activités proposées favorisent la répétition des acquis linguistiques, ce sont des conditions essentielles à l’acquisition.

 

6. Conclusion

L'absence de normes claires complique la tâche des enseignants, qui ne savent pas toujours comment procéder. Il est essentiel de développer des documents précisant les composantes linguistiques qui distinguent les registres du chinois oral et écrit. Bien que des chercheurs continuent de travailler sur les caractéristiques linguistiques de ces registres – comme en témoigne la publication du « 现代汉语口语词典 » (xiàndài Hànyǔ kǒuyǔ cídiǎnDictionnaire du chinois oral moderne, Li, 2022), ainsi que celle du « 对外汉语教学语法口语大纲 » (duìwài Hànyǔ jiàoxué yǔfǎ kǒuyǔ dàgāngSyllabus de grammaire du chinois parlé pour l'enseignement du chinois comme langue étrangère, Tang et Zhu, 2024), les études sur ce sujet restent malheureusement encore limitées.

 

Nous avons constaté que l’enseignement du registre du chinois oral en classe n’est pas encouragé par de nombreux chercheurs et n'est pas mis en avant dans les documents de référence ni dans les tests de niveau. Selon nous, le registre du chinois oral doit être reconnu et avoir une place importante dans les salles de cours. Nous espérons que cet article attirera l'attention de davantage de chercheurs et d'enseignants sur ce sujet.

 

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11 mai 2025
Les enjeux des langues et cultures régionales sur la compétence interculturelle des étudiants français en mobilité en Chine : la double difficulté communicative et l’insécurité linguistique
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Wang Lei (PLIDAM, INALCO)

 

Résumé : La Chine se distingue par une grande diversité linguistique et culturelle régionale, une réalité incontournable pour les apprenants de chinois langue étrangère. Cet article examine l’impact de cette diversité sur le développement de leur compétence interculturelle.

 

L’étude s’appuie sur les témoignages d’étudiants de l’Inalco ayant effectué un séjour linguistique dans différentes régions de Chine. À partir de cette enquête de terrain, une recherche qualitative fondée sur la méthode de la théorie ancrée (grounded theory) a été menée. Deux obstacles majeurs émergent : les difficultés de communication liées aux langues régionales et l’insécurité linguistique qui en résulte.

 

En plus des défis liés au chinois standard, l’exposition à des variétés locales, parfois très éloignées du chinois standard, ajoute une complexité susceptible d’engendrer une incompréhension totale ou partielle. Ce décalage fragilise les interactions interculturelles et affecte le sentiment d’efficacité des étudiants. L’insécurité linguistique tend à diminuer dans des environnements bienveillants, mais s’aggrave en cas de rejet ou d’exclusion.

 

Les résultats soulignent l’influence déterminante de la diversité linguistique et culturelle régionale sur les expériences interculturelles des étudiants. Pour ce faire, à l’ère de la mondialisation, la prise en compte des contextes locaux s’avère essentielle.

 

L’article s’articule en quatre parties : présentation du terrain et de la méthodologie, cadre théorique (compétence interculturelle et insécurité linguistique), et résultats de l’analyse des données du terrain.

 

 

Mots-clés : compétence interculturelle, mobilité étudiante, contexte social, difficulté communicative, insécurité linguistique, langues et cultures chinoises régionales

 

Introduction

À l’ère de la mondialisation, les programmes d’échanges internationaux se multiplient, et la mobilité scolaire s’intègre désormais pleinement dans le processus d’apprentissage des apprenants en langues étrangères. D’une part, cette mobilité offre aux apprenants l’opportunité de se confronter directement aux langues et cultures du pays d’accueil. D’autre part, elle les expose à deux systèmes d’enseignement-apprentissage, à la fois complémentaires et conflictuels : d’un côté, le système d’enseignement du pays d’origine, que nous pouvons qualifier de « micro-contexte » ; de l’autre, le contexte social du pays d’accueil, désigné ici par « macro-contexte ». Dès lors, compte tenu du nombre croissant d’élèves participant à des programmes de mobilité, les effets du macro-contexte social du pays d’accueil sur l’enseignement-apprentissage des langues étrangères ne peuvent être ignorés.

 

En ce qui concerne la Chine, les différences interrégionales, tant au niveau des langues que des cultures, sont particulièrement marquées, comme en témoigne le dicton suivant : « Les accents du chinois changent tous les 5 kilomètres, et les coutumes varient tous les 50 kilomètres » (Shílǐ bù tóng yīn, bǎilǐ bù tóng sú.十里不同音,百里不同俗). Sur le plan synchronique, les sinologues reconnaissent généralement l’existence de dix groupes de langues chinoises (Peyraube, 2011 ; Chappell, 2001), toutes pratiquées quotidiennement dans différentes régions, mais présentant une inintelligibilité notable entre elles. Concernant les cultures régionales, il existe de nombreuses façons de les diviser selon des critères établis par les chercheurs (Wang, 2022 : 105-120). Le critère de divisions administratives actuelles et historiques, par exemple, la culture Yàn zhào (燕赵文化) et la culture Bāshǔ (巴蜀文化), est largement adopté et exploité par les chercheurs en géographie culturelle (Wang, 1992 ; Wu, 1996 ; Wang et al., 2008). Cette division montre que l’attention portée aux cultures régionales est ancienne et remonte à la Chine antique.

 

Plongés dans un environnement linguistique et culturel hautement diversifié comme celui de la Chine, les apprenants sont quotidiennement en contact avec les langues et cultures locales, non seulement de la région où ils séjournent, mais aussi d’autres régions qu’ils visitent. Ainsi, les langues et cultures régionales participent directement et continuellement au développement des compétences des étudiants. L’adaptation à la langue et à la culture locales revêt une importance capitale pour la réussite du séjour des apprenants (Chen, 2011 ; Cheng, 2008).

 

D’un point de vue interculturel, lorsque des apprenants français, utilisant un chinois « imparfait », s’adressent à des interlocuteurs chinois parlant une langue locale ou un chinois standard (putonghua) marqué par un fort accent, la communication ne risque-t-elle pas d’être compromise ? De ce fait, les langues chinoises régionales représentent-elles des obstacles, voire des sources d’inintelligibilité, dans les échanges interculturels ? Quelles autres conséquences pourraient en découler ? 

 

Dans cet article, nous tenterons de répondre à ces questions en nous appuyant sur les retours d’expériences des étudiants du département d’études chinoises de l’Institut national des langues et civilisations orientales (désormais désigné par « Inalco ») ayant effectué un séjour dans diverses régions de Chine. Notre analyse se structurera en quatre parties. La première partie sera consacrée à la présentation du contexte de notre recherche sur le terrain, notamment le public étudié et la méthodologie employée. La deuxième et la troisième parties définiront le cadre théorique relatif à la conceptualisation de la compétence interculturelle ainsi qu’à l’insécurité linguistique. Enfin, constituant le cœur de notre article, la quatrième partie explorera les enjeux du contexte social en Chine sur le développement de la compétence interculturelle chez les étudiants interviewés. Plus précisément, nous y abordons les difficultés et l’insécurité linguistique engendrées par les langues et cultures régionales lors des communications interculturelles entre les étudiants et les Chinois locaux.

 

1. Le contexte de recherche

1.1 Les étudiants en mobilité et le capital de mobilité

Le terme « étudiant en mobilité » désigne tout individu effectuant un séjour dans un pays étranger dans le cadre de ses études. Toutefois, en tant qu’étranger, dès son arrivée dans le pays cible, l’étudiant est amené à interagir socialement avec des personnes ne partageant pas nécessairement les mêmes langues ni les mêmes cultures. Dans ce contexte, l’étudiant se transforme en un explorateur de l’altérité, endossant ainsi un rôle d’acteur social ou de médiateur culturel. Désignés également comme des « étudiants voyageurs » ou « élites qualitatives » (Murphy, 2003, p. 60), ces étudiants en mobilité se montrent « ouverts au changement de décor, de langue, d’entourage personnel, de mode de vie, de manière de travailler » (Murphy Lejeune, 2003, p. 60). Ils manifestent une détermination à franchir leurs propres frontières et à affronter l’inconnu.

 

Les étudiants en situation de mobilité possèdent un capital de mobilité, lequel constitue l’un des éléments essentiels qui les distingue « d’autres étudiants ou individus moins enclins à la mobilité ou même sédentaires » (De Langenhagen, 2011, p. 38). Le capital de mobilité « sert de point de départ » (Murphy Lejeune, 2013, p. 60) et donne « un bagage essentiel, une ouverture vers l’extérieur et une adaptation plus facile face au changement » (De Langenhagen, 2011, p. 38). Ainsi, le capital de mobilité est une richesse que les étudiants accumulent et « le séjour à l’étranger contribue à augmenter leur patrimoine » (Murphy Lejeune, 2013, p. 60).

 

Le capital de mobilité est composé de plusieurs éléments essentiels, tels que l’histoire familiale, les expériences personnelles, la personnalité, les motivations, les apprentissages accumulés, les séjours antérieurs à l’étranger et la capacité d’adaptation. La personnalité constitue l’élément déterminant pour la mobilité des étudiants, pendant que le parcours familial construit la première couche sociale de l’étudiant. Les motivations, internes et externes, se rajoutent à l’histoire familiale et à la personnalité d’un étudiant, elles jouent parfois un rôle déclencheur. Un autre élément essentiel du capital de mobilité de l’étudiant est sa capacité d’adaptation, laquelle se développe au travers des expériences de mobilité dans lesquelles l’acteur se retrouve dans une confrontation permanente à l’altérité. Ainsi, les séjours antérieurs composent un autre élément majeur. Ils construisent les premières expériences qui serviront comme référence pour le séjour en mobilité de l’étudiant (Xie, 2008, p. 50-54).

 

De plus, la mobilité étudiante se divise en deux grandes catégories : la « mobilité encadrée » et la « mobilité individuelle » (Cerisier, Blanc, 2025, p. 14, 23, 31). La première catégorie regroupe principalement les étudiants boursiers, bénéficiant de programmes d’échanges. Ces étudiants sont encadrés soit dans le cadre de la coopération internationale entre leur pays d’origine et le pays d’accueil, soit par le biais d’une convention entre leur université d’origine et celle d’accueil. La seconde catégorie inclut les étudiants non boursiers qui se rendent dans un pays étranger à titre personnel. Comparés aux étudiants boursiers, ils ne bénéficient ni de l’accompagnement ni de l’orientation.

 

1.2 La méthodologie et le déroulement de la recherche de terrain

Pour mener notre recherche de nature qualitative, nous avons adopté la théorie ancrée (grounded theory). Cette théorie, largement appliquée dans les sciences sociales, notamment en ethnographie et en sociologie (Charmaz, Mitchell, 2001, p. 160-174), permet de commencer la recherche par la collecte de données, sans problématique préétablie, ou avec seulement des questions exploratoires. Au fur et à mesure de l’avancement de la recherche, les données sont catégorisées sous des concepts abstraits. À partir des relations entre ces concepts, les chercheurs peuvent dégager un axe conceptuel, sur lequel ils bâtiront le cadre de la théorie finale.

 

Notre étude s’appuie sur les retours d’expérience des étudiants du département d’études chinoises de l’Inalco (2018-2019 et 2019-2020). Afin de recueillir des données aussi riches et fiables que possible, nous avons décidé de faire une recherche de suivi auprès des étudiants interviewés tout au long de leur séjour. Ainsi, au début de leur séjour, un questionnaire de nature qualitative leur a été soumis. Au milieu de leur séjour, un premier entretien individuel semi-directif a été mené, suivi d’un second entretien individuel de type compréhensif mené à la fin de leur séjour. Ces entretiens constituent notre corpus principal. Au total, 22 entretiens réalisés auprès de 11 étudiants ont été pris en compte, dont la durée totale est d’environ 36 heures. 

 

Le questionnaire est constitué de 38 questions réparties en trois composantes traitant respectivement des études de chinois des étudiants (Q1-Q7), de leur séjour en Chine (Q8-Q18) et de leurs connaissances ainsi que leur première interprétation de l’importance des langues et des cultures régionales de la Chine (Q19-Q36). L’objectif du questionnaire est d’acquérir les informations élémentaires de chaque étudiant afin de faire ressortir les premiers éléments pouvant démontrer les impacts des cultures régionales sur leur séjour. Dans la première partie, les questions abordent des sujets tels que le niveau de chinois (Q1), le parcours d’apprentissage de chinois (Q2), l’auto-évaluation des compétences linguistique (Q6) et culturelle (Q7). La deuxième partie porte sur le « séjour en Chine » des étudiants, telles que la durée (Q8), la destination (Q9) et les conditions de logement (Q17), les motivations d’effectuer un séjour en mobilité (Q8) et du choix connexe de l’université d’accueil (Q11), idem pour le lieu de séjour (Q14-Q16), et sur le(s) séjour(s) antérieur(s) en Chine (Q18). La troisième partie sur « les cultures régionales de la Chine » est composée de 18 questions classées autour de 3 axes thématiques. Le premier axe thématique aborde les connaissances sur les cultures régionales possédées par les étudiants (Q19-Q25). Le deuxième axe thématique (Q26-Q31) porte sur les influences des cultures régionales, non seulement sur le séjour des étudiants, mais également sur la vie des Chinois eux-mêmes. Enfin, le troisième axe thématique est orienté sur les représentations générales des étudiants (Q32-Q36).

 

À partir des analyses préliminaires des questionnaires, nous avons réussi à repérer quelques indices sur les influences potentielles que les langues et cultures régionales pourraient avoir sur l’apprentissage et le séjour des étudiants. En suivant ces réflexions, nous avons conçu 30 questions pour mener un premier entretien de type directif et semi-directif. Ces questions sont construites en 5 parties. En premier lieu, nous avons rédigé des questions sur les généralités propres au déroulement du séjour pour lancer l’entretien. En même temps, nous avons repris des questions optionnelles du questionnaire concernant les représentations générales que les étudiants avaient avant leur séjour. En second lieu, les questions se répartissent en 3 parties similaires concernant les nouvelles représentations des étudiants sur la langue chinoise et les langues chinoises régionales, la culture et les cultures régionales de Chine, ainsi que les Chinois. En dernier lieu, les questions portent sur l’enseignement du chinois en France et en Chine et les projets d’étude ou de travail des étudiants dans le futur.

 

Le deuxième entretien est réalisé à la fin du séjour des étudiants, soit en vidéoconférence avant leur retour en France, soit face-à-face après leur retour. Pour ce deuxième entretien de type compréhensif, nous avons établi un guide de questions composé de quatre parties, tout en nous appuyant sur les résultats d’analyses du premier entretien. La première partie de l’entretien vise à questionner les étudiants de manière générale sur leur intégration dans la société en Chine et sur leur réadaptation à la vie en France à leur retour. Dans la deuxième partie, en général, nous laissons les étudiants nous décrire tout ce qu’ils ont vécu dans la région de leur échange ou dans d’autres régions en Chine lors de leurs voyages. La troisième partie de l’entretien porte sur l’évolution de trois concepts pivots que nous avons extraits des analyses des données du premier entretien. Il s’agit de la représentation, de la motivation et de l’identité. Enfin, la quatrième partie nous permet de clôturer l’entretien, elle permet également aux étudiants de résumer leur séjour en mobilité en Chine. En outre, vu que les expériences vécues par les étudiants sont précieuses, pour l’enseignement et aussi pour l’apprentissage, nous cherchons à solliciter leur avis si ce n’est leurs conseils.

 

 

1.3 Les profils des étudiants interviewés

À partir des données statistiques de la direction des relations internationales de l’Inalco, nous avons récapitulé les informations des étudiants qui ont effectué leur séjour en mobilité en Chine entre 2017 et 2020. Nous avons tenu compte de cinq éléments essentiels, lesquels sont le genre, l’année d’inscription (le niveau), la durée de séjour, le moyen de financement, ainsi que les régions de destinations.

 

Entre 2017 et 2020, il y a eu 106 étudiants qui ont effectué leur séjour en mobilité en Chine, dont 20 au cours de l’année universitaire 2017-2018, 39 en 2018-2019 et 47 en 2019-2020. Parmi ces étudiants, il y a 24 hommes représentant environ 22,6 % et 82 femmes représentant à peu près 77,4 %. La majorité des étudiants sont inscrits en licence, dont 41 étudiants (38,5 %) en L2 et 56 étudiants en L3 (53 %), il y a aussi 8 étudiants en M1 (7,5 %) et 1 étudiant en M2 (1 %). Quant à la durée de séjour, 76 étudiants sont restés en Chine pour un semestre (71,7 %) et 40 étudiants y sont restés pendant une année universitaire (28,3 %). En ce qui concerne les moyens de financement, 67 ont reçu la bourse de CSC (63,2 %) et 37 ont effectué leur séjour en mobilité sous convention universitaire (34,9 %), il n’y a que 2 étudiants qui ont fait leur séjour à leur propre charge à Suzhou (1,9 %). Au sujet de la répartition régionale des destinations, géographiquement parlant, 29 étudiants ont séjourné dans le Nord (soit 27 %), tandis que 77 ont vécu dans le Sud (soit 73 %)

 

Notre étude s’appuie sur les retours d’expérience des étudiants du département d’études chinoises de l’Inalco (2018-2019 et 2019-2020). La sélection de notre échantillon s’est faite sur certains critères essentiels, tels que la dispersion géographique, le genre, le niveau d’études et la durée du séjour. Afin d’assurer la fiabilité de notre recherche, nous avons veillé à la représentativité de chacun de ces critères.

 

Grâce à la confiance que les étudiants nous ont accordée, nous avons pu repérer leur parcours familial, scolaire et professionnel au travers des informations qu’ils nous ont communiquées. Ces informations nous ont permis de brosser un profil de chaque étudiant, présenté dans le tableau récapitulatif suivant. 

 

 

Les informations de base et le capital de mobilité des étudiants interviewés

E01, H, M1, B2-C1 (HSK5), Pékin, Université des langues étrangères de Pékin, Convention université, 1 an

personnalité

introverti, curieux, sérieux, prudent, tolérant, esprit ouvert ;

centre d’intérêt

langues et cultures, histoire ;

trajectoire

familiale

famille d’origine : Nord de la France ;

scolaire

études de chinois depuis le lycée ; licence et master d’études chinoises à l’Inalco ;

projet : doctorat en sinologie sur la culture des villages au Sud de la Chine ;

sociale

amis d’origine chinoise en France ; aucun séjour en Chine avant ;

professionnelle

projet : faire de la recherche, devenir sinologue ;

E02, F, L3, B2-C1(HSK5), Jinan Université du Shandong, Convention université, 6 mois

personnalité

extravertie, curieuse, dynamique, amicale, esprit ouvert ;

centre d’intérêt

langues et cultures, voyage, relations sociales ;

trajectoire

familiale

famille d’origine au Sud de la France ;

projet : vivre en Chine ;

scolaire

en France : études de chinois depuis le lycée et licence d’études chinoises à l’Inalco ;

en Chine : deux semaines d’études de chinois à Pékin au lycée ; projet : master en Chine ;

sociale

amis chinois en Chine ; plusieurs voyages en Chine auparavant ;

E04, F, L3, C1-C2 (HSK5), Shanghai Université de l’Est de Chine, Convention université, 6 mois

personnalité

introverti, précoce, sympathique, esprit ouvert ;

centre d’intérêt

langues et cultures, enseignement, anthropologie et sociologie ;

trajectoire

familiale

famille d’origine à Paris ; travail des parents en rapport avec la Chine depuis l’enfance de l’étudiante ;

scolaire

en France : apprentissage du chinois sans interruption depuis l’enfance ; licence d’études chinoises à l’Inalco ;

en Chine : plusieurs voyages d’études de chinois ;

 

sociale

plusieurs connaissances chinoises en Chine ;

plusieurs voyages en Chine auparavant (2/3 fois par an) ;

professionnelle

projet : travailler dans le domaine d’échanges culturels sino-français et devenir professeur de chinois ;

E05, F, L3, B2-C1 (HSK5), Shanghai Université normale de Shanghai, Bourse CSC, 1 an

personnalité

introverti, esprit critique, esprit ouvert, sympathique ;

centre d’intérêt

langues et cultures, art ;

trajectoire

familiale

famille originaire d'Alsace et du Nord-Est de la France ;

scolaire

études de chinois depuis le lycée et licence d’études chinoises à l’Inalco ;

séjour d’études de chinois à Taipei ;

sociale

amis d’origine chinoise en France ;

deux voyages en Chine auparavant ;

professionnelle

travail dans les ventes commerciales pouvant en contact avec des clients chinois ; stage en Chine dans une galerie à Shanghai ;

projet : travail dans le domaine de l'art (à Hongkong) ;

E08, H, L3, B1-B2 (HSK4) ; Chengdu, Université du Sichuan, Convention université, 1 an

personnalité

extraverti, amical, sympathique, esprit ouvert ;

centre d’intérêt

langues et cultures, archéologie, anthropologie, gastronomie,  voyage, relations sociales ;

trajectoire

familiale

membre de famille travaillant dans le domaine culturel ;

scolaire

licence d’études chinoises à l’Inalco ; diplôme de licence de vietnamien à l’Inalco ; diplôme de licence d’archéologie en France ;

projet : master en archéologie en France ;

sociale

beaucoup d’amis d’origine chinoise et asiatique en France ; plusieurs voyages en Asie du Sud-Est, mais jamais en Chine ;

E09, H, L3, A2-B1 (HSK3); Chengdu, Université du Sichuan, Auto-financement, 1 an

personnalité

extraverti, amical, dynamique, esprit ouvert ;

centre d’intérêt

filmologie, cultures des mégapoles, sports (vélo) ;

trajectoire

familiale

les deux parents d’origine du Sud et du Nord de la France ;

scolaire

en France : licence d’études chinoises à l’Inalco en cours ;

sociale

vit à Belleville à Paris, quartier chinois ; nombreux amis originaires de Wenzhou ;

aucun voyage en Chine auparavant ;

professionnelle

projet : filmologie chinoise ;

E10, F, L2, A2 (HSK3) ; Chengdu Université du Sichuan, Convention université, 6 mois

personnalité

extravertie, esprit ouvert, sympathique, amicale ;

centre d’intérêt

langues et cultures ;

trajectoire

scolaire

en France : licence d’études chinoises à l’Inalco ;

sociale

peu d’amis d’origine chinoise en France avant le séjour ;

aucun voyage en Chine auparavant ;

E12, F, L2, A2-B1 (HSK4), Chongqing, Université de Chongqing, Convention université, 6 mois

personnalité

introvertie, curieuse, sympathique, esprit ouvert ;

centre d’intérêt

langues et cultures, voyage ;

trajectoire

familiale

membres de famille voyageant régulièrement ;

scolaire

études de chinois depuis le lycée ; licence d’études chinoises à l’Inalco ;

deux séjours d’études de chinois en 2015 (Pékin) et un mois d’études de chinois 2016 (Shanghai) ;

projet : master en géologie en France ou en Chine

sociale

vit dans le 13e arrondissent, quartier asiatique à Paris ;

E13, F, L2, B2-C1 (HSK5), Chongqing, Université de Chongqing, Convention université, 6 mois

personnalité

introverti ; sympathique ; esprit ouvert ;

centre d’intérêt

cultures et langues ; enseignement ;

trajectoire

familiale

d’origine chinoise de la Réunion ; membres de la famille à Foshan ;

scolaire

études de chinois depuis le lycée ; licence d’études chinoises à l’Inalco ; deux semaines d’études de chinois à Tianjin au lycée ; projet : master en didactique des langues en France ;

sociale

plusieurs voyages au Guangdong (région d’origine de la famille) ; plusieurs amis d’origine chinoise/cantonaise en France ;

professionnelle

projet : professeur du français en Chine / d’autres pays en Asie ;

E14, H, L3, B2-C1 (HSK5) ; Guilin, Université du Guangxi, Bourse CSC, 6 mois

personnalité

Introverti, curieux, sympathique, tolérant, littéraire, esprit ouvert ;

centre d’intérêt

langues et cultures, littérature, randonnée, méditation ;

trajectoire

familiale

famille d’origine de la région parisienne ;

scolaire

licence d’études chinoises à l’Inalco ;

deux semaines d’études de chinois à Suzhou lors des études lycéennes en 2014 ;

projet : master d’études chinoises en France ou/et en Chine ;

sociale

peu d’amis chinois ;

professionnelle

projet : traducteur de la littérature sino-française ;
E15, F, L3, B2-C1 (HSK5), Kunming, Université du Yunnan, Bourse CSC, 1 an

personnalité

extravertie, sympathique, curieuse, esprit ouvert, dynamique ;

centre d’intérêt

langues et culture, voyage, gastronomie ;

trajectoire

familiale

visite de la famille en Chine au début du 2nd semestre de l’étudiante en Chine ;

scolaire

licence d’études chinoises à l’Inalco ;

licence d’études franco-allemandes en parallèle de la licence d’études chinoises à l’Inalco ;

séjour d’études à Taïwan un an avant le séjour en Chine ;

sociale

pas beaucoup de contacts chinois avant le séjour en Chine ; difficulté d’entreprendre des conversations avec des contacts chinois en France ;

professionnelle

projet : travailler dans l’événementiel ;
      

 

 

2. La compétence interculturelle

À l’issue de nos analyses, nous avons constaté que les enjeux des langues et des cultures régionales touchent plusieurs domaines : la représentation, la motivation, la construction identitaire, et la compétence culturelle (interculturelle, socioculturelle et plurilingue/pluriculturelle) des étudiants. Dans cet article, nous nous concentrons sur les enjeux relatifs au développement de la compétence interculturelle chez les étudiants interviewés.

 

La compétence interculturelle figure parmi les sujets les plus largement explorés dans le cadre de l’enseignement et de l’apprentissage des langues et cultures étrangères. Selon Bennett (1993), « la compétence interculturelle est la capacité d’interpréter les actes de communication intentionnels (paroles, signes, gestes) et inconscients (langage du corps) et les coutumes d’une personne issue d’une culture différente de la nôtre. L’accent est mis sur l’empathie et la communication (Bennett, 1993, p. 21-71) ». La compétence interculturelle se caractérise ainsi par sa dimension à la fois sociale et affective.

 

2.1 Une compétence sociale : reconnaître l’altérité et les identités

La compétence interculturelle se développe principalement dans un contexte social impliquant des interactions avec des individus issus d’une culture différente. Compte tenu de l’importance des aspects socioculturels dans l’approche interculturelle, Zarate et Byram (1998) ont introduit la notion de « compétence socioculturelle » pour souligner le rôle de l’apprenant en tant qu’intermédiaire culturel et acteur social dans la communication interculturelle.

 

Le terme « inter-culturel » suppose l’existence de deux cultures distinctes : celle de soi et celle de l’autre. Dès lors, la notion d’« altérité » devient centrale dans le cadre de la compétence interculturelle. L’« interculturalité » se définit comme « la capacité de faire l’expérience de l’altérité et de la diversité culturelle, d’analyser cette expérience et d’en tirer profit (Beacco et al., 2016, p. 20) ». L’engagement personnel de l’apprenant face à l’altérité, qui l’amène à découvrir une ou plusieurs cultures étrangères, constitue un levier essentiel pour le développement de sa compétence interculturelle.

 

Par le biais de ces contacts avec une personne d’une autre culture, la compétence interculturelle permet à l’apprenant de prendre conscience non seulement de sa propre identité et de son enracinement, mais aussi de reconnaître l’identité de l’autre. Abdallah-Pretceille (2003) affirme que « l’interrogation identitaire de soi par rapport à autrui fait partie intégrante de la démarche interculturelle (Abdallah-Pretceille, 2003, p. 10) ». Une approche axée sur la compétence interculturelle se concentre ainsi sur une perspective positive de l’identité, en intégrant la complexité des stratégies identitaires et en renversant la relation traditionnelle à l’étranger, souvent associée à des notions de risque et de handicap (Neuner et al., 2003 p. 110).

 

2.2 Une compétence affective : attitudes et comportements d’ouverture

La compétence interculturelle possède également une dimension affective. Elle sollicite les émotions et les sentiments qui facilitent non seulement le bien-être de l’apprenant dans un contexte culturel différent, mais aussi celui de ses interlocuteurs. La réussite de la communication interculturelle repose ainsi sur les compétences émotionnelles, ou autrement dit, sur la « sensibilité interculturelle » (Bennet, 1993, p. 21-71 ; Szende, 2014, p. 329-331). Cette sensibilité englobe des valeurs humaines telles que « l’ouverture, l’accueil, la compréhension, l’acceptation et l’inclusion » (consulté le 29 janvier 2025), ainsi que « l’appréciation, le partage, la solidarité, la justice et l’empathie (ibid.) ». Ces valeurs constituent les fondements d’une véritable ouverture d’esprit, qui va bien au-delà d’une simple tolérance.

 

L’objectif de la compétence interculturelle est de percevoir la diversité comme une richesse et de nourrir un sentiment d’unité humaine. Développer cette compétence favorise l’émergence d’un esprit réflexif, capable de se mettre à la place de l’autre et de reconnaître l’altérité en chacun. Pour conclure, nous nous permettons de citer les propos suivants :

 

La compétence interculturelle est un ensemble de capacités, dont la capacité à forger sa propre identité, à la fois singulière et multiple ; à dépasser ses peurs et préjugés culturels ; à reconnaître l’altérité, et à faire preuve d’ouverture, d’accueil, de compréhension, d’acceptation et d’inclusion (ibid.).

 

3. L’insécurité linguistique et l’anxiété liée à l’apprentissage des langues étrangères

L’insécurité linguistique est un concept sociolinguistique englobant un ensemble de sentiments négatifs tels que la peur, l’anxiété, l’embarras et le manque de confiance en soi. Elle se manifeste chez un locuteur lorsqu’il prend conscience de l’écart entre ses compétences linguistiques et les exigences de la variété de langue socialement valorisée, perçue comme la forme « pure » et « standard ». De nombreuses recherches ont mis en lumière les effets néfastes de cette insécurité, notamment le sentiment d’humiliation (Merle, 2005), ainsi que « la perte d’estime de soi, le mutisme sélectif, le désengagement, voire le sentiment d’injustice, l’indignation et la révolte » (Blanchet, Clerc et Rispail, 2014, p. 292).

 

L’intensité de l’insécurité linguistique varie selon les locuteurs et les contextes. Pour Robillard (1996 , p. 68), « toute langue normée, du fait même de l’existence de normes, ne peut éviter de générer chez ses locuteurs un taux minimal d’insécurité linguistique ». À l’inverse, un taux maximal de cette insécurité peut entraîner chez les locuteurs « un désarroi qui leur fait perdre tous leurs moyens », les rendant incapables de « trouver leurs mots » (Bourdieu, 1982, p. 38).

 

En ce qui concerne l’apprentissage des langues étrangères, ce processus spécifique expose les étudiants à un risque accru de se sentir ridicules, de frustrer leur expression personnelle et de remettre en question leur estime de soi et leur identité, plus que dans presque toutes les autres activités d’apprentissage (Macintyre, 1999, p. 33). En tenant compte de la particularité de l’apprentissage formel des langues étrangères, de nombreuses études ont été consacrées au concept de « foreign language anxiety » (FLA) (Horwitz, Horwitz et Cope, 1986 ; Macintyre et Gardner, 1994a; Coryell et Clark, 2009). 

 

Horwitz, Horwitz et Cope sont les premiers à avoir conceptualisés l’anxiété liée à l’apprentissage des langues étrangères (FLA), suggérant que celle-ci constitue « un phénomène lié, mais distinct d’autres formes d’anxiétés spécifiques » (1986 : 129), telles que « l’anxiété de trait, l’anxiété d’état, l’anxiété de performance et l’anxiété facilitante ou inhibitrice » (Horwitz, 2010). Ils ont défini la FLA comme « un ensemble complexe distinct de perceptions de soi, de croyances, de sentiments et de comportements liés à l’apprentissage des langues en classe, découlant de la singularité du processus d’apprentissage des langues » (Horwitz, Horwitz et Cope, 1986, p. 128).

 

4. Les enjeux des langues et cultures chinoises régionales sur la compétence interculturelle

En Chine, l’usage des langues chinoises se caractérise par une situation de diglossie. La majorité des Chinois sont bilingues ou plurilingues, car, en plus du chinois standard (le putonghua), ils parlent généralement une ou plusieurs langues chinoises régionales. En 2022, le taux de diffusion du putonghua à l’échelle nationale a dépassé 80 %, avec un objectif d’atteindre 85 % en 2025 (consulté le 21 janvier 2025). Cependant, son utilisation reste principalement limitée aux contextes formels, notamment dans les milieux éducatifs et administratifs. Les langues régionales chinoises, quant à elles, sont largement employées dans les interactions informelles du quotidien, avec des variations d’usage influencées par des facteurs tels que l’âge et le niveau d’éducation. En général, les personnes âgées et celles ayant un faible niveau d’instruction utilisent principalement les langues régionales ou parlent le chinois standard avec un accent marqué (consulté le 29 janvier 2025)

 

Dans ce contexte, les étudiants étrangers arrivés en Chine sont confrontés non seulement aux défis liés à leur maîtrise imparfaite du putonghua, mais aussi à ceux découlant de l’utilisation des langues chinoises régionales. Cette double difficulté de communication interculturelle engendre souvent une insécurité linguistique chez la plupart des étudiants. Il est important de noter que la gestion de cette insécurité linguistique est fortement influencée par la culture locale de la région où les étudiants séjournent. En effet, cette insécurité peut être exacerbée dans un environnement peu accueillant et atténuée dans un contexte encourageant. Dans cette section, nous examinerons ces deux aspects : les difficultés de communication interculturelle et la gestion de l’insécurité linguistique.

 

4.1 Les difficultés de communication interculturelle

4.1.1 La double difficulté due au chinois standard et aux langues chinoises régionales

Pour un étudiant en mobilité en Chine, l’objectif principal est sans doute de développer sa compétence en communication en chinois standard. Selon les réponses recueillies dans un questionnaire administré au début de leur séjour, 7 étudiants sur 11 ont exprimé leur insatisfaction quant à leur niveau de maîtrise orale du chinois. Cela souligne, d’une part, l’importance de la pratique de la langue par le biais d’échanges avec les locuteurs natifs, et d’autre part, les difficultés potentielles que les étudiants peuvent rencontrer lors de la communication avec ces derniers.

 

À cet égard, bien que les étudiants aient manifesté un intérêt pour les langues chinoises régionales, ils ont néanmoins exprimé le souhait de se concentrer prioritairement sur le putonghua, leur principal objectif. 

 

Alors, oui et non. Alors, en soi, évidemment j’aimerais bien apprendre le sichuanhua, évidemment, j’ai envie de faire partie […] Je vais pratiquer un peu avec un local ici. Mais j’ai déjà beaucoup trop mal avec le putonghua. Alors, d’abord je vais apprendre la langue commune. (E09-1-Q8)

 

Cependant, au fur et à mesure de leur séjour, les étudiants se rendent compte que l’usage des langues chinoises régionales dans la vie quotidienne ajoute une couche de complexité à leurs défis linguistiques. Pour eux, ces langues locales rendent l’apprentissage du chinois plus ardu et plus complexe. 

 

Mais ça pose problème pour beaucoup d’étrangers. Par exemple, dans les magasins, parler avec les gens qui ont un accent c’est assez complexe. […] Ils (les camarades) ne sont pas bons en compréhension orale déjà en mandarin, et si on leur rajoute l’accent même le dialecte, ça va être très complexe. (E04-1-Q7)

 

Il y a aussi les difficultés en plus du chongqinghua. (E13-1-Q11)

 

Ces difficultés peuvent parfois conduire à une incompréhension totale lors de la communication avec les locuteurs chinois, une incompréhension qui peut être soit unilatérale, soit bilatérale, selon les circonstances.

 

4.1.2 L’incompréhension totale des langues chinoises régionales

Lorsque les étudiants sortent du cadre institutionnel et entrent dans la société locale, ils se retrouvent souvent dans des situations où les locuteurs chinois privilégient l’usage des langues régionales, que ce soit dans les interactions avec les serveurs, les chauffeurs, les commerçants, ou même avec leurs amis chinois. Plutôt que de se sentir à l’aise, les étudiants se trouvent généralement dans une position de grand inconfort, en raison de leur faible compréhension des échanges. Ce phénomène est particulièrement prononcé au début de leur séjour.

 

Ainsi, à l’exception de l’étudiant résidant à Pékin, tous les autres étudiants ayant séjourné dans les régions du sud de la Chine ont unanimement rapporté cette difficulté. 

 

J’avais été à Zhuhai, on me parlait à moitié en cantonais. Et j’ai rien compris (ton ironique). (E04-1-Q3)

 

J’entends parfois parler les Shanghaïens, et je ne comprends rien. (E05-1-Q3)

 

C’est pareil, c’est une autre langue (le cantonais). Je vois que c’est dérivé, le chinois et le cantonais, je vois un peu les liens, mais quand j’entends, je ne comprends rien. (E05-1-Q9)

 

Ils ont un accent à couper au couteau, ou ils sont carrément à un niveau où ils ne parlent pas du tout le putonghua. Ils parlent le sichuanhua, tout le monde est perdu. (E09-1-Q2)

 

L’exemple le plus fréquemment cité concerne la distinction entre « sì » (quatre) et « shí » (dix) lors des achats, comme en témoigne une étudiante à Chengdu : 

 

À chaque fois que je vais me rendre à manger quelque part, que je demande le prix […] Au début, je comprenais pas du tout, et même j’avais souvent des quiproquos. Par exemple, quand elle me disait « duōshǎo qián ? » (多少钱 ? combien ça coûte ?) […] c’est toujours entre « sì » (, quatre) et « shí » (, dix). (E10-1-Q7)

 

4.1.3 L’incompréhension unilatérale et bilatérale des langues chinoises régionales

L’incompréhension peut être unilatérale lorsque les étudiants, parvenant à s’exprimer correctement en chinois standard, ne comprennent pas les locuteurs locaux utilisant une langue régionale, bien que ces derniers les comprennent sans difficulté. Dans ce cas, seule l’émission du message est comprise, mais la réception reste inintelligible. Comme l’indiquent deux étudiants : 

 

Quand on parle en putonghua et les gens parlent en sichuanhua, les gens nous comprennent. (E10-1-Q10)

 

Ils me comprenaient, sans souci, mais je ne comprenais pas au retour, souvent il y avait l’aller sans retour. (E14-2)

 

Quand les gens ici parlent entre eux, je (ne) vais pas pouvoir comprendre, parce qu’ils parlent leur parler à eux qui est trop loin du putonghua […] (mais) les gens me comprennent. Je suis très très rarement tombée sur des gens qui ne comprenaient pas ce que moi je disais. (E15-1-Q2) 

 

L’incompréhension peut également être bilatérale lorsque ni les étudiants, ni les locuteurs locaux ne parviennent à communiquer en putonghua en raison d’un accent trop marqué ou d’une maîtrise insuffisante du chinois standard. Un étudiant à Chengdu illustre cette situation par une anecdote : un jour, perdu en allant à un examen HSK, il a demandé son chemin à un ouvrier chinois, mais ni l’un ni l’autre n’ont réussi à se comprendre : « Il (le Chinois ouvrier) m’a regardé avec deux grands yeux, il m’a dit un truc, j’ai rien compris, je ne comprenais pas, enfin, il (ne) me comprenait pas, je ne le comprenais pas. » (E08-2).

 

4.2 L’insécurité linguistique dans la communication interculturelle

Face à ces doubles difficultés linguistiques, et en particulier à l’incompréhension totale des langues régionales, la majorité des étudiants développent une insécurité linguistique. La gestion et le dépassement de cette insécurité deviennent donc essentiels. Si les langues régionales ont exacerbé les difficultés de communication, les cultures locales des régions d’accueil jouent un rôle crucial dans la gestion de cette insécurité. En effet, l’insécurité linguistique des étudiants tend à s’aggraver dans une culture locale décourageante, mais peut être atténuée dans un environnement encourageant.

 

En Chine, chaque région possède ses particularités culturelles et identitaires (Wang, 2022, p. 111-120, p. 140-143), ce qui se reflète dans les perceptions des étudiants (Wang, 2022, p. 246-250). Par exemple, à Shanghai, les étudiants français trouvent la ville trop occidentalisée et jugent les Shanghaïens indifférents, alors qu’à Pékin, ils perçoivent une ville conservant son charme culturel, avec des habitants plus accueillants. À Chengdu et à Chongqing, bien que les deux villes soient voisines et partagent de nombreux traits culturels, les étudiants remarquent des différences notables. La plupart estiment que la culture locale à Chengdu est plus ouverte qu’à Chongqing.

 

Dans les sections suivantes, nous détaillerons les enjeux de la culture locale sur la gestion de l’insécurité linguistique des étudiants à travers des études de cas.

 

4.2.1 Le renforcement de l’insécurité linguistique

Le premier cas étudié concerne un étudiant à Pékin. Bien que cet étudiant soit en première année de master à l’Inalco et qu’il possède un bon niveau en chinois avant son arrivée en Chine (B2-C1, HSK 5), il a néanmoins ressenti une insécurité linguistique au cours des trois premiers mois de son séjour. Cette insécurité initiale était due à son manque d’expérience dans les échanges avec des locuteurs natifs chinois avant son arrivée. Un autre facteur déterminant dans son insécurité linguistique résidait dans les particularités de l’expression des habitants de Pékin. Selon cet étudiant, « les Pékinois peuvent paraître très durs, impolis au premier abord, ou très directs » (E01-2). En conséquence, il hésitait à engager des échanges avec les Pékinois. Par exemple, lorsqu’il prenait un taxi, la manière dont les chauffeurs s’adressaient à lui le faisait douter de ses compétences en chinois et de son comportement, craignant que ses erreurs linguistiques ou ses propos aient pu susciter la colère des chauffeurs (E01-2).

 

Pendant que cet étudiant à Pékin ressentait une insécurité linguistique liée aux manières des Pékinois, d’autres étudiants ont éprouvé cette insécurité en raison des langues régionales, qu’ils percevaient comme totalement étrangères. Un étudiant à Guilin, perçu par ses amis comme excellent en chinois (B2-C1, HSK5), a ressenti une insécurité linguistique si intense qu’elle est devenue une source de frustration. « J’ai étudié pendant trois ans le chinois et le fait de voir que lorsque j’arrive en Chine je ne puisse pas comprendre la langue sur place, c’est très très déprimant. » (E14-1-Q2).

 

À Shanghai, la culture et la langue locales ont toutes deux joué un rôle crucial dans la création de l’insécurité linguistique parmi les étudiants. La culture locale les a dissuadés d’entrer en contact avec les habitants, les privant ainsi d’opportunités de gérer leur insécurité de manière pratique. Comme témoigne un étudiant qui séjournait à Chengdu :

 

À Shanghai, ils (les étudiants à Shanghai) […] ont tous le même regret, c’est de rester entre Français […] Ils ont tous dit, « on aurait pu faire un petit effort. Mais la ville faisait que « non » en fait. (E09-2)

 

De plus, la langue shanghaienne a eu un effet décourageant. Pour certains étudiants, l’écart considérable entre le shanghaïen et le chinois standard a généré une telle insécurité qu’ils n’osaient pas engager la conversation avec les habitants.

 

Une étudiante interviewée à Shanghai a partagé plusieurs expériences vécues par ses camarades qui, en raison de leur insécurité linguistique, avaient des difficultés à comprendre même des phrases très simples en chinois. En conséquence, ils sollicitaient systématiquement l’aide de cette étudiante, qui maîtrisait mieux la langue (B2-C1, HSK5), pour communiquer avec leurs interlocuteurs chinois ou pour traduire leurs propos en français. 

 

Quand des filles sont allées à Hangzhou avec moi, il fallait réserver un hôtel, alors là, ça a été tout un délire, c’est moi qui ai réservé. Moi, j’étais au téléphone avec la fille en haut-parleur […] Et elle (une de ses amies) m’a dit « non, je ne parle pas, que je ne pourrais pas, un, comprendre ; deux, je ne pourrais pas parler pour qu’elle puisse nous comprendre ». (E04-2)

 

4.2.2 L’atténuation de l’insécurité linguistique

Inversement, des cultures locales encourageantes et stimulantes peuvent aider les étudiants à surmonter leur insécurité linguistique, facilitant ainsi leur progression en chinois et leur intégration dans la société locale.

 

Lorsque l’étudiant à Pékin a pris l’initiative d’engager des conversations avec les habitants, son expérience l’a complètement détrompé et a dissipé ses craintes. Il a découvert que les Pékinois, loin d’être agressifs, se montrent en réalité très francs, ouverts et bienveillants. Encouragé et enhardi, cet étudiant a commencé à converser fréquemment et aisément avec les Pékinois. Durant la seconde partie de son séjour d’un an à Pékin, il se rendait même dans les quartiers résidentiels traditionnels, tels que les hutong, pour échanger avec les habitants locaux.

 

Un autre exemple concerne une étudiante à Chengdu, qui était au début de sa deuxième année de licence à l’Inalco lors de son arrivée en Chine. Elle a affirmé qu’elle n’avait ni le niveau de langue ni l’expérience nécessaire pour échanger avec les Chinois (A2, HSK3). Au début de son séjour, elle ressentait donc une insécurité linguistique importante. « Au début en Chine, j’avais peur de parler. Dès qu’il y avait quelqu’un qui me parlait, je me stressais et je ne comprenais rien du tout » (E10-2).

 

Cependant, immergée dans une culture locale accueillante, elle a rapidement progressé à l’oral. « Maintenant, pour parler avec un Chinois sur la vie de tous les jours, c’est très facile à avoir. Parce que c’était très redondant en Chine » (E10-2). De plus, elle s’est liée d’amitié avec des Chinois bien avant de se rapprocher des étudiants étrangers.

 

De septembre à fin octobre, j’étais plus avec des amis chinois. Au début, j’étais beaucoup qu’avec des Chinois. [Ah, je pensais que c’était à l’inverse.] Bizarrement, au début j’avais du mal à me faire des amis étrangers. Après, j’étais beaucoup plus avec des amis étrangers. Mais au début, j’étais tout le temps avec des amis chinois et c’est eux qui m’ont fait découvrir Chengdu et tout ça. (E10-2)

 

L’expérience d’un autre étudiant à Chengdu témoigne également des effets positifs de la culture locale sur la gestion de son insécurité linguistique. Cet étudiant rencontrait de nombreuses difficultés avec le chinois à son arrivée en Chine (A2-B1, HSK3). Cependant, à l’instar de l’étudiante mentionnée précédemment, il était entouré de Chinois sympathiques qui l’encourageaient à persévérer dans l’apprentissage de la langue.

 

Je me retrouvais dans ce café-là (au sein du campus de l’Université du Sichuan), avec le patron qui ne parlait pas un mot d’anglais, qui ne parlait pas un mot de français, (et avec) un groupe très restreint qui passait leur benke (本科, licence) je crois […] Ils étaient tous au café, et je me trouvais souvent tout seul autour de 5 Chinois qui parlaient en chinois, en hurlant, en hurlant, ils m’ont dit « C., t’es là, il va falloir, aller, accroche-toi, continue à parler en chinois, tu lâches pas ton chinois. » Ça me poussait (à parler en chinois). (E09-2)

 

Le succès des étudiants à Chengdu est attribuable à un environnement local accueillant, où ils étaient constamment entourés de Chinois affables et chaleureux, qu’il s’agisse d’étudiants chinois ou de petits commerçants établis à l’intérieur ou à proximité du campus de leur université d’accueil. Sans exception, les trois étudiants à Chengdu ont confirmé avoir apprécié l’ouverture et la sympathie des habitants locaux, ainsi que leurs efforts pour les aider à s’intégrer à la société au travers de nombreuses activités communes. Selon eux, les Chinois qui les entouraient étaient toujours prêts à leur venir en aide et cherchaient à échanger avec eux. Les expériences de ces étudiants contrastent fortement avec celles des étudiants à Shanghai, qui peinaient à trouver des occasions de converser avec les Chinois malgré un niveau de langue plus avancé. En conséquence, ces derniers ont dû découvrir la culture locale par eux-mêmes.

 

Conclusion

Dans cet article, en nous appuyant sur les témoignages d’étudiants de chinois de l’Inalco ayant effectué leur séjour dans diverses régions de Chine, nous avons mis en lumière les enjeux posés par les langues et les cultures régionales chinoises sur la compétence communicative interculturelle, laquelle est à la fois sociale et affective.

 

Du point de vue de la communication interculturelle, outre les difficultés inhérentes au chinois standard, l’utilisation quotidienne des langues chinoises régionales dans des contextes informels crée une couche supplémentaire de complexité pour les étudiants immergés dans la société chinoise au sein de différentes régions. Au cours de leur séjour, ces étudiants ont été contraints de surmonter simultanément cette double difficulté afin d’établir une communication intelligible. De surcroît, les défis posés par les langues régionales chinoises se révèlent souvent plus complexes que ceux associés au chinois standard. À l’exception de l’étudiant basé à Pékin, tous les autres ont fermement déclaré avoir souffert d’une incompréhension totale lorsque leurs interlocuteurs chinois s’exprimaient dans la langue locale de la région où ils se trouvaient. Cette incompréhension était unilatérale lorsque les étudiants, s’exprimant correctement en chinois standard, étaient compris par leurs interlocuteurs chinois, même si la réciproque n’était pas vraie. De plus, l’incompréhension devenait bilatérale lorsque les étudiants ne parvenaient pas à s’exprimer clairement en chinois et que leurs interlocuteurs utilisaient exclusivement la langue locale. Dans de tels cas, ni l’étudiant ni le locuteur chinois n’étaient en mesure de comprendre leur interlocuteur.

 

Comme expliqué dans la section 2.2, la compétence interculturelle revêt également une dimension affective. Dans notre étude, face aux doubles difficultés communicationnelles, en particulier celles causées par les langues régionales, les étudiants ont souffert d’une insécurité linguistique. Cette insécurité tend à s’atténuer lorsque les étudiants évoluent dans une culture locale bienveillante et encourageante, comme à Pékin, Jinan, Chengdu et Kunming. En revanche, l’insécurité linguistique s’aggrave lorsque les étudiants se sentent découragés ou même exclus de la culture locale, comme ce fut le cas pour les étudiants à Shanghai et à Chongqing.

 

En conclusion, notre étude révèle l’importance de l’adaptation au contexte social pour le développement de la compétence interculturelle des étudiants en situation de mobilité dans un pays cible. Leur séjour se déroulant dans une région spécifique de ce pays, les cultures avec lesquelles ils interagissent de manière rapprochée sont donc celles de la région où ils se trouvent (Li, 2019, p. 339). Ainsi, la relation entre l’adaptation à la culture locale et la réussite du séjour est indéniablement forte. « À Rome, fais comme les Romains », cette expression illustre bien l’importance de s’accoutumer à la culture locale.

 

À l’ère de la mondialisation, où la mobilité étudiante dans le pays cible devient une composante essentielle du parcours académique des étudiants et continue de prendre de l’ampleur, il est temps d’attirer davantage l’attention des enseignants et des chercheurs, dans l’enseignement/apprentissage des langues étrangères, sur les enjeux liés à la diversité et à la complexité du contexte social du pays cible (le « macro-contexte »).

 

 

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12 mai 2025
The representation of Chinese language and culture through coverage of language education in the French press
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Charlotte Wang-Barrat, Joël Bellassen
 

Résumé : Les stéréotypes sont souvent créés à partir d’informations de seconde main majoritairement véhiculées par les médias. Au moment où les divergences des besoins de développement nationaux font monter les tensions, le rôle de l’éducation des langues revêt une importance stratégique. Comment les médias ont-ils couvert ce sujet ? Cette question mérite une exploration en profondeur notamment concernant la langue de l’empire du milieu. Nous avons réalisé une analyse longitudinale de 2004 à 2023 dans le cadre de la presse française. Nos résultats révèlent que ce sujet a bénéficié d’une exposition médiatique élevée derrière l’anglais et l’allemand alors que seulement 0,7% d’élèves du secondaire apprenaient cette langue en 2016. A l’inverse des articles sur l’éducation de l’anglais et de l’allemand, le prisme et le nombre des articles de presse sur l’éducation du chinois ne sont pas corrélés à l’agenda politique, mais à l’évolution du nombre d’apprenants. L’éducation du chinois en France a été présentée dans l’ensemble comme une source rare d’ouverture et d’enrichissement à la fois économique et culturelle, le statut économique de la Chine et l’altérité des langues et cultures chinoises étant positivement perçus comme des facteurs de motivation.  
Mots-clés : représentation ; langue ; culture ; Chinois ; médias ; éducation, France

Title: The representation of Chinese language and culture through coverage of language education in the French press

Abstract: Stereotypes are often created on the basis of second-hand information, mainly conveyed by the media. At a time when divergent national development needs are increasing tensions, the role of language education is of strategic importance. How have the media covered this issue? This question deserves to be examined in depth, particularly with regard to the language of the Middle Kingdom. We carried out a longitudinal analysis of the French press from 2004 to 2023. Our results show that this subject received a high level of media coverage behind English and German, despite the fact that only 0.7% of secondary school students were learning the language in 2016. Unlike articles on English and German education, the prism and number of press articles on Chinese education are not correlated with the political agenda, but with the evolution of the number of learners. Overall, Chinese language education in France was presented as a rare source of economic and cultural openness and enrichment, with China’s economic status and its linguistic and cultural otherness being positively perceived as motivating factors.
Keywords: Representation; Language; Culture; Chinese; Media; Education; France


Introduction

At a time when divergent national development needs are increasing tensions in the world, second and third language education plays a strategic role. Cultural aspects of societies have been overlooked by the traditional general-interest media (press, TV, radio), which mainly cover economic and political news, whereas they are fundamental to social interactions between people from different countries.


How these media have covered this issue deserves an in-depth exploration, particularly as regards the language of the Middle Kingdom. Academic articles examining the development of Chinese language and culture in the world have often focused on the Confucius Institute (CI) and its controversies. However, CI and political concerns may not be representative of Chinese language educational activities in general, nor of people’s attitudes and perceptions. Our article is the first attempt to study this particular media phenomenon through lexical and linguistic analysis.


Our findings reveal that there was substantial coverage of issues relating to Chinese linguistic education in France from 2004 to 2014, then a progressive decline until a total lack of coverage in 2023. The overall representation of Chinese language teaching and learning in France displayed a strong positive tone. Five themes have been identified through lexical analysis: 1. The opening of new Chinese language classes in secondary school is good news; 2. Confucius Institutes are cooperative partnerships; 3. Traditional cultural activities such as calligraphy, painting and cuisine are emphasised in the Chinese language teaching. 4. The motivating factors of Chinese language learners are both economic and cultural. 5. The Chinese language is distinctive in its phonetics and its script. Our linguistic analysis shows that China’s economic status and the otherness of Chinese langue and culture are positively perceived as motivating factors. The press coverage emphasized cultural enrichment and spiritual opening, and also tended to argue against the stereotype of Chinese as a difficult language. 


Analysing the media representation of Chinese language education in France on a long-term basis gives us a general idea of what all the stakeholders including politicians, heads of educational institutions, teachers, students, parents, journalists, newspapers’ readers in France think about Chinese as a global language and the cultural values that implies. It also allows us to discuss from an evolutionary perspective the social anchoring hidden behind these news stories in the light of the news values theory and the social representation theory.


Literature review

Previous research about China’s media representation in western countries can be summed up by two main characteristics: the affirmation of China’s status as a global power; and the fear of China as a threat. The China threat theory has been developed first in political sciences. The media representation of China as a threat was identified in the US print media as early as 1992. From 1995 onwards, China was not only represented as an economic, political and ideological threat but also increasingly a military and strategic threat (Yang and Liu, 2012). The Washington Post reported in January 2019 that the Global Database of Events, Language, and Tone (GDELT) had indicated particular downturns in 2013 of the overall global media tones about China (Brazys and Dukalskis, 2019). A Report entitled “China’s soft power in Europe falling in hard times” published in April 2021 by European Think-tank Network on China (ETNC)  confirmed that European public opinion towards China in 2020 was even more negative. 


Cultural aspects of the country were still insufficiently covered by the traditional media (Willnat and Luo, 2011). The category “culture/arts/education” occupied only around 3% of China-focused news in European transnational newspapers (Zhang, 2010). In front-page stories, it became even too small to be a distinct category. This overlooked category is actually a fundamental aspect of today’s global world which is multilinguistic and multicultural. Language is integrated into a set of values and norms called culture Language and culture exert powerful influences on people’s minds and contribute to structuring social interactions (Koester and Lustig, 2010). 


The representation of foreign languages was mainly studied in didactics. It is often stereotyped among learners (Cain, 1984). A strong correlation was confirmed between the image of a country for the learner and the representation of his or her own learning experience of that country’s language (Castellotti and Moore, 2002). For French learners of Chinese language, the most popular stereotype was that this language is difficult and the cultural distance is huge (Bouvier, 2010). Additionally, the greater the cultural distance was, the more effort was required to adapt socio-culturally (Furnham and Bochner, 1982). 


Existing articles studying Chinese language education in the fields of global language status (Gil, 2011) and language planning in the west were especially found in North America and Australia (Bianco, 2007; Curdt-Christiansen, 2009; Liu and Bianco, 2007; Wang, 2007). Moreover, those focusing specifically on CI were mostly through the lens of China’s soft power and the ideological struggles (Starr, 2009; Hartig, 2012; Huang, 2023). CI created a stronger sense of otherness and leaded to negative perceptions (Huang, 2023). CI’s controversy raised two concerns: 1. CI is a sinister attempt to extend Chinese political control activities to Western universities; 2. CI spreads communist party culture in the name of Chinese culture (Hartig, 2012). In 2021, the U.S. Senate denied the Department of Education funding for American universities that host CIs unless they meet oversight requirements. Many CIs have closed recent years. There are currently 525 CI around the world, including about 150 in Europe of which 17 are in France , 31 in the UK, 21 in Spain, 19 in Germany, 12 in Italy. The distribution of CI around the world reflects China’s trade situation with countries, not the political alliances of the past on a global scale (Starr, 2009). 


No research has been found about social representation of Chinese language and culture through the lens of education in media studies. 


Data 

The main corpus consists of 744 articles with 248872 words in total on Chinese language education in the national and regional press. Among these 744 articles, 705 are from the regional press, 39 from the national press. The data are supplemented by 121 articles on the teaching of English and 68 on the teaching of German in the national press during the same period of twenty years from the 01/01/2004 to 31/12/2023. All the articles come from six national newspapers (Le Monde, Le Figaro, Les Echos, Libération, La Croix, Aujourd’hui en France) and eight regional presses (Ouest France, Sud Ouest, La Voix du Nord, Le Parisien, Le Télégramme, Le Progrès, La Montagne, La Nouvelle République). They were accessed through the Europress database

 
Articles dealing mainly with the Chinese, English or German language education were selected. Those dealing with languages in general, without our targeted languages being the main topic, were excluded. Other related topics such as Chinese students in France or personal portraits (linguists, artists, French young professionals working in China, etc.) were also excluded. 
Methodology
In this paper, we carried out a long-term analysis because it is the most appropriate to draw an overall picture and to reflect an evolutionary view. In parallel, to gain perspective, we adopted a comparative approach, by including English and German language education during the same period in the national press.
Having first quantified the intensity of media coverage of Chinese language education per year, we then conducted a textual semantic analysis using both lexical and linguistic methods. 
We used Alceste software to assist our lexical analysis by khi2 logic in order to identify themes and their key words. This lexical analysis shows which are central and peripheral themes of the represented object (Abric, 1994). The linguistic analysis is relevant to identify subsequent relationship between central and peripheral themes (Molinier, 1996). 
We chose to focus on central key words “difficult” and “economic+” previously identified in the lexical analysis to examine opinions, attitudes and stereotypes displayed by media articles about Chinese language and culture. The word “different” was also added into our analysis. Two quotients are particularly applied to the key words: frequency and co-occurrence. Frequency is the popularity index of the words. Co-occurrence shows the relations between the different words, by calculating the simultaneous presence of two or more elements in the same context unit (Bardin, 2013).
Finally, all the figures obtained through Alceste software-assisted analysis will be presented in the results part in its original French language version to avoid any possible misinterpretation caused by translation.

 

Results

A wide media coverage focusing on the increasing number of Chinese language learners

In order to quantify the media coverage intensity on the topic of Chinese language education, we compare the national press coverage from 2004 to 2023 of the five most widely learned languages in France, which were English (99.2% of the total students in 2017), Spanish (57%), German (15.7%), Italian (4.9%) and Chinese (0.7%) in 2016. As the most learned second language, English teaching was covered by 121 articles in the national press, followed by German with 68 articles and Chinese with 39 articles. Spanish and Italian had only 5 and 2 articles respectively. 

Figure 1.png

Figure 1: Numbers of articles about English, German & Chinese Education in the French National Press

 

Media coverage of English and German shared a common feature: these two languages had much higher exposure in a few particular years than others, specifically in 2004, 2008, 2011 and 2013 for English with 2013 the highest; in 2004, 2015 and 2016 for German with 2004 the highest. The lexical analysis revealed that news coverage on English and German education during these particular high media coverage years featured mainly language policy reforms corresponding to political agendas. 


The content about German-language education from 2004 to 2023 can be summarized by the continuing fall in the number of learners and the French government’s political support for the teaching of this language. When the socialist Minister of Education Najat Vallaud-Belkacem requested the abolition of the English-German bilingual classes in the spring of 2015, the debates were especially covered by Le Figaro. The English-German bilingual classes had been previously installed by the right-of-center party. They were actually part of a general strategic policy framework to strengthen neighbourly relations with the aim of building Franco-German leadership within the EU. The high coverage then continued during the whole year of 2016.


As of English-language education, the peak of the media coverage happened in 2013 when Geneviève Fioraso, Minister of Higher Education and Research, announced a bill to promote programs taught in English language in French universities. A very heated debate took place in the press then. It was perceived by some French intellectual elites that promoting programs taught in English could be a threat to the development of national scientific research in French language. Another high-profile topic of discussion during the whole period of 20 years was the early teaching of English to children in kindergarten.


Unlike English and German, Chinese language education has no period of high media exposure corresponding to language policy reform. The coverage of French national and regional press on this topic was linked to the number of Chinese language learners. Particular higher exposure was noticed when there were more new classes opening, especially from 2004 to 2013. 

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Figure 2: Media Coverage of Chinese Language Education in French National & Regional Press from 2004 to 2023

 

In 2007, Chinese language changed its status by overtaking Portuguese and Russian, becoming for the first time the 5th most learned language in France behind English, German, Spanish and Italian. By 2016, Chinese learners were nearly twice as numerous as learners of Portuguese and around three times as numerous as learners of Russian and Arabic. 2006, 2008 and 2012 were three years which recorded the highest numbers of news articles. 2012 was a peak year especially because of the unusual increase of article numbers in certain regional newspapers - for example, 14 articles for Le Progrès in 2012 compared with 2 in 2011; 8 for La Voix du Nord in 2012 compared with 1 in 2010. Overall, Brittany is the region with the highest number of learners of Chinese. The Breton regional newspaper Ouest France was also the biggest publisher of news on the subject.

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Table 1: The Numbers of Languages’ Learners at Secondary School in France (2006-2016)

 

Five representation themes about Chinese language teaching 

Our Alceste software assisted lexical analysis reported 76% high relevance with the text units classified in five themes. The first theme containing 32.50% of the text units confirms that the central element of the representation of Chinese language education is its growth in secondary school. The second theme containing 20.59% of the text units is about Confucius Institutes under “Hanban” which are qualified as cooperative partnerships. The third theme (18.35%) reports on activities of Chinese language teaching: calligraphy, painting, art, cuisine, exhibition, trip, workshops, etc., including in associations outside secondary schools. The fourth theme containing 17.42% of the text units is about attitudes to Chinese language and its acquisition in France. The fifth theme (11.14%) consists of the specific characteristics of the Chinese language and its perception as difficult.

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Figure 3. Five Themes about Chinese Language Education in the French Press

 

The first theme reports the facts (what, where, when, who). Teaching (“enseignement”) Chinese as a living (“vivant”) language was a new “option”, “class” or “section” for pupils (“élève”) at the next start (“prochaine” “rentrée”) in institutions (“établissements”) in different “academies”. “Academy” is a geographical classification by the administration of French National Education Ministry. “Living language” is the expression commonly used in France to call second and third language. “Second” here in means the first year in “high school” (lycée); “Sixth” (sixième) means the first year in middle-school (“collège”). Holy (“saint”) is a frequent word appeared in the names of private Catholic schools in France. Despite the appearance of this word, there are no statistics from the French Ministry of Education attesting that the majority of pupils learning Chinese are in these schools. The presence of the words English (“anglais”) and German (“allemand”) is due to the simple fact that both are often mentioned in parallel with Chinese language teaching, either because of English-Chinese bilingual classes or in contrast with the decline in the number of German language learners. 


The second theme describes Confucius Institute, subordinated to “Hanban” as a cooperative partnership or relationship between universities, supported by embassies (“ambassades”), “regional” councils (“conseil”) and “provinces”. Brittany (“Bretagne”) region, “Shandong” province, “Rennes” and “Poitiers” cities were quantitatively the most significantly mentioned in the regional press. CI was by the way a highlighted theme in 2021 in the national newspapers Le Monde et Libération.  It is worth remembering that in 2021, there were only 9 articles on Chinese language education in the regional and national press.


The third theme displays the main traditional cultural activities related to Chinese language teaching: calligraphy, cuisine, art, painting (“peinture”), exhibitions (“exposition”), trips (“voyage”), workshops (“atelier”) in the evenings (“soirée”) or on Saturday (“samedi”), Friday (“vendredi”), Thursday (“jeudi”), or at the occasions of the Chinese New Year “Festival” which falls often in “February”. Cultural “associations” are actively involved. 
In the fourth theme, words exhibiting opinions and attitudes toward Chinese language learning (“apprendre”) are: advantage (“atout”), "desire", "fascinated", “love” “motivation”. Being “able” to “speak” Chinese is good for “work” thanks to the country’s (“pays”) economic, market (“marché”) and commerce in the world (“monde”), but also for “spirit”. Girls appear more prominently in this theme than boys. This theme will be focused for further examined in the next linguistic analysis section.


The fifth theme is about the specific characteristics of Chinese language itself. It can be summarized in writing (“écriture”) and reading (“lire”): word (“mot”), “characters”, “ideograms”, non-“alphabetic” “sinograms”; in oral pronunciation: (“prononciation”), phonetic (“phonétique”), tones (“tons”); in grammar, conjugation and   “phrases”. The word. This keyword “difficult” as a qualifier will be further analyzed in the next section.


China’s economic status is significant, but can’t explain everything

Linguistic analysis determines the causal relationships. The relationship is called paralogical or horizontal when the analysis of the elements is determined by grammatical, logical or syntagmatic rules (Grize, 1993). It deals with the question of “how it is discussed”. (Fallery and Rodhain, 2007), in other words, it concerns the media framing which is about values that journalists choose to establish to explain news stories (Entman, 1993). The fourth theme gathers the relevant text units for the linguistic analysis. 

 

The co-occurrence network of the key words in this theme is organized around the central word “economic”. The peripheral words which have the most numerous co-occurrences with the central word “economi+” are: “global”, “power”, “country”, “professional”, “world”, “social”, “future”, “growth”, “speak”, “advantage”, etc. (Fig. 4). The paralogical relation can be summarized as the following sentences composed with the central and peripherical key words: The Middle Kingdom, a fast-growing global economic power in the world, is a dynamic big country. The motivation to speak Chinese is that it’s an important professional advantage for the future of the youth. 
 

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Figure 4. Network of the central word “economic” with its peripheral words

 

However, the economy does not explain everything. Among the most significant words of the second theme, as Figure 3 shows: “desire”, “fascinated”, “spirit”, “love” are complementary explanatory elements in Class 4. In other words, the Chinese language would never have grown so rapidly if there had not been desire and love on the part of the students for this fascinating language itself and the spirit of this culture. 


The Chinese language is difficult but less than you might think!

We focused on the sentences containing “difficult” and “different”, two popular qualifying elements of Chinese language and culture. 


The importance of an element increases with its frequency. As for the frequency listing rule, weighting reflects the intensity of an element. The frequency per year of the two key words “difficult” and “different” have been counted when they are qualifier elements. The total frequency of the word “difficult” is 138, that of the word “different” is 75. The word “difficult” is therefore much more intensive than the word “different” throughout the text. As showed the Figure 3, “difficult” appears in Class 5 but not “different”.

 

According to Osgood’s method (Bardin, 2013) for frequency weighting, we coded the word "difficult" at each occurrence by giving it 3 qualitative directions: -1, 0, +1.
Unfavourable = -1, the opinion confirms that Chinese is a difficult language. 
Favourable = +1, opinion confirms that Chinese is not difficult.
Neutral/ambivalent = 0, opinion is neutral or ambivalent.


By counting frequencies by direction, we obtained the intensity of the word “difficult” per year and according to the user of the word. Teachers have the highest positive score 9, followed by “others” 1. “Others” include Chinese language inspectors, principals, parents or representatives of Chinese cultural associations. Students get the score of -2. They’re a mixture of pupils in primary and secondary school, university students and adult learners in associations. Journalists’ opinions have the highest unfavorable intensity -33. 


Furthermore, it’s necessary to consider the characteristics of journalistic writing to adjust the intensity of the word “difficult”, because mentioning the difficulty of Chinese may be a preliminary to further develop other ideas or questions in discourse. Sometime, presupposing that Chinese is difficult is in order to contradict it later. We therefore applied corrective coefficients. Six cases were identified. Here are two examples of the coefficients +1 and +2 applied to correct the intensity weighting of “difficult”:


Neutral 0, corrective coefficient +1 
“But isn’t it a very difficult language to learn? This myth must be broken.” (Le Télégramme, 09-10-2004)


Unfavourable -1, corrective coefficient +2 
“It is customary to say that Chinese is a difficult language. That’s what Mrs. Bonneau denies: It’s different, not transparent, but not really hard. In Chinese, there are no conjugations, no genders, no declinations.” (La Nouvelle République, 27-03-2015)

A total of 11 points were administered. Finally, the direction of the references to Chinese remains unfavorable. But its intensity is reduced to -15. 

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Table 2. Intensity of the Word “Difficult” according to source of opinion

 

The source of opinion shows that the perception of the degree of difficulty depends on the opinion holders’ profile. The total score of -15 indicates a more favourable media representation of Chinese language itself and its learning experiences than what the general opinion could have assumed, as indicates the journalists’ score of -33. Hence, the stereotype of Chinese as being a difficult language has been reduced in these media articles by reflecting various stakeholders’ opinions on this topic.


Discovering such different language and culture opens your mind and even more!

The word “different” as a qualifier element appears 75 times in the textual database. The co-occurrence of this word with the verbs allow (“permettre”) and bring (“apporter”), shows the relationship with the consequence of discovery (“découvrir”) which is both an outcome and an objective. The adverbs so much (“tellement”) and really (“vraiment”) are intensifiers. They were used to highlight the otherness of Chinese language and culture in comparison with French ones. That means it is precisely the big linguistic and cultural distances that make the leaning effect of discovery rewarding. 
Among the co-occurrences between “different” and “culture”, “culture” is related to three semantic meanings. It is first mentioned alone without a precise description with words such as “whole” and “world”. Then come way of thinking (“penser”), logic (“logique”), mentality, philosophy, vision, insight, etc. The third aspect of the Chinese culture is related to lifestyle (“vie”), landscapes, behaviors, habits (“habitudes”), etc. 

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Figure 5: Network of the central word “different” with its peripheral words.


 

Furthermore, the expressions attesting to attitudes towards cultural differences are: “curiosity”, “openness”, “adaptation”, “enrichment”, “advantage”, “interesting”, “important”, “charmed”, “attracted”, “envy”, “love”, etc. In other words, the interest and the desire for learning Chinese lie in the discovery of the difference bringing openness. Chinese language acquisition’s consequence is perceived as a positive “cultural distinction” (Tajfel, 2010) for the learners with respect to other members of the French society. 

 

Some students testified to their motivation by their taste for challenge and the development of self-esteem. Additionally, work-related values such as rigor, regularity, concentration and patience were also promoted.

“Francoise Moreux concludes that she was hired by Air France because of her knowledge of Chinese but also because of the open-mindedness she had gained by frequenting a different culture.” (La Montagne, 21-11-2011)

“Why learn Chinese? There are many reasons: to open up to the world, develop autonomy, adapt to another way of thinking, write with care and rigor, speak several languages and compare them, develop self-esteem…” (Le Télégramme, 24-04-2018)


In summary, the experience of Chinese language acquisition is much more positive than might be expected both because of the reported lower intensity of the linguistic difficulty and the highlighted benefits of being culturally different from the learners’ point of view. 


Discussion

The wide coverage under the theoretical framework of news values

Media primarily reflect social facts through their choice of news topics. Media “Framing” refers to selection and salience. News is selected and formulated according to some aspects of a perceived reality (Entman, 1993). In other words, it is the result of media “framing” that Chinese language education was chosen to be a news topic. The criteria defining the news values are particularly relevant to explain the wide but declining coverage on the topic of Chinese language education in the French press over 20 years. Here below are five non-exhaustive criteria.


The first criterion of news values is celebrity (Bell, 1991). When stories concern powerful individuals, organizations, institutions, they are more likely to be published. The importance that the media have given to the development of Chinese language education is linked to China’s global status. The fact that China’s global status doesn’t fit the status of the Chinese language education in France makes the choice of this topic convincing. Chinese language is commonly classified as a "rare language" by the French Ministry of Education, while it is the language with the most users in the world.


The second criterion is “Follow-up”. Stories about subjects already in the news (Harcup and O’Neill, 2017) are more likely to be published. Chinese language teaching is a permanent activity which can be followed year by year. Our observed period starts in 2004 when the CI was launched worldwide. The largest number of articles about Chinese mandarin teaching and learning occurred in 2006. Updating the information in the following years corresponds to the logic of “Follow-up”. 


The third criterion is “Proximity”, geographical closeness. (Galtung and Ruge, 1965). It was the regional newspapers that reported the most news on this topic because this news concerned the schools in the cities or regions where the readers of these newspapers live. The geographical proximity also concerned the CIs, which were created in collaboration with French universities located in different cities or regions.


The fourth and fifth explanatory criteria are “Recency” and “Unexpectedness” (novelty). Stories which have just happened are valuable. When they are unexpected or surprising, they have even more value. Chinese mandarin is a distant language rarely taught and learned in France comparing to English, Spanish, German and Italian. The opening of new classes teaching Chinese, especially in the first years from 2004 to 2007, was a novel phenomenon at that time. Chinese became unexpectedly the 5th most taught language in 2007 in secondary school while it was still classified as “rare language”. From 2012 onwards, the topic was gradually losing its values of recency and unexpectedness, leading to a near total lack of interest. Interestingly, the media coverage over 20 years is correlated to the number of learners but not to the change in the number of learners. From 2018 on, the number of Chinese learners began to fall. The decline of Chinese language learners was not chosen by media because the number of learners remaining small was neither new nor unexpected. It’s just not a valuable news topic according to the news value theory. 


The openness to otherness in view of social representation theory

The taxonomy of news values (Galtung and Ruge, 1965) shows that the value of a news item depends on the way in which the media work. It’s related to framing and frames. Frames are organizing principles that are socially shared and persistent over time (Entman, 1993). Analyzing the mass media content is equivalent to analyzing the “constitutive thinking” that gives form and meaning to content and the core values according to which media discourses are constructed and propagated (Doise, 1992). Consequently, studying social representation of Chinese language education in France demonstrates not only French people’s opinions, attitudes and stereotypes about the represented object but also, more importantly, the core values which have shaped French people’s constitutive thinking.


The core value according to which media shaped a favourable representation of Chinese language education was the openness to otherness. We suggest that this may be linked to two anchoring factors related to the French society. The first is the symbolic values of the French language education in the forging of a historical French cultural identity. The second is the effect of an effective implementation of more recent EU multilingual policies in France. 


“Francien”, a dialectal variety of the old french, was spoken in the Île-de-France region, where the royal court had settled. This dialect gradually evolved into standard French, which, by the 17th century, had become the prestige language in many Northern and Eastern European courts. Two thirds of the French population spoke only a variety of old regional languages on the eve of the French Revolution. The standardisation of the French language became a key policy in the construction of the national identity of the new French Republic through education since 1789 (Siguan, 1996). In colonial times, using French as a medium of instruction within the colonies’ education system was a policy of the first order for cultural assimilation purposes. Alliance Française, the emblematic institution of the Francophonie was by the way established since 1883. This is much earlier than its European equivalents - the British Council in 1934, the Goethe Institute in 1951, the Cervantes Centre in 1991 – or the even more recent Chinese Confucius Institute launched in 2004.


With this in mind, the unusual lack of political debates about CI could be supported by the socially anchored perception of the symbolic language education values in the French monolingual traditions. Language symbolises the core value of its culture. Language education is of the first importance to learn a culture. The French regional press was mostly content to report the simple fact that French regional governments were involved in setting up CIs and supporting linguistic and cultural exchange. Overall, isn’t it what local authorities are supposed to do in order to increase educational opportunities, enrich local cultural lives and by doing so to prepare future global economic exchange? The same may be applied to the national press. In comparison with concerns of CI that the French national press didn’t avoid to discuss deeply, the development of Chinese language education in France was a valuable source to frame more interesting news stories in terms of important benefits and values to learn such a different language and culture. 


Apart from France’s traditional monolingualism, the favourable representation of Chinese language education may also be relevant to the more recent multilingualism that France has adopted as part of the European Union. The European policy of multilingualism has been built on the basis of respect for linguistic and cultural diversity of the EU’s member states (Pilhion, 2008), whereas its supranational cultural diplomacy in external relations encourages expedient soft power considerations to cultivate the spirit of global cultural citizenship (Isar, 2015).


The traditional national monolingualism started to give way to the European multilingualism as early as the 1990’s (Costa and Lambert, 2009). The Common European Framework of Reference for Languages (CEFR) published in 2001 by the Council of Europe provided a set of common guidelines for member states to draw up national foreign language programs. The aim of CEFR was to train multilingual citizens with a sense of belonging to a European community while respecting national cultural identity. The European multilingual policy has provided an open environment where French students are free to choose up to 3 living languages to learn. Regional minority languages such as Basque, Occitan and other non-European state languages – Chinese, Arabic or Hebrew - have all benefited from this open environment. But in a different way to Arabic or Hebrew which are mainly heritage languages linked to immigration, China’s global status and its economic power are key factors contributing to the development of Chinese language education in France. Chinese language isn’t just a heritage language. A large proportion of learners are not Chinese immigrants’ descendants in France. 


Last but not least, in contrast to Chinese, German and English language teaching has not been framed in the same way in the French national press. As official languages of the EU, national policy issues of these two languages were key. It was not the case with the Chinese language. This contradiction can be understood in the light of the two-folded multilingualism. On the one hand, to cultivate an internal coherence of the European cultural identity is an important political issue; On the other hand, to encourage the spirit of global cultural citizenship is a socially shared value. 


Conclusion

Mass media are often called the “fourth estate” because of their countervailing effect on the exercise of political power.  It would be biased for media and communication research articles to focus exclusively on authoritarian determinism (Guan, 2019). It is encouraging to see the extent to which, despite a climate of global crisis with increasing tensions between nations, the overall attitudes and opinions towards the spread of Chinese language education have been positive in France over a long time period. The stereotype of Chinese as a difficult language has been attenuated. The otherness of Chinese culture, China’s global status and its economic power have been favorably perceived as an enrichment. We argue that the underlying reasons for this positive media coverage can be found first in the theory of news values. The contrast between China’s global status and that of Chinese language as a “rare” or “small” language in the French education system provides interesting ingredients to frame news stories around the core value of the openness to the other. The social representation theory supports us to argue that the openness to the otherness is rooted both in France’s traditional national monolingualism and the more European multilingualism well assimilated in France. 
It has been demonstrated that cultural perception is important for economic exchanges between countries. Lower trust leads to less trade (Guiso et al., 2009). The wide coverage and the favorable representation of Chinese language education in French media suggests that a positive cultural perception has promoted higher trust of French people on the power of Chinese culture and consequently the economic benefits. Our research has several limitations. First, it focuses only on French press. Radio, TV and other new types of media haven’t been included. Second, our findings can only explain the decline of media coverage of Chinese language education in France but not the decline of Chinese language learners within the French education system. Finally, our paper is limited to the national level of France. Despite certain commonly shared similarities by European countries, a better understanding of this issue at a larger scale must be further researched under other specific contexts.


Acknowledgements

The original material analyzed in this article is in French. We have tried to remain faithful to the tone as well as the literal meaning of the original words and phrases in our redaction in English.
Disclosure statement 
No potential conflict of interest was reported by the author.

 

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22 mai 2025
La compréhension de l’écrit en classe de Chinois Langue Etrangère : Les apprenants de niveau élémentaire face à la segmentation des phrases en mots
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Rachel Daveluy (Université de Montpellier Paul-Valéry – Laboratoire ReSO)

 

Résumé : Contrairement à la majorité des langues écrites qui utilisent un espace blanc entre les mots pour les délimiter, la langue écrite chinoise, basée sur les caractères, ne marque pas de frontières claires entre les mots, obligeant ainsi le lecteur à regrouper lui-même les caractères pour former des unités lexicales. Les études en psycholinguistique et en traitement automatique des langues ont montré que la segmentation des phrases en mots était un processus complexe aussi bien pour les lecteurs natifs que pour les apprenants de chinois langue étrangère. L’objectif de notre travail est de faire le lien entre non-visualisation du mot dans la phrase chinoise et compétence en compréhension de l’écrit (CE) chez des apprenants débutants de chinois. Nous avons proposé des tests de compréhension de l’écrit, des tests de segmentation et des questionnaires à des apprenants de chinois de niveau élémentaire pour connaitre leur point de vue sur l’absence de visualisation des mots, leur perception de leurs difficultés en CE et leur capacité à segmenter correctement des phrases chinoises en mots. Les résultats ont montré que les apprenants ont plus de facilité à identifier les mots rencontrés au tout début de leur apprentissage et qu’ils s’appuient sur les mots fonctionnels pour découper la chaine écrite. Les résultats ont également montré que la majorité des apprenants interrogés considère les caractères plutôt que les mots et qu’ils n’ont pas réellement conscience de la non-visualisation des mots ou des difficultés qu’elle génère. Pour autant, ils n’ont pas été capables de segmenter les phrases correctement. Les résultats de cette étude nous amènent à réfléchir à des pistes pour l’enseignement du chinois langue étrangère et notamment à l’introduction d’une démarcation entre les mots pour les apprenants débutants qui pourrait permettre une meilleure compréhension du message écrit chez ces derniers dans les premières phases d’apprentissage. 

Mots-clefs : Compréhension écrite du Chinois Langue Etrangère, segmentation des phrases en mots, apprenants débutants

 

Introduction

De nos jours, la majorité des langues écrites ont recours à l’utilisation d’un espace blanc entre les mots, permettant au lecteur d’identifier rapidement les différentes unités lexicales. Néanmoins, la langue écrite chinoise ne marque pas de délimitation entre les mots. C’est également le cas d’autres langues écrites telles que le japonais, le thaï ou le tibétain. Un texte en chinois se présente sous la forme d’une chaîne de caractères de même taille et de complexité variable, alignés les uns à la suite des autres et séparés chacun par un espace très mince (cette chaîne de caractères étant toutefois interrompue par des signes de ponctuation). Un caractère chinois correspond à une syllabe mais un mot équivaut à un ou plusieurs caractères. Il existe ainsi des mots monosyllabiques (d’un seul caractère), des mots dissyllabiques (de deux caractères) et des mots plurisyllabiques (de trois caractères ou plus). Puisque la longueur d’un mot chinois est variable et qu’il n’y a aucune démarcation entre les mots, le lecteur devra regrouper lui-même les caractères pour former des unités lexicales. Dès lors, « la lecture (qui est affaire de compréhension), comporte en chinois deux étapes : l’identification des caractères et la reconnaissance des mots » (Allanic, 2017, p.16).

 

Dans le domaine du traitement automatique du langage humain, la segmentation en mots des textes chinois est un défi majeur puisque les ordinateurs doivent regrouper les caractères en mots et que le repérage des unités lexicales est la toute première étape essentielle à tout autre processus de traitement automatique du mandarin (Prevot et al., 2015). Les techniques de segmentation en linguistique computationnelle (fondées sur des dictionnaires et des données statistiques) se sont progressivement améliorées depuis le début des années 1980, la justesse de segmentation avoisinant aujourd’hui les 99% et la vitesse de segmentation les 100 000 mots par seconde (Mao, 2019).  Dans le domaine de la psycholinguistique, l'étude de la vitesse de lecture et des mouvements des yeux (fixation et saccades) chez les Chinois natifs a permis de mieux comprendre le processus de segmentation en mots chez ces derniers et de s’apercevoir que, contrairement aux idées reçues sur cette langue non-alphabétique, le mot était saillant et avait bien une réalité psychologique pour les lecteurs chinois (Bai et al., 2008).

 

Pour autant, l’absence de visualisation du mot dans la phrase chinoise est un sujet encore peu étudié dans le domaine de la didactique alors même que des pratiques de classes liées à la segmentation en mots pourraient très certainement améliorer la compréhension et la vitesse de lecture des apprenants de chinois de niveau élémentaire (Chen et al., 2021 ; Shen et al, 2012). Ces chercheurs pensent qu’un marqueur entre les mots pourrait être utile aux apprenants de chinois, ce pourquoi, nous nous sommes interrogés sur le ressenti des apprenants. Nous avons mené une enquête auprès d’apprenants débutants pour connaître leur point de vue et aussi mieux cerner les difficultés qu’ils estiment rencontrer en compréhension de l’écrit (CE). Nous avons également voulu évaluer leur capacité à segmenter correctement des phrases en mots. Nous cherchons de cette façon à examiner la corrélation entre non-visualisation des mots chinois et compétence en CE du chinois langue étrangère.

 

1. Les spécificités de la langue écrite chinoise pouvant entraver la segmentation correcte des phrases en mots

 

1.1 La longueur des mots chinois n’est pas fixe

En chinois classique la majorité des mots sont monosyllabiques. Dans les Entretiens de ConfuciusConfucius, 91% des mots sont monosyllabiques, les autres mots étant pour la plupart des noms propres (Wang, 1978, cité par Ma, 2022). En revanche, à notre époque, la longueur d’un mot varie de 1 à 15 caractères (Liu et al., 2013) et la très grande majorité des mots sont dissyllabiques. Les mots dissyllabiques représentent environ 70% de la totalité des mots, les mots monosyllabiques environ 15% à 20% et les mots plurisyllabiques environ 10% à 15% (Fan et Reilly, 2022 ; Liang et al., 2023 ; Shen et al., 2012). Pour autant, la fréquence d’utilisation des mots monosyllabiques est bien plus élevée que celle des autres mots, elle représente environ 60% de la fréquence totale d’utilisation des mots (Su, 2014, cité par Zhou et Zheng, 2020). Cette haute fréquence d’utilisation s’explique notamment par le fait que les mots monosyllabiques font majoritairement partie du lexique de base.

 

De plus, un même caractère peut soit constituer un mot à lui tout seul soit aussi faire partie d’un autre mot (combiné à un ou plusieurs autres caractères). Huang et Xue (2012) donnent l’exemple des deux chaines de caractères [可 + 以] et [个 +人]. Après analyse d’un corpus de textes, ils ont découvert que la chaîne de caractère [可+以] apparaissait 879 fois en tant que mot dissyllabique kĕyĭ (可以) « verbe pouvoir » et seulement 4 fois en tant que deux mots monosyllabiques 可 (可) « possibilité » et  (以) dans le corpus étudié, ce mot avait le sens de « avec ». Cependant, dans le même corpus de textes, parmi les occurrences de la chaîne de caractères [个 +人], le mot dissyllabique gèrén (个人) « individu » apparaissait 143 fois et les deux mots monosyllabiques gè (个) « classificateur » et rén (人) « personne » apparaissaient 190 fois. De ce fait, le découpage correct d’une même chaîne de caractères est une tâche loin d’être aisée.

 

1.2 La capacité combinatoire des caractères et leur position dans les mots

Comme l’explique Allanic (2015), la capacité combinatoire des caractères est très élevée. Un même caractère peut être utilisé pour former un grand nombre de mots différents, notamment les caractères les plus usuels. A cela s’ajoute que la majorité des caractères peuvent apparaître à n'importe quelle position dans le mot et tout particulièrement les caractères les plus fréquents. Un même caractère peut de ce fait apparaître parfois en début, milieu ou fin de mot. Liang et al. (2017) estiment que seulement 20% des caractères communiquent des informations assez claires pour permettre une segmentation non-ambiguë de la phrase chinoise en mots. 

 

Cependant, certains caractères apparaissent plus fréquemment à la même position dans les mots. Liang et al (2023) citent par exemple le caractère hèn (恨) qui apparaît une seule fois en début de mot parmi une liste de 17 mots. Le lecteur peut également identifier rapidement la frontière entre les mots en s’appuyant sur certaines catégories de mots comme les suffixes par exemple. Néanmoins, pour les caractères très usuels, la position du caractère dans le mot est loin d’être constante. Parmi 549 mots de quatre caractères pouvant être formés avec le caractère rén (人), ce dernier est placé 132 fois en première position, 161 fois en seconde, 113 fois en troisième et 143 fois en quatrième position (Li et Pollatsek, 2020).

 

Enfin, Drocourt (2022) souligne qu’un caractère représente une unité minimale de sens et qu'un même caractère peut être utilisé pour noter plusieurs unités de sens très différentes. Par exemple, dans le Dictionnaire Ricci Chinois-Français (2014), le caractère huā (花) peut, entre autres, revêtir les significations suivantes : « fleur », « superficiel », « frivole », « courtisane », « flou », « dépenser de l’argent » ou « coton » et fait partie aussi de la liste des noms de famille.

 

1.3 L’identification ardue des noms propres, abréviations, néologismes et chengyu

La reconnaissance des noms propres est un problème majeur dans le traitement automatique du langage humain (Gu et al., 2015 ; Liu et al., 2022). Il n’y a pas de marqueur permettant d’identifier facilement un nom propre comme le ferait une lettre majuscule en français. Les noms chinois sont composés d’un nom de famille suivi d’un prénom, chacun pouvant être monosyllabique ou dissyllabique (les noms de famille dissyllabiques étant rares). Mais les transcriptions des noms des minorités ethniques ou des personnes étrangères n’ont pas de longueur fixe (Liu et al., 2022). L’écrivain français Emile Zola sera transcrit en 埃米尔·左拉 et le compositeur allemand Jean-Sébastien Bach en 约翰·塞巴斯蒂安·巴赫, par exemple. Les cent noms de famille chinois les plus fréquemment utilisés représentent environ 87% de la population chinoise (Gu et al., 2015) mais les prénoms peuvent être formés à partir de n’importe quel caractère. En outre, les noms de lieux prêtent souvent à confusion car ils peuvent déjà comprendre un autre nom propre tel qu'un nom de personne. Les noms d’organismes, quant à eux, sont souvent abrégés (Liu et al., 2022). C’est le cas de l’Université de Pékin Běijīng Dàxué (北京大学)  le plus souvent abrégée en Běidà (北大). Il est à noter que le lecteur pourra toutefois s’appuyer sur certains noms communs souvent utilisés avec les noms propres tels que « madame », « ville », ou « société » et ainsi repérer plus facilement ces noms propres. De plus, certains ouvrages soulignent les noms de personnes même si cette pratique est peu répandue si l’on prend en compte l’ensemble des corpus de textes existants.

 

La langue chinoise utilise beaucoup d’abréviations et la façon dont elles sont employées n’est pas toujours clairement définie. Ainsi le lecteur devra fortement s’appuyer sur ses connaissances préalables et le contexte pour découper correctement. Fu (2018) donne l’exemple de la chaine de caractères [中+非] qui selon les cas peut signifier le nom propre Zhōngfēi (中非) « La République centrafricaine », ou être une abréviation pour Zhōngguó- Fēizhōu (中国-非洲) « Chine-Afrique » et faire référence aux relations sino-africaines. A cela s’ajoute l’augmentation de l'emploi des abréviations dans les messageries instantanées et le langage Internet.

 

L’identification des néologismes est tout autant difficile puisqu’ils sont formés à partir de caractères préexistants et que toute chaîne de caractères pourrait potentiellement être un mot nouveau. Les néologismes sont d’ailleurs, tout comme les abréviations, de plus en plus utilisés avec la propagation des outils numériques.

 

Les expressions idiomatiques telles que les chéngyǔ (成语) représentent aussi une réelle difficulté pour la segmentation des phrases en mots puisqu’elles sont le plus souvent composées de quatre caractères que seul un lecteur expérimenté sera capable de reconnaître en tant que telles.

 

En somme, la langue écrite chinoise ne marque pas clairement de frontières entre les mots et la longueur de ces derniers n’est pas fixe. La capacité combinatoire des caractères est très élevée et la position des caractères au sein des mots n'est pas constante. Les noms propres, abréviations, néologismes et chéngyǔ (成语) sont difficiles à identifier. C’est pour toutes ces raisons que toute chaîne de caractères chinois pourrait en définitive correspondre à un mot nouveau ou à un nom propre. De plus, de nombreux caractères peuvent avoir diverses significations et être associés de manières différentes aux caractères adjacents, ce qui fait que l’ambiguïté du message écrit reste une constante forte. « Lire et comprendre un message écrit consiste avant tout à ‘découper’ le continuum de la chaîne écrite en mots, compétence fondée non seulement sur la connaissance des caractères, mais aussi, sur celle du vocabulaire et de la syntaxe » (Drocourt, 2007, p.357). Ainsi, la segmentation appropriée de la phrase chinoise en mots repose fortement sur les diverses compétences du lecteur et le lecteur non aguerri pourra commettre des séries d’erreurs entravant grandement sa compréhension.

 

2. Le processus de segmentation des phrases en mots chez les lecteurs chinois natifs

Comme le soulignent Liu et al. (2013), les lecteurs chinois ne sont parfois pas d’accord sur la façon de découper les phrases en mots et ne placent pas toujours les frontières aux mêmes endroits dans la chaîne écrite.  Ces chercheurs nous expliquent que la notion de mot est assez vague chez les lecteurs natifs qui ont tendance à combiner les mots monosyllabiques avec les mots dissyllabiques adjacents pour former une seule et même unité lexicale. Ils vont par exemple regrouper systématiquement le classificateur avec l’adjectif numéral qui le précède ou l’adjectif avec le nom qui le suit. En revanche, toujours selon Liu et al. (2013), dans certains cas les lecteurs natifs ont du mal à se mettre d’accord sur la façon de segmenter une phrase, par exemple, lorsque les adverbes sont suivis d’un adjectif, d’une préposition, d’un verbe ou d’un autre adverbe ou encore lorsque la phrase comporte une chaine consécutive de noms. Liu et al. (2013) pensent d’ailleurs que la tendance des lecteurs natifs à regrouper les caractères en morceaux de langue plutôt qu’en mots pourrait faciliter et améliorer leur compréhension en diminuant le nombre d’informations stockées en mémoire de travail. 

 

Pour autant, le mot a bien une réalité psychologique pour les lecteurs chinois et les études ont montré que le mot est plus saillant pour eux que le caractère (Bai et al., 2008). D’après Li et al. (2009) et Li et Pollatsek (2020), la segmentation et la reconnaissance des mots se fait en même temps chez les lecteurs chinois qui coordonnent les processus de haut niveau (connaissances antérieures, indices textuels) et de bas niveau (décodage linguistique). Et ces chercheurs estiment que c’est le processus de segmentation en mots qui influence en partie la reconnaissance des caractères.  En outre, face à un mot inconnu les lecteurs natifs liront les caractères un par un ce qui n’est pas le cas quand ils sont confrontés uniquement à des mots connus puisque qu’ils les identifient comme unités de lecture.

 

En plus de se référer au contexte et à leurs connaissances lexicales et syntaxiques pour réussir à segmenter correctement, les lecteurs chinois vont également s’appuyer sur la fréquence de position d’un caractère au sein des mots et plus particulièrement sur la probabilité d’être placé en fin de mot (Liang et al., 2023).

 

3. L’impact de l’ajout d’une délimitation entre les mots pour la lecture du chinois

 

3.1 Chez les locuteurs natifs

De nombreux travaux ont démontré que l’ajout d’une démarcation entre les mots (espace blanc ou altération de couleurs) n'avait pas d’impact significatif sur les compétences en lecture des Chinois natifs (Bai et al., 2008 ; Bassetti, 2009 ; Oralova et Kuperman, 2021) mais que l’ajout d’une délimitation entre chaque caractère diminuait leur vitesse de lecture et perturbait leur compréhension (Bai et al., 2008).

 

Pour autant, l’ajout d’une frontière visible entre les mots permet aux enfants chinois d’acquérir plus facilement du vocabulaire nouveau (Blythe et al., 2012) et aux adultes chinois d’améliorer la lecture de mots inconnus ou d’un lexique technique (Perea et Wang, 2017). Blythe et al. (2012) soulignent que lorsque l’on présente des mots nouveaux à des enfants chinois dans un texte espacé (espaces blancs entre chaque mot), ils arrivent beaucoup mieux à les identifier quand ils les revoient ensuite dans un texte non-espacé, en comparaison des enfants à qui on avait présenté les mots nouveaux dans un texte au format habituel non-espacé. Les résultats de l’étude de Blythe et al. (2012) nous forcent ainsi à nous interroger sur les bénéfices que pourrait apporter l’ajout d’une démarcation entre les mots pour la compréhension écrite du chinois chez les apprenants de niveau élémentaire.

 

3.2 Chez les apprenants de Chinois Langue Etrangère

Il n’y a pas à l’heure actuelle de réel consensus sur les bienfaits de l’ajout d’une délimitation entre les mots pendant la lecture chez les apprenants de chinois de niveau intermédiaire ou avancé (Chen, 2021). Cependant, l’ajout d’un espace blanc entre les mots facilite la lecture des apprenants de chinois de niveau élémentaire quelle que soit la langue écrite maternelle des apprenants. C’est à dire que l’effet est le même sur des apprenants de chinois japonais dont la langue maternelle ne fait pas apparaître d’espace entre les mots et les apprenants de chinois américains dont la langue maternelle fait apparaître des espaces (Bai et al., ,2008 ; Shen et al., 2012). En outre, l’altération de couleurs facilite la lecture du chinois chez les apprenants et cela tout en conservant le format habituel non-espacé d’un texte chinois. (Zhou et al., 2020)

 

Dans tous les cas, lorsque l’on compare la vitesse de lecture des apprenants de chinois dans un texte segmenté [aux mots] avec celle dans un texte segmenté [aux caractères], on s’aperçoit que la vitesse de lecture est beaucoup plus lente dans le deuxième cas, et cela aussi bien sur les apprenants de niveau avancé, qu’intermédiaire ou élémentaire (Shen et al., 2012).

 

L’ajout d’espaces blancs ou de couleurs pour délimiter les mots dans les textes à destination des apprenants débutants pourrait leur être bénéfique en termes d’apprentissage de mots nouveaux, leur permettre de lire plus vite et de lever l’ambiguïté du message écrit. La première étape essentielle pour comprendre est de repérer où sont les mots. Ainsi, une approche basée sur un format écrit dans lequel les mots seraient espacés pourrait être utilisée par les enseignants en même temps que les approches basées sur la maîtrise des connaissances syntaxiques, sémantiques et contextuelles (Chen et al., 2021)

 

4. Etude du ressenti et des compétences de segmentation des apprenants de niveau élémentaire

 

4.1 Questions de recherche

Les études en psycholinguistique et en linguistique informatique ayant démontré que la segmentation des mots en chinois était un processus complexe aussi bien pour les lecteurs chinois natifs que pour les ordinateurs, nous avons voulu connaître le point de vue des apprenants débutants de chinois sur la question. Quelles sont, selon leur perception, leurs difficultés en compréhension de l’écrit ? Ces derniers considèrent-ils la non-visualisation des mots dans la phrase chinoise comme une difficulté en compréhension de l’écrit ? Comment ces apprenants procèdent-ils au découpage des mots dans la phrase chinoise ? Emploient-ils les mêmes stratégies que les lecteurs chinois natifs ? Leur façon de segmenter les phrases en mots pourrait-elle influencer leur capacité de compréhension ? 

 

4.2 Les participants

Une enquête a été menée en mai 2024 auprès de 55 étudiants de chinois scolarisés en première année de licence de Langues Etrangères Appliquées (LEA). Les étudiants interrogés étaient tous francophones et avaient tous pour langue maternelle une langue écrite faisant apparaître un espace blanc entre les mots. Parmi les 55 étudiants ayant participé à cette étude, 50 étaient des grands débutants au mois de septembre 2023 et avaient donc suivi 192h de cours de langue chinoise sur 26 semaines (environ 7h par semaine) au moment de l’étude.  Les 5 participants restants avaient déjà étudié le chinois au lycée ou en option à l’université. L’ensemble des participants possédaient un niveau de chinois élémentaire (niveau A1-vers A2 du CECRL) au moment de l’enquête.  Il s’agit ici d’un échantillon tiré d’une enquête plus large et qui a été réalisée sur 169 apprenants de chinois en collège, lycée et université.

 

4.3 Déroulé de l'enquête

L’enquête s’est déroulée en classe, sous la surveillance d’un enseignant, dans le silence et sans aucun document autorisé. L'enquête a duré 45 minutes en moyenne. 

 

L’enquête était divisée en quatre étapes distinctes. Chaque étape ayant été relevée par l’enseignant au fur et à mesure. 

 

Dans une première étape, les apprenants ont réalisé une activité de compréhension de l’écrit (CE) à partir de documents authentiques (extraits de conversation de messagerie instantanée, extraits d’un article de journal, extraits d’une histoire pour enfants). Lors de cette première étape les apprenants ont dû traduire ou résumer en français le contenu des documents écrits. 

 

Dans une deuxième étape, les participants ont répondu à deux questions ouvertes sur les difficultés qu’ils avaient pu rencontrer lors de l’activité de CE et ce sur quoi ils s’étaient appuyés pour comprendre les documents écrits. 

 

Dans une troisième étape, les étudiants ont répondu à deux questions à choix multiples, une sur leurs difficultés en CE et une sur leurs stratégies. 

 

Dans une dernière étape, les apprenants ont réalisé un exercice de segmentation : la consigne était de découper des phrases en mots à l’aide de barres obliques puis d’indiquer le nombre de mots pour chacune des phrases.

 

4.4 Choix des phrases à segmenter de l’étape 4 de l’enquête

Nous avons choisi de donner aux participants un total de huit phrases à segmenter. Parmi ces huit phrases, quatre étaient extraites des documents de CE de l’étape 1 et six étaient extraites d’articles de journaux en ligne. La longueur des phrases variait de 6 à 21 caractères et de 4 à 14 mots. Pour l’ensemble des phrases le nombre de caractères inconnus s’échelonnait de 0 à 5 et le nombre de mots inconnus de 0 à 3. Nous avons choisi ces phrases pour les raisons suivantes : les participants connaissaient la très grande majorité des caractères et des mots ; les phrases sélectionnées comportaient des mots inconnus construits à partir de caractères déjà connus tels que fāngmiàn (方面) « aspect » et shūfă (书法)  « calligraphie » ; des noms de lieux tels que Shēnzhèn (深圳) la ville de Shenzhen et Tiān'ānmén guǎngchǎng (天安门广场) la place Tian’anmen ; un même mot xuéxí  (学习 )   « étudier » placé différemment dans deux des phrases ; des prépositions, conjonctions, particules et suffixes pouvant servir de point d’appui pour la segmentation (tels que zài (在), (比), (和), de (得), de (的), men (们)) ; enchaînements de caractères pouvant induire des erreurs de découpage.

 

5. Analyse synthétique des résultats d’un échantillon de l’enquête

 

5.1 Les apprenants débutants considèrent les caractères plutôt que les mots

Les apprenants de niveau élémentaire interrogés considèrent les caractères plutôt que les mots, ce qui, pour commencer, diffère de ce qui a été constaté chez les Chinois natifs dans les recherches citées plus haut. Si nous regardons les données collectées dans notre enquête, nous observons que les 55 participants interrogés ont plus souvent utilisé le terme « caractère » que le terme « mot ». Tout d’abord, dans les réponses données par les participants aux deux questions ouvertes de l’étape 2 (questions sur leurs difficultés en CE et les stratégies qu’ils utilisent), nous dénombrons 136 occurrences du terme « caractère », 36 occurrences du terme « mot », 10 occurrences du terme “vocabulaire » et 2 occurrences du terme « idéogramme ». 

 

D'autre part, à la question à choix multiples de l’étape 3 « Quelles sont les difficultés que vous rencontrez quand vous devez comprendre des phrases ou des textes en chinois ? », les apprenants ont placé la réponse « les caractères inconnus » en première position des difficultés rencontrées. Ils devaient choisir jusqu’à cinq réponses en les classant par ordre d’importance en les numérotant de 1 à 5. Nous pouvons voir dans le tableau 1 que 33 participants sur 55 ont positionné la réponse « les caractères inconnus », en choix n°1 et qu'au total 53 participants (96,4%) ont choisi cette réponse comme une des cinq difficultés rencontrées. 41 participants (74.5%) ont choisi la réponse « mots inconnus » mais seulement 7 l’ont placée en premier choix des difficultés rencontrées. 

 

Bai et al. (2008) ont démontré que l'ajout d’un espace blanc entre les caractères avait un impact négatif chez le lecteur en termes de vitesse et de compréhension. Ainsi, Il est fort probable que le fait que les apprenants débutants considèrent davantage les caractères que les mots puisse avoir une incidence sur leur rapidité de lecture et leurs capacités de compréhension.

 

Choisi en n°1

Choisi en n°2

Choisi en n°3

Choisi  en n°4

Choisi en n°5

non
 classé

Nombre total d'occurrences

total 
en %

Caractères inconnus

33

6

7

2

0

5

53

96.4%

Mots inconnus

7

23

6

0

2

3

41

74.5%

Différentes significations d'un mot

3

4

12

6

4

3

32

58.2%

Syntaxe/grammaire

2

11

9

5

2

1

30

54.5%

Regrouper les caractères en mots

0

5

4

6

3

1

19

34.5%

Abréviations

0

0

3

7

4

2

16

29.1%

Caractères qui se ressemblent

1

0

1

8

5

1

16

29.1%

Chengyu

3

1

2

3

2

2

13

23.6%

Noms propres

0

0

4

3

3

1

11

20%

Autre

1

0

0

0

1

0

2

3.6%

Tableau 1 : Les difficultés du point de vue des apprenants débutants

 

5.2 Les stratégies de segmentation des apprenants débutants

 A l’étape 4 de l’enquête, les étudiants se sont livrés à un exercice de segmentation de phrases en mots. Après analyse des découpages proposés par les apprenants, nous remarquons tout d’abord qu'ils n’ont pas eu de difficultés à identifier les mots auxquels ils avaient été confrontés dès le début de leur apprentissage du chinois tel que le mot Făguó (法国) « France » qui a été correctement segmenté par 51 des participants (92,7 %) dans la phrase : « Le combien rentres-tu en France ? » (你几号回法国呀?).

 

De plus, ils ont été majoritairement capables de s’appuyer sur les mots fonctionnels pour découper correctement des chaînes de caractères comportant des mots ou caractères inconnus. C’est le cas notamment du repérage correct de la conjonction de coordination (和) « et » qui a été identifiée par 45 participants (81,8 %) dans la chaîne de caractères [努力和认真] « travailler dur et être consciencieux » alors même qu’ils ne connaissaient ni les deux mots nǔlì (努力) « travailler dur » et rènzhēn (认真) « consciencieux », ni les caractères (努) et rèn (认). La majorité des participants (46 participants soit 83,6%) ont su également s’appuyer sur la préposition zài (在) dans la chaîne de caractères [在学习方面] « dans le domaine des études » pour délimiter correctement le mot xuéxí (学习) « étudier » alors que le mot fāngmiàn (方面) « aspect » leur est inconnu (même s'ils ont appris les deux caractères  fāng (方) et miàn (面) dans d’autres mots). En contrepartie, ils n’ont majoritairement pas été capables de reconnaître le mot xuéxí (学习) « étudier » dans une autre des phrases proposées.  

 

Dans le domaine du traitement automatique du langage humain, la distinction entre les unités syntaxiques et sémantiques est une étape essentielle au bon traitement des différentes unités linguistiques (Magistry, 2013). Ainsi, les apprenants semblent avoir ici procédé de la même façon en s’appuyant sur les mots fonctionnels.

 

5.3 Les erreurs de segmentation des apprenants débutants

 

Phrase 1 她说她那天晚饭吃得太多。 

« Elle a dit qu’elle avait trop mangé l’autre soir au dîner. »

Segmentation proposée

Nombre d’occurrences

晚饭 diner (segmentation correcte)

34

饭吃 (segmentation incorrecte)

11

晚饭吃 (segmentation incorrecte)

7

Phrase 2 大学生活是非常自由的, [...]

« La vie à l’université, c’est la liberté, [...] »

Segmentation proposée

Nombre d’occurrences

大学生 étudiant (segmentation incorrecte)

48

大学 / 生活 la vie à l’université (segmentation correcte)

4

大学  /  生 /  活 (segmentation incorrecte)

3

 Phrase 3 在学习方面,北京大学得学生们非常努力和认真。

« Dans le domaine des études, les étudiants de l’université de Pékin sont très consciencieux et ils travaillent dur. »

Segmentation proposée

Nombre d’occurrences

学习 (segmentation correcte)

46

Phrase 4 现在很多中国孩子从小学习书法。

« De nos jours, beaucoup d’enfants chinois étudient la calligraphie depuis petits. »

Segmentation proposée

Nombre d’occurrences

学习 (segmentation correcte)

24

小学 (segmentation incorrecte)

18

从小学 (segmentation incorrecte)

10

Tableau 2 : Exemples de segmentations proposées par les apprenants débutants

 

Il semblerait que les apprenants débutants aient tendance à découper la phrase au premier mot complet qu’ils aperçoivent lorsqu’ils sont confrontés à des mots inconnus sans forcément se préoccuper de la logique syntaxique ou sémantique de la phrase. En observant le tableau 2, nous nous rendons compte que moins de la moitié des participants (24 participants soit 43,6%) ont su repérer le mot xuéxí (学习) « étudier » dans la chaine de caractères [从小学习书法] « étudier la calligraphie depuis petit » alors qu’ils l’avaient bien repéré dans la chaine de caractères [在学习方面] « dans le domaine des études ». En effet, 18 participants ont associé les caractères  xiăo (小) et xué (学) pour former le mot  xiăoxué (小学) « école primaire » au lieu d’associer xué (学) à (习) pour faire le mot xuéxí (学习)  « étudier ». Nous pensons donc qu’ils ne sont pas allés plus loin dans la phrase et ont découpé dès qu’ils ont vu ce mot. Ils ont commis le même type d’erreur avec la chaine de caractères [大学生活] « la vie à l’université » puisque 48 participants (87,3%) ont proposé ici le mot dàxuéshēng 大学生 « étudiant(e) » au lieu de proposer la segmentation [大学 + 生活]. Il faut néanmoins noter, dans ce cas, que les apprenants ne connaissaient pas le mot  shēnghuó (生活) « vie ». Pour autant, les participants auraient pu proposer un découpage avec le mot dàxué (大学) « université » car ils connaissent ce mot et que le caractère huó (活) était suivi du verbe être shì (是) (cf. la phrase 3 dans le tableau 2). Cela rejoint les propos de Blythe et al. (2012) qui expliquent que la segmentation en mots est beaucoup plus difficile quand le lecteur est confronté à des mots nouveaux et qu’il ne sait pas comment regrouper les caractères. Au vu de ces résultats, il semblerait que l’absence de visualisation des mots ait été un frein à leur compréhension du message. En effet, même avec une recherche dans le dictionnaire ils n’auraient même pas pu retrouver les mots car ils n’ont pas regroupé les caractères correctement.

 

En outre, les apprenants débutants ont eu du mal à repérer le nom propre Tiān'ānmén guǎngchǎng (天安门广场) la place Tian’anmen. Seulement 23 participants (41,2%) ont su l’identifier et 17 participants (30,9%) ont regroupé tiān (天) avec ān (安) ce qui ne veut rien dire. 

 

 

Quelques pistes en guise de conclusion

La langue écrite chinoise ne fait apparaitre aucune démarcation entre les mots ce qui ne cesse d’interroger les chercheurs en psycholinguistique sur le processus de lecture des lecteurs chinois natifs et qui oblige les chercheurs en traitement automatique des langues à faire appel à des algorithmes de plus en plus complexes. L’ajout d’une délimitation entre les mots (espace blanc ou altération de couleurs) facilite la lecture de mots nouveaux chez les natifs et améliore la vitesse de lecture et les capacités de compréhension chez les apprenants de Chinois Langue Etrangère, notamment de niveau élémentaire. Nous avons donc interrogé des apprenants de chinois débutants pour connaitre leur point de vue sur l’absence de visualisation des mots, leur perception de leurs difficultés en compréhension de l’écrit et leur capacité à segmenter correctement les phrases chinoises en mots.

 

Quand nous comparons les données déclaratives des participants sur leur perception de leurs difficultés rencontrées en compréhension de l’écrit à leurs propositions de découpage lors de l’exercice de segmentation, il semblerait qu’une grande partie des apprenants débutants interrogés ne soit pas réellement consciente de la non-visualisation des mots ou du moins des difficultés de compréhension qu’elles génèrent. En effet, nous avons vu que les apprenants débutants considéraient davantage les caractères que les mots. De plus, nous pouvons voir dans le tableau 1 que 19 participants (34.54%) ont sélectionné la réponse « regrouper les caractères en mots » parmi la liste des difficultés proposées dans la question à choix multiple de l’étape 3 mais qu’aucun des apprenants ne l’a positionnée en premier choix.  Pour autant nous avons vu, à travers les exemples donnés dans le tableau 2, que les apprenants n’avaient majoritairement pas segmenté correctement certaines phrases et que donc ils ne pourraient pas comprendre le message écrit.

 

Les résultats de cette étude nous amènent à réfléchir à des pistes pour l’enseignement-apprentissage du Chinois Langue Etrangère. Tout d’abord, la proposition faite par Shen et al. (2012) et Chen et al. (2021) de mettre des démarcations entre les mots dans les textes donnés aux apprenants de chinois parait tout à fait intéressante. Ce pourquoi, pour aller plus loin dans nos recherches, nous allons établir des tests de compréhension écrite et de lecture à haute voix de textes segmentés (faisant apparaître des espaces entre les mots) et de textes non segmentés à destination d’apprenants débutants de chinois en France. D’autre part, puisque les apprenants débutants ayant participé à l’enquête se sont appuyés sur les mots fonctionnels pour découper les phrases (comme le font les lecteurs chinois natifs et les algorithmes en traitement automatique du langage humain), il apparait assez évident qu’il ne faudrait pas trop négliger, en classe de chinois, l’enseignement-apprentissage de la grammaire. Enfin, « la maîtrise d’un nombre limité de caractères peut permettre la connaissance d’un nombre beaucoup plus grand de mots, surtout quand ce sont des caractères très usuels » (Allanic, 2015, p.4). De ce fait, le plus important ce n’est pas la taille du lexique enseigné aux apprenants de Chinois Langue Etrangère mais sa pertinence pour aider au mieux ces derniers à accéder plus efficacement et plus rapidement à la compréhension des documents écrits.

 

Références bibliographiques

 

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22 mai 2025
Accélérer l’autonomisation dans la lecture de la langue chinoise : une approche didactique des manuels de Tao Xingzhi et de Li Leilei
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Salmon Alexandre (Université de Rennes, LIDILE)

 

Résumé : En raison de la grande longévité que connaissent les caractères chinois, les manuels d’apprentissage de ces derniers ont connu maintes évolutions. Au cours de l’histoire, différentes approches didactiques ont naturellement vu le jour et chacune d’elles a œuvré à trouver la meilleure recette pour que leur apprentissage fût le plus efficace possible et pour que l’apprenant pût, en un temps limité, en maîtriser le nombre correspondant au seuil de lecture en autonomie.

En proposant une analyse de deux manuels : le Pingmin qianzike (平民千字课) de Tao Xingzhi (publié en 1923 pendant le Mouvement d’éducation des masses - 平民教育运动 - et destiné aux Chinois illettrés) et la Méthode 90 Chinois de Li Leilei (datant de 2004 et destinée aux personnes dont le chinois n’est pas la langue maternelle), cet article nous permet de nous interroger sur les leçons que l’enseignement du Chinois Langue Étrangère peut tirer de l’enseignement du chinois comme langue première, en mettant en évidence les similitudes existant entre ces deux manuels que 81 années et 8 000 kilomètres séparent.

Nous y avons effectué une analyse comparative de quatre facteurs réputés déterminants dans la constitution d’un manuel d’apprentissage du chinois, à savoir le zizhong 字种 (le choix des caractères), le zixu 字序 (l’ordre d’apparition des caractères), le ziliang (le nombre de caractères enseignés) et le ziyong 字用 (la réutilisation des caractères dans la formation de mots), et y avons fait ressortir l’importance du zipin 字频 (la fréquence de répétition des caractères). 

Mots-clés : Caractères chinois, manuel, méthodes d’apprentissage, Tao Xingzhi, Li Leilei

 

學而時習之不亦說乎 « Étudier pour pratiquer ce qu’on apprend au bon moment, n’est-ce point tout de même une satisfaction ? » (Lévy, 1994, p.31). Cette traduction de la célèbre première phrase des Entretiens de Confucius, proposée par André Lévy, peut être mise en parallèle avec l’histoire de l’enseignement des caractères de la langue chinoise. Au fil des siècles, en Chine et ailleurs, de nombreuses méthodes ont été créées et utilisées, chacune promettant à l’élève de lui apprendre à lire, à écrire voire à parler le chinois. D’aucunes visaient un apprentissage intensif des caractères, relativement éloigné des nécessités quotidiennes ; d’autres en proposaient un enseignement plus raisonné et davantage orienté sur les besoins immédiats des apprenants. En cela, ces méthodes œuvrant à rendre les élèves autonomes et immédiatement capables semblent se rapprocher de la vision de l’éducation prônée par Confucius au début des Entretiens.

 

En Chine, l’enseignement du chinois comme langue première a très longtemps été proposé au travers de l’étude d’un unique ouvrage considéré comme le plus ancien manuel de caractères, le Jijiupian  急就篇 (Manuel de la prompte instruction). Vers le VIe siècle, il a été supplanté par le Qianziwen 千字文 (Classique des mille caractères), auquel vinrent s’ajouter le Sanzijing 三字經 (Classique des trois caractères) et le Baijiaxing 百家姓 (Noms des cent familles). Ces trois ouvrages, surnommés San Bai Qian, formaient un corpus largement utilisé en Chine ancienne (Allanic, 2017, p.29). Ils étaient basés sur le principe de « l’enseignement concentré des caractères », le jizhong shizi 集中識字, et permettaient aux enfants d’en apprendre un grand nombre, plus précisément 1476 (ibid., p. 40). Cette connaissance leur permettait d’atteindre rapidement (en un an environ) un seuil : celui de l’accès à la lecture. En complément des San Bai Qian, les zazi 杂字, des ouvrages courts, thématiques et proposant d’enseigner des caractères courants, étaient couramment utilisés, notamment dans les campagnes où ils l’étaient pendant la période hivernale par les enfants des paysans (Allanic, 2017, p. 42). 

 

Au début du XXsiècle, l’entraînement concentré des caractères fut remplacé par « l’enseignement dispersé des caractères au fil des textes » (随課文分散識字). Cette nouvelle méthode était directement inspirée de l’Occident, dont l’influence en Chine était grandissante à cette période, principalement en raison de la diffusion de la pensée du philosophe et pédagogue américain John Dewey. Les nouveaux manuels de caractères créés durant cette période différaient des ouvrages traditionnels en ce qu’ils utilisaient dorénavant le style vernaculaire baihua 白話et non plus la langue classique.

 

Le nombre de caractères enseignés était moindre, moins de 1100 en deux ans contre plus de 1500 auparavant (Allanic, 2017, p. 57), et la progression plus lente. À cet égard, Bernard Allanic indique que :

 

Cette baisse du nombre de caractères était volontaire : elle était le corollaire obligé de nouvelles méthodes, dont les objectifs étaient que les écoliers comprennent l’intégralité des textes, et parviennent à la maîtrise totale des caractères, c’est-à-dire qu’ils sachent les reconnaître mais aussi les utiliser et donc les écrire. C’est donc pour favoriser la connaissance active des caractères que les méthodes rompent avec la concision des textes traditionnels : désormais les caractères sont vus et revus très souvent en situation, ce qui permet de mieux mémoriser à la fois leur forme graphique, leur prononciation, mais aussi, le cas échéant, leurs différentes significations (ibid.).

 

Puis, dans les années 1920 et 1930, lors du Mouvement d’éducation des masses (平民教育運動), la méthode de l’enseignement dispersé des caractères au fil des textes et celle de l’enseignement concentré se sont retrouvées toutes deux réunies de façon hybride dans des manuels publiés à destination de millions d’adultes chinois illettrés. À la différence des manuels conçus pour les enfants, ceux-ci proposaient davantage de caractères par leçon et parvenaient à un total de 10 et 15 caractères contre 4 à 5, dans le but d’en enseigner un nombre nécessaire et suffisant pour pouvoir commencer à lire en autonomie. Un manuel significatif de cette période, paru en 1923, est le Pingmin qian zi ke 平民千字課 (Tao, Zhu, 1923) (Cours d’enseignement des mille caractères), rédigé par Tao Xingzhi 陶行知 et Zhu Jingnong 朱經農 et édité par l’Association chinoise pour l’éducation du peuple (中華平民教育促進會). Ce manuel, différant des ouvrages traditionnels tant dans sa forme que dans son contenu, fera l’objet d’une analyse détaillée dans le présent article. 

 

Postérieurement, le XXe siècle a vu progresser l’enseignement du chinois langue seconde en Occident.

 

Une première approche didactique a eu recours à la méthode de l’enseignement dispersé au fil des textes. À première vue, c’est dans ce courant que se situe la Méthode 90 Chinois (Li, 2024) de Li Leilei, que nous avons retenue pour notre étude. Tout comme les manuels relevant de l’approche dispersée, le sien met en effet l’accent sur l’acquisition du vocabulaire, sans apparente prise en compte de la plus ou moins grande complexité graphique des caractères. 

 

Un second courant didactique a prôné, quant à lui, une programmation raisonnée des caractères, allant des caractères à structure simple vers les caractères composés, de façon à respecter leur logique structurelle (Allanic, 2017, p. 129). Nous pouvons notamment citer la Méthode d’initiation à la langue et à l’écriture chinoises de Joel Bellassen (1989), C’est du chinois de Monique Hoa (1999) ou encore Le chinois ... comme en Chine de Bernard Allanic (2009).

 

La Méthode 90 Chinois de Li Leilei jouit d’une grande longévité en France, cela nous a amené à nous questionner sur les avantages qu’elle pouvait avoir face à la programmation raisonnée des caractères. C’est ainsi que nous lui avons découvert un premier point commun de taille avec le Pingmin qian zi ke de Tao Xingzhi : les deux méthodes ont l’ objectif de conduire en très peu de temps les apprenants vers la lecture en autonomie. Elles enseignent toutes deux un nombre important de caractères – 1234 pour le manuel de Tao Xingzhi et 1118 pour celui de Li Leilei –, dépassant ainsi le « niveau-seuil » de la compréhension écrite en chinois défini par Wang Hong en 2017 dans sa thèse (Wang, 2017, p. 282).

 

Nous avons donc décidé de comparer la Méthode 90 Chinois de Li Leilei avec le Pingmin qian zi ke. Dans un premier temps, nous présenterons les similarités et les différences existantes entre ces deux manuels que 81 années séparent. Nous chercherons à savoir comment la méthode de Li Leilei transpose à l’enseignement du chinois langue étrangère certains des principes didactiques présents dans le manuel de Tao Xingzhi. Dans un second temps, nous nous attarderons sur le choix des caractères enseignés dans les deux manuels (zizhong 字种), leur nombre (ziliang 字量), leur ordre d’apparition (zixu 字序), leur fréquence de réapparition ainsi que leur réutilisation pour la formation d’autres mots (ziyong 字用). 

 

1. Transposition à l’apprentissage du chinois langue seconde de principes didactiques propres à l’apprentissage du chinois langue première

 

A. Le Pingmin qian zi ke (平民千字課) de Tao Xingzhi (陶行知)

 

1. Présentation du manuel

Le Pingmin qian zi ke est un manuel d’enseignement des caractères chinois paru en 1923. Il a été écrit par Tao Xingzhi en collaboration avec Zhu Jingnong, illustré par Zhang Chenbo 张辰伯, imprimé par The Commercial Press (商務印書館) et édité par l’Association chinoise pour l’éducation du peuple (中華平民教育促進會). Si son titre semble rendre hommage au traditionnel Qianziwen, sa forme est néanmoins différente. En effet, quand le Qianziwen compte exactement un millier de caractères ne se répétant aucune fois, est écrit en vers de 4 caractères et tient sur quelques pages, il en va autrement pour le Pingmin qian zi ke qui, comptant 4 livrets de respectivement 42, 42, 47 et 50 pages, est écrit en prose et affiche un total de 23474 caractères.

 

Le manuel a été conçu pour être utilisé une à deux heures par jour pendant 96 jours, soit 4 mois. Il est à destination des personnes chinoises illettrées de plus de 12 ans et n’est ainsi pas pensé pour les enfants. Il a été imaginé pour être employé avec des projecteurs de diapositives ou des grandes affiches pour des classes de cinquante élèves ou plus. Lorsque l’effectif était moindre, il pouvait être utilisé sans l’aide d’autres outils pédagogiques. Tao Xingzhi souhaitait que l’enseignement de la lecture connût une diffusion aussi large que possible. Le manuel a été pensé de telle sorte qu’une fois la leçon apprise en classe, il fallait que l’élève pût à son tour la transmettre à son entourage, lui permettant d’apprendre à lire. L’élève devenait alors enseignant lui-même et participait à la démocratisation de l’accès à la lecture (Tao, Zhu, 1923, vol. 1, p. 1). 

 

Le manuel aborde des thèmes divers, tels que la vie quotidienne, le travail, le fonctionnement des institutions de la République de Chine, etc. ou bien des personnalités chinoises (Sun Yat-Sen, Chang Kaï-Chek...) et étrangères (Jésus, James Watt...). Les influences occidentales y sont évidentes, des leçons comme celles présentant le Junzi guo君子国, ce pays imaginaire où règnent bonté et respect, ne sont pas sans rappeler l’Eldorado de Candide ou l’Optimisme de Voltaire. Cette diversité des thèmes laisse transparaître un fort patriotisme. En effet, en plus de savoir lire et écrire, les apprenants devaient acquérir des connaissances de base sur la société dans laquelle ils évoluaient, devenir de bons citoyens chinois et participer à la construction d’un pays puissant. Pour ce faire, un grand nombre de valeurs y étaient véhiculées : l’importance du travail, la condamnation du vol, la piété filiale, la ponctualité, la politesse ou encore le respect

 

Lorsqu’elle est présente, la morale est transmise par différents biais, notamment celui de l’humour (lorsque des personnages se retrouvent dans des situations cocasses ou bien commettent des actions irréfléchies et en subissent les conséquences). Dans une certaine mesure, ce manuel enseigne la conduite à tenir dans différentes situations d’interaction sociale.

 

Le Pingmin qian zi ke a trois buts, énoncés clairement dans la préface du manuel (Tao, Zhu, 1923, vol.1, p.1.) :

 

  • Cultiver l’attitude et l’esprit républicains ;

  • Rendre capable de gérer les tâches administratives du quotidien (courriers, comptes, etc.) ;

  • Pouvoir lire (livres, journaux...) tout en recevant une éducation civique basique.

 

Tao Xingzhi considérait l’éducation de la population comme indispensable à la renaissance de la Chine (Tao, 1918, vol. 9, chap. 5). Afin qu’il ait une diffusion aussi large que possible, il était donc indispensable que le manuel fût proposé à un prix raisonnable.

 

2. Une leçon type

Le manuel de Tao Xingzhi comporte 96 leçons, toutes construites de la même façon.

 

Leçon 2.png
Leçon 2

 

Par exemple, la deuxième leçon du premier fascicule présente aux élèves la méthode de travail qu’ils appliqueront lors de leur apprentissage de la lecture (Tao, Zhu, 1923, 1923, vol.1, p.2). À l’instar de cette leçon, les 95 autres leçons sont composées de la façon suivante :

  • Numéro et titre de la leçon.

  • Illustration : avant ou après le texte.

  • Texte : généralement en prose et occasionnellement en vers, la longueur s’accroît au fur et à mesure des leçons (36 caractères pour la première leçon contre 128 pour la dernière).

  • Liste de caractères à apprendre : leur nombre reste similaire quelle que soit la leçon étudiée (entre 10 et 13). Il s’agit uniquement de caractères isolés. Les mots constitués de plusieurs caractères sont absents des listes de fin de leçon.

 

Les illustrations réalisées par Zhang Chenbo, si présentes, sont toujours en lien avec le thème de la leçon. Tao Xingzhi voulait que son manuel fût attrayant et que les élèves, après avoir parcouru la première leçon, aient immédiatement envie de découvrir la seconde, et ainsi de suite. En créant une succession de repères graphiques, le rôle de l’image dans cet apprentissage, bien que restant à définir précisément, semble ici fondamental. 

 

Certaines leçons présentent des suppléments, tels que :

image.png
Extraits des leçons 3 (à gauche) et 23 (à droite)

 

  • Leçon 3 : Une grille d’écriture 5 (Tao, Zhu, 1923, vol.1, p.4)

  • Leçon 10 : Un dialogue permettant à l’élève d’apprendre les politesses d’usage

  • Leçon 12 : Une carte de la Chine avec le nom des différentes régions (ibid. p. 20)

  • Leçon 22 : Un exemple de facturation pour les commerçants (ibid., p. 38)

  • Leçon 23 : Un exemple de tenue de compte employant des caractères utilisés à cet effet (ibid., p. 40)

  • Leçon 34 : Une chanson rythmée (Tao, Zhu, 1923, vol. 2, p. 16-17)

  • Leçon 87 : Un exemple de document utilisable pour créer ou rompre un contrat (Tao, Zhu, vol. 4, p. 30)

 

B. La Méthode 90 Chinois de Li Leilei

 

1. Présentation du manuel

La Méthode 90 Chinois est un manuel d’enseignement de la langue chinoise à destination des apprenants débutants non chinois. Li Leilei l’a conçu après seize années d’enseignement du chinois en France. Cette méthode cumule l’enseignement des caractères à celui de la grammaire et de la prononciation chinoises. Elle a été publiée par la Librairie Générale Française en 2004, soit 81 ans après l’ouvrage de Tao Xingzhi. La Méthode 90 Chinois est constituée d’un unique ouvrage de 506 pages et est rythmée par 90 leçons comportant au total 15488 caractères

 

Le manuel a été conçu pour être utilisé à raison d’une à plusieurs heures par jour pendant 90 jours, soit trois mois. Cette durée n’est présente qu’à titre indicatif. En effet, Li Leilei nous a indiqué qu’il s’agissait d’un souhait de l’éditeur qui, pour sa collection Le Livre de Poche, désirait qu’il existât pour toutes les langues une méthode permettant de les apprendre en trois mois. Il existe ainsi une Méthode 90 pour l’allemand (Alphonse, 1991), une autre pour l’italien (Fiocca, 2002), etc.

 

S’agissant de la Méthode 90 Chinois, Li Leilei nous a précisé qu’il était illusoire, voire impossible, d’envisager de l’achever en seulement trois mois. Étant maîtresse de conférences à l’université de Nantes, Li Leilei a pu utiliser sa méthode pour enseigner le chinois aux étudiants de licence en Langues Étrangères Appliquées (LEA). Elle nous a expliqué qu’elle l’employait à raison de 4 heures par semaine pendant 24 semaines lors de la première année de licence, et de manière similaire lors de la deuxième année. Après deux années universitaires d’apprentissage, soit 48 semaines ou encore 192 heures de cours de chinois, les étudiants ne dépassaient jamais la leçon 45. Pour éviter la lassitude des étudiants face à l’apprentissage monotone qu’induirait l’utilisation d’une seule et même méthode pendant trois ans, Li Leilei nous a confié qu’au terme des deux premières années de LEA, elle changeait alors de méthode pour les étudiants de troisième année de licence (Li, Feng, 2010). Contrairement au Pingmin qian zi ke, la Méthode 90 Chinois peut être utilisée en totale autonomie. Toutefois, comme le conseille Li Leilei, l’employer comme support d’apprentissage collectif sous la direction d’un enseignant donne de meilleurs résultats. 

 

Les thèmes présentés dans le manuel sont divers et variés. À l’instar du Pingmin qian zi ke, il s’agit de scènes de la vie tant quotidienne qu’en communauté. La majorité des situations auxquelles l’apprenant peut être confronté sont représentées au travers des 90 leçons. Li Leilei considère que le but de cette pédagogie, qu’elle décrit comme « fonctionnelle », est que l’élève se constitue rapidement une base solide et atteigne une certaine autonomie dans la vie quotidienne concernant le logement, la nourriture, les transports ou encore lorsqu’il s’agit d’acheter des provisions.

 

Le manuel a différents buts, tous explicités dans la préface du manuel (Li, 2024, p. 7-9), à savoir : 

 

  • Apprendre le chinois vivant d’aujourd’hui ;

  • Communiquer librement ;

  • Conversation quotidienne ;

  • Décrire la société actuelle ;

  • Sélectionner les mots et expressions les plus couramment utilisés ;

  • Mettre en évidence la construction des caractères, des mots et des expressions ;

  • Expliquer la grammaire et différences entre le français et le chinois ;

  • Proposer des leçons identiques ;

  • Traduire les textes et corriger les exercices ;

  • Penser à la prononciation des mots.

 

Selon Li Leilei, outre sa construction claire qui sera détaillée ci-après, le succès de la Méthode 90 Chinois auprès des apprenants durant au moins deux décennies peut reposer sur son format facilement maniable (Le Livre De Poche) et son prix de vente peu élevé.

 

2. Leçon type

Les 90 leçons du manuel de Li Leilei sont toutes strictement identiques. Sur l’exemple ci-dessous, nous découvrons la première leçon de la Méthode 90 Chinois (Li, op. cit., p. 32-35). Elle présente les bases de la communication en langue chinoise et se compose ainsi : 

 

image.png
Leçon 1

 

  • Titre : Selon la volonté de Li Leilei, il comporte systématiquement un des éléments de grammaire principaux de la leçon

  • Texte : Dialogues dont la longueur évolue au fur et à mesure des leçons (38 caractères dans la 1ère leçon contre 245 dans la 90e)

  • Liste de mots de vocabulaire à apprendre : Établie à partir de mots constitués d’un ou de plusieurs caractères

  • Traduction en français

  • Transcription phonétique en pinyin

  • Détail du tracé de tous les nouveaux caractères : dans les 20 premières leçons

 

Dans la partie « ordre des traits », si le détail du tracé est présent, celui des parties composant tel ou tel caractère ne l’est pas. Nous constatons qu’à l’instar du Pingmin qian zi ke, ce manuel, bien qu’accordant une place importante aux sinogrammes, œuvre à ce que l’élève sache écrire et lire un caractère plutôt que de comprendre la composition graphique précise.

 

image.png
Suite de la leçon 1

 

Les pages 3 et 4 de chaque leçon (ci-dessus celles de la première leçon) sont toujours consacrées à la grammaire et aux exercices. Li Leilei nous a indiqué que si elle était amenée à écrire un nouveau manuel avec moins de contraintes concernant la mise en page (requises par l’éditeur), elle proposerait davantage d’exercices et ne se limiterait pas à une seule page. Elle estime également que lors de la conception et de la rédaction de la Méthode 90 Chinois, elle a été soumise à plus de contraintes que Tao Xingzhi. 

 

Les illustrations, très présentes dans l’ouvrage de Tao Xingzhi mais absentes de la Méthode 90 Chinois, peuvent, comme nous l’a indiqué Li Leilei lors de notre échange, aider l’élève à se repérer dans le manuel et lui permettre de se souvenir dans quel contexte il a appris tel ou tel mot. L’absence d’images dans la Méthode 90 Chinois relève d’un souhait de l’éditeur et non de Li Leilei, qui ne voit que des avantages mnémotechniques à l’ajout d’images et d’illustrations à un manuel. En conséquence, son manuel demeure, selon elle, perfectible. 

 

C. Les principes didactiques du Pingmin qian zi ke présents dans la Méthode 90 Chinois

 

1. Des similarités adaptées à un public non sinophone

Nous constatons que les deux manuels, bien que présentant des différences liées notamment au public auquel ils sont destinés, sont malgré tout similaires à de nombreux égards :

 

  • Le nombre de leçons : 90 ou 96.

  • La façon de l’utiliser : seul ou bien avec un enseignant.

  • Le caractère fonctionnel : dans les deux ouvrages, il faut que l’apprentissage soit motivant et puisse immédiatement être mis en pratique. 

  • Les objectifs : le plus important est l’atteinte de l’autonomie en lecture et en écriture. L’acquisition de l’oral, importante dans le manuel de Li Leilei, est considérée comme un prérequis dans celui de Tao Xingzhi.

  • L’enseignement des caractères se fait au fil des textes.

  • Le nombre de caractères par leçon est généralement compris entre 10 et 20.

  • Praticité d’utilisation : La construction du manuel et des leçons est claire, identique et régulière. Ceci peut aider l’apprenant à se repérer dans le manuel et, par la même occasion, dans son apprentissage.

  • Enseigner en premier l’essentiel pour devenir rapidement autonome. Tao Xingzhi considère cela comme indispensable à un bon enseignement de la lecture et de l’écriture (cf. infra). Li Leilei considère quant à elle qu’il ne faut pas nécessairement enseigner rapidement, mais confronter l’élève directement aux situations les plus couramment rencontrées (selon la pédagogie fonctionnelle).

  • La répétition et la réutilisation des caractères dans d’autres mots (ziyong 字用) : cette méthode permettant d’optimiser l’apprentissage d’un caractère en le contextualisant de différentes manières est très présente dans les deux manuels (cf. infra pour analyse).

  • L’ordre d’apparition caractères (zixu 字序) : cette mise en place d’une programmation permettant d’enseigner un caractère au bon moment a été un fil conducteur lors de la création des deux manuels (cf. infra pour analyse).

     

2. Les premiers caractères enseignés

Ces similarités nous ont amené à nous pencher sur les premiers caractères enseignés dans les deux manuels. En effet, dans l’un comme dans l’autre, il ne s’agit pas forcément de composants autonomes, ni de pictogrammes. Autrement dit, ce ne sont pas des caractères considérés comme faisant partie des plus simples à apprendre en termes de graphie. Ils semblent plutôt choisis de façon subjective en fonction de l’importance qui leur est accordée par les auteurs des manuels, indifféremment du nombre de traits les composant. 

 

Dans le Pingmin qian zi ke, les premiers caractères enseignés sont : 讀書先生寫字 et 

 

Certains de ces caractères sont loin d’être simples à écrire, notamment les deux premiers du et shu . Dans les deux premières leçons, d’où sont issus ces caractères, le texte et l’image mettent en scène une salle de classe. En demandant aux élèves (qui sont, rappelons-le, des adultes souhaitant apprendre à lire) d’apprendre les caractères liés à l’enseignement dushu讀書 (lire), jiao (enseigner), xue  (apprendre), xiezi寫字 (écrire) et xiansheng先生(ici, professeur), Tao Xingzhi instaure un climat propice à l’apprentissage. 

 

Dans la Méthode 90 Chinois, les premiers caractères ou mots enseignés sont : 你好,老王,马,吗,我,很,小,他,呢,她,也,和,问,我们,不,饿,你们,累,小姐,忙,他们,都,先生,太太,他们

 

Ces caractères ne sont pas non plus les plus aisés à écrire (notamment ni  ou wo , tous deux composés de 7 traits). Toutefois, Li Leilei considère qu’enseigner ces caractères en premier lieu permet aux élèves de pouvoir faire face à la situation à laquelle ils seront le plus fréquemment confrontés, à savoir : se présenter et échanger des questions banales. Notons que, dès les premières leçons et à l’instar de Tao Xingzhi, Li Leilei veille à ce que les caractères vus dans la première leçon soient réutilisés dans la suivante (cf. infra).

 

La question du choix des caractères est fondamentale et est l’une des clefs pour un enseignement efficace de la lecture. Bien choisir les caractères à enseigner en premier est essentiel. Cependant, choisir ceux qui composeront la suite du manuel l’est tout autant. Nous allons maintenant procéder à l’analyse des caractères composant le Pingmin qian zi ke et la Méthode 90 Chinois. En effet, si la façon de les enseigner est similaire dans les deux méthodes, leur nombre, leur fréquence de réapparition et leur potentiel quant à la création d’autres mots sont différents. 

 

2. Données chiffrées concernant les caractères

 

A. Le choix des caractères (zizhong 字种) et leur nombre (ziliang 字量)

 

1. Dans le Pingmin qian zi ke 

Les caractères présents dans le Pingmin qian zi ke n’ont pas été choisis au hasard. Tao Xingzhi s’est en effet largement inspiré d’une liste établie par Chen Heqin

 

Publiée en 1928 dans son ouvrage Vocabulaire de style vernaculaire (语体文应用字汇), cette liste est le premier outil de recensement des caractères chinois triés par fréquence d’usage (Chen, 1928). Elle comporte 4261 caractères différents : les moins courants y figurent en premier et les plus usités apparaissent en fin de liste. Elle a été établie à partir d’un corpus comprenant des livres pour enfants, de journaux, de magazines, de romans classiques comme Le rêve dans le pavillon rouge (紅樓夢) et d’autres ouvrages comme la Bible (ibid. p. 7-10). Les 554478 caractères constituant tous ces documents ont été extraits par Chen Heqin, puis regroupés par fréquence, avec l’aide de nombreuses personnes, afin de créer cette liste de 4261 caractères. Le caractère , le plus fréquent dans la langue chinoise, représentait par exemple 29592 des 554478 caractères du corpus analysé. 

 

Une seconde liste, complétant la première précitée, comporte quant à elle 4719 caractères, soit 458 de plus. Cette dernière est présentée dans l’ouvrage de Chen Heqin. Ce dernier nous apprend toutefois que les documents utilisés pour compléter la première liste (348180 caractères supplémentaires, pour un total de 902658) ont été perdus dans un incendie survenu à l’université Dongnan en 1923 (ibid. p. 6). Seule la liste de caractères, sauvée la veille de l’incendie par son assistant Chen Shaotao, a été conservée (ibid. p. 1). L’ouvrage de Chen Heqin nous fournit donc le détail des matériaux de la première étude comme illustration pour la seconde, dont seule la liste a survécu. Le Vocabulaire de style vernaculaire a été préfacé par Tao Xingzhi en 1925. Il y indique notamment « qu’avant sa parution [en 1928], les résultats de cette étude avaient d’ores et déjà servi de base au Pingmin qian zi ke » et que « cette liste était une grande contribution pour l’éducation populaire et celle des adultes » (ibid., préface de 1925).

 

Après avoir étudié la liste de 4719 caractères de Chen Heqin, nous constatons qu’à partir de ceux dont la fréquence est supérieure à 300 occurrences (sur les plus de 900000 caractères du corpus étudié), sauf exception, tous sont présents dans le manuel de Tao Xingzhi. Concernant les caractères dont la fréquence se situe entre 1 et 50 occurrences, sauf exception, tous sont absents du Pingmin qian zi ke

 

Concrètement, si nous prenons quelques points de comparaison entre la liste et le manuel : 

 

  • Sur les 603 caractères n’apparaissant qu’une seule fois dans le corpus de base, seuls 8 sont présents dans le manuel 

  • Sur les 28 caractères revenant 27 fois : 21 sont présents dans le manuel

  • Sur les 7 caractères revenant 122 fois : 4 sont présents dans le manuel

  • Sur les 6 caractères revenant 204 fois : 4 sont présents dans le manuel

  • Sur les 3 caractères revenant 564 fois : les 3 sont présents dans le manuel

     

Nous constatons que Tao Xingzhi s’est efforcé de choisir les caractères les plus fréquents qu’il considère comme les plus utiles, et qu’il n’a pas choisi ceux qu’il juge inutiles en début d’apprentissage.

 

Le Pingmin qian zi ke comporte au total 1236 caractères différents, presque tous issus de la liste susmentionnée. Tao Xingzhi semble estimer ce nombre suffisant pour permettre aux utilisateurs de son manuel d’atteindre le seuil d’accès à la lecture dont nous avons déjà fait mention dans le présent article. Tao Xingzhi, dans la préface précitée, annonce qu’il convient « d’enseigner aux élèves les choses les plus utiles », dont « ils auront usage » (Chen, op.cit. préface), et que ce qui « a l’utilité la plus importante, la plus générale, la plus urgente doit occuper la place prioritaire dans l’organisation des cours » (ibid., préface de 1925). En choisissant les caractères les plus utiles à ses yeux, Tao Xingzhi souhaite éviter que les élèves « étudient ce qu’ils n’utilisent pas » et qu’ils « aient à utiliser ce qu’ils n’ont pas étudié ».

 

2. Dans la Méthode 90 Chinois

Afin de sélectionner les caractères de son manuel, Li Leilei s’est appuyée sur une liste éditée en 1992 par le Comité national des tests de compétence en chinois (国家汉语水平考试委员 (Comité national des tests de compétence en chinois), intitulée Hanyu shuiping cihui yu hanzi dengji dagang汉语水平词汇与汉字等级大纲 (Programme des mots et caractères des quatre niveaux de la langue chinoise). Cette liste comporte en tout 16584 caractères (mais uniquement 2866 différents) et a connu plusieurs modifications depuis sa parution, elle est désormais utilisée comme base pour les six niveaux du Hanyu Shuiping Kaoshi (HSK).

 

Li Leilei nous a indiqué avoir utilisé en priorité les caractères présents dans les deux premiers niveaux de la liste pour réaliser son ouvrage sans se contraindre à en faire un usage exclusif. Outre cette liste, Li Leilei s’est fondée sur son expérience d’enseignante afin de choisir et de déterminer les caractères et les mots qu’elle souhaitait ajouter à sa méthode.

 

Lors de la conception de chaque leçon, la rédaction du texte a été la tâche la plus chronophage, notamment en termes de réflexion. Le nombre de mots nouveaux se devait d’être constant et la grammaire d’être équilibrée. Li Leilei nous a également indiqué avoir essayé de regrouper les caractères similaires et de réutiliser les mots appris dans les leçons précédentes (cfinfra).

 

La Méthode 90 Chinois comporte au total 1118 caractères différents. Ce nombre est très proche de celui obtenu après notre inventaire des caractères présents dans le Pingmin qian zi ke.

 

Sur les 1118, on en compte 1108 figurant dans la liste complète de 2 866 caractères. Notons toutefois que Li Leilei a déclaré s’être servie uniquement des caractères présents dans les deux premiers niveaux de la liste, ce qui la réduit ainsi à 1 606 caractères. Il apparaît ainsi que 1024 des 1118 caractères de la Méthode 90 Chinois sont présents dans la liste. Nous en concluons qu’à l’image de Tao Xingzhi, Li Leilei a sélectionné les caractères et les mots qu’elle jugeait les plus utiles pour les apprenants, et qu’elle a délaissé ceux qu’elle ne considérait pas comme moins indispensables (notamment les autres niveaux de la liste).

 

B. L’ordre d’apparition (zixu 字序), la réutilisation pour la formation de mots (ziyong 字用) et la fréquence de réapparition des caractères

 

1. Dans le Pingmin qian zi ke

Nous avons sélectionné aléatoirement 60 caractères de la liste de Chen Heqin présents dans le manuel de Tao Xingzhi. 

 

Les 30 premiers caractères ont été choisis parmi les caractères courants (situés entre la 300e et la 400eplace en partant de la fin de la liste) :

 

接友晚雖美義期張收表通買部足馬思苦決樂產運文送類職音海朋目盡

 

Les 30 autres ont été choisis parmi les caractères moins courants (situés entre la 700e et la 800e place en partant de la fin de la liste) :

 

街煙況亮越吹危列統存洗番陽具羊乃院游組勸習響耳微停春藏血雲夏

 

En évaluant la fréquence de réapparition de ces caractères et leur réutilisation dans la formation de mots, nous obtenons une moyenne assez représentative pour l’ensemble du manuel. Nous avons décidé de ne pas inclure les caractères les plus courants comme de , yi, ge  ou encore shi . Ces derniers étant parmi les caractères les plus usités dans la langue chinoise (notamment en première position), nous les avons exclus, estimant qu’ils risquaient de fausser les statistiques. 

 

Figure ci-dessous un extrait du tableau que nous avons établi pour estimer la fréquence de réapparition des caractères :

 

Caractère

Occurrences

Utilisation dans la formation de ci

9

2

5

2

21

3

13

2

6

6

11

6

3

1

1

0

6

2

8

1

1

1

29

2

 

Nous avons calculé la moyenne de fréquence de réapparition des caractères à 10,766

Concernant le ziyong au sein du Pingmin qian zi ke, nous avons estimé que chaque caractère était réutilisé pour former en moyenne 2,82 autres ci, noms propres ou bien, plus rarement, chengyu 成语

 

Par exemple : jie 接 intervient dans la composition de jieshou 接受et de jiezhe 接着 ; tong , quant à lui, permet de former kaitong 開通, tongguo 通過, tongxin 通信, putong 普通, liutong 流通 et tongtian 通天.

 

2. Dans la Méthode 90 Chinois

Nous avons sélectionné 60 caractères parmi ceux du « Programme des mots et caractères des quatre niveaux de la langue chinoise ». Ces caractères, tous présents dans l’ouvrage de Li Leilei, ont été choisis aléatoirement dans les deux premières parties de la liste :

 

白茶等放工汉课毛女钱办报作信通太然实平把才成传反发加海观解紧

爱尺代选祝减组尊内期包背除当对福艺古盒活任被超游总试景慢算团

 

Bien que fréquents, nous avons encore une fois veillé à ne pas choisir les caractères les plus utilisés, afin de ne pas fausser les estimations. 

 

Figure ci-dessous un extrait du tableau que nous avons établi pour estimer la fréquence de réapparition des caractères :

 

 

Caractère

Occurrences

Utilisation dans la formation de ci

17

4

10

2

8

2

14

3

24

6

10

3

3

2

4

1

2

0

3

2

7

1

14

3

 

Nous avons calculé la moyenne de fréquence de réapparition des caractères à 10,75

 

Concernant le ziyong au sein de la Méthode 90 Chinois, nous avons estimé que chaque caractère était réutilisé pour former en moyenne 2,983 autres ci, noms propres ou bien, plus rarement, chengyu.

 

Par exemple : cheng intervient dans la composition de chengji 成绩, zaocheng造成 et de chenggong成功 ; huo , quant à lui, permet de former shenghuo生活, huodong 活动 et ganhuo 干活.

 

3. Interprétation des résultats

Nous constatons une grande similarité, sinon une égalité, entre les résultats obtenus à la suite de l’analyse des manuels de Tao Xingzhi et de Li Leilei. Ces données, bien qu’obtenues à partir de seulement 120 caractères, nous amènent à penser que Tao Xingzhi a accordé une importance toute particulière à la répétition des caractères et à leur réemploi fréquent, considérant ceci comme un moyen efficace d’optimiser la mémorisation et l’apprentissage. Nous constatons que Li Leilei a également accordé une grande importance à ces aspects, corroborant ainsi ce qu’elle nous avait annoncé lors de notre échange. 

 

Concernant le ziyong, les sinogrammes choisis sont dotés d’une forte capacité combinatoire. Nous rencontrons souvent un caractère A seul (ex : zao ) qui sera ensuite couplé avec un autre, B (ex : zaocheng 造成). Le caractère B, ici cheng  sera quant à lui relié plus tard à un caractère C (ex : chenggong 成功), et ainsi de suite. Correctement mises en œuvre, ces répétitions permettent une meilleure mémorisation. Cette dernière dépend également d’autres facteurs tels que le contexte de l’apprentissage, qui peut grandement influencer la mémorisation. Qui ne se souvient pas d’un moment précis au cours duquel il a appris un mot particulier et s’en souvient encore aujourd’hui ! À cette fin, Tao Xingzhi comme Li Leilei ont imaginé différentes mises en scène dans chacune de leurs leçons, permettant un ancrage plus fort dans la réalité et, de ce fait, un apprentissage plus solide. 

 

Nous remarquons d’autre part qu’au fil des leçons, Tao Xingzhi fait montre d’une certaine volonté d’enseigner simultanément des caractères partageant des similarités graphiques. Nous retrouvons par exemple : 

 

  • Leçon 24 : ma  et qi  partagent l’élément graphique ma.

  • Leçon 40 : cao et cao ont la même prononciation.

  • Leçon 44 : kang et zao  partagent le radical .

  • Leçon 55 : sha , ji 疾 et nüe  partagent le radical .

  • Leçon 66 : ju具 et shen partagent l’élément graphique ju.

  • Leçon 80 : li 鸝 et lu  partagent l’élément graphique lu.

  • Leçons 89 et 90 : D’abord qi  puis ji , ils partagent l’élément graphique qi 

 

Selon ses dires, Li Leilei, dans son manuel, a procédé de la même façon, en faisant non seulement attention aux graphies des caractères, mais également à leur prononciation. Nous retrouvons par exemple : 

 

  • Leçon 16 : ganjing干净et anjing安静, en plus d’avoir une prononciation identique, et  comportent tous deux l’élément graphique.

  • Même leçon : fangbian 方便 et fangjian 房间, fang 方 est enseigné avant fang dont il est un des composants.

  • Leçon 33 : qiguai 奇怪 et yizi 椅子, qi 奇 entre dans la composition de yi .

  • Même leçon : cao et zaogao 糟糕, cao 曹 entre dans la composition de zao .

  • Leçon 34 : guangchang 广场, guangbo 广播 et guanggao广告utilisent le caractère guang 广.

  • Leçon 39 : jiejue 解决 et jueding决定utilisent le caractère jue .

  • Leçon 59 : guanli 管理 et daoli 道理 utilisent le caractère li .

  • Même leçon : biye 毕业, yingye 营业, shiye 失业 et zhiye 职业utilisent le caractère ye .

 

Selon Li Leilei, permettre que les caractères enseignés partagent des caractéristiques communes est un atout pour un bon apprentissage. Elle considère également que procéder à des mises en relations de graphèmes et de phonèmes ou bien de plusieurs caractères ou mots devient naturellement plus aisé au cours de l’apprentissage. 

 

Nous constatons que le zixu, cette notion de l’ordre dans lequel il convient d’enseigner les caractères et de ceux devant être enseignés parallèlement, semble davantage mise en avant dans la Méthode 90 Chinois

 

Ainsi, de la même façon que le Pingmin qianzike de Tao Xingzhi a pu être à son époque un manuel hybride mêlant le principe de l’enseignement concentré des caractères – apprendre en peu de temps le nombre correspondant au seuil de lecture en autonomie – à celui de leur enseignement dispersé au fil des textes – pour entretenir la motivation des apprenants –, notre analyse du manuel de Li Leilei a montré que lui aussi est une forme associant les deux principaux courants de l’enseignement du chinois langue étrangère, à savoir l’enseignement dispersé au fil des textes et l’enseignement programmé des caractères. 

 

Même si, du fait de la priorité donnée à l’emploi du caractère plutôt qu’à l’analyse de sa graphie, et pour le manuel français de l’absence de dissociation oral/écrit, il a été difficile, voire impossible pour les concepteurs de ces deux manuels de respecter pleinement la logique graphique des caractères en construisant une programmation allant du simple au complexe, nous avons vu que leur méthode respectait toutefois l’économie générale et les particularités de l’écriture chinoise. 

 

L’objectif commun des manuels de Tao Xingzhi et Li Leilei est l’enseignement en un temps limité du nombre de caractères correspondant au seuil de lecture en autonomie. Nous avons constaté que cela était rendu possible par une réflexion très poussée sur les quatre paramètres que sont le ziliang (nombre des caractères à enseigner), le zizhong (leur sélection dans les listes de fréquence), le zixu (leur ordre d’apparition) et le ziyong (les mots qu’ils permettent d’écrire).  Notre analyse a également montré qu’il existe un cinquième paramètre tout aussi important : le zipin 字频 (le nombre de fois où chaque caractère est répété, seul ou en composition dans des mots plurisyllabiques). Les ouvrages de Tao Xingzhi et de Li Leilei ont en effet été élaborés de sorte que les caractères soient répétés suffisamment de fois pour être mémorisés, faisant ainsi de la répétition une des caractéristiques fondamentales de leurs manuels.

 

Dans sa célèbre fable Pao Ding jie niu 庖丁解牛 mettant en scène le boucher Ding dépeçant un bœuf, le philosophe Zhuang Zi nous montrait l’importance de la répétition dans une situation d’apprentissage et il nous apparaît tout à fait remarquable que malgré la durée d’enseignement relativement limitée – respectivement 96 et 90 leçons – pour arriver au terme de leurs manuels, ni Tao Xingzhi ni Li Leilei n’aient négligé ce paramètre si important. Selon nous, c’est bien la place allouée au zipin dans la conception de ces méthodes d’enseignement du chinois qui en fait la singularité. 

 

Bibliographie

ALLANIC Bernard, 2017, La Voie des signes : l’apprentissage de la lecture en Chine, Presses universitaires de Rennes, Rennes.

ALPHONSE Jenny, 1991, Méthode 90 Allemand, Librairie Générale Française.

BELLASSEN Joël, 1989, Méthode d’initiation à la langue et à l’écriture chinoises, La Compagnie, Paris.

CHEN Heqin 陳鶴琴, 1928, 语体文应用字汇 [Le vocabulaire de style vernaculaire]商务印书馆,上海.

FIOCCA Vittorio, 2002, Méthode 90 Italien, Librairie Générale Française.

HOA Monique, 1999, C’est du chinois, tome I, You-Feng, Paris. 

LÉVY André (trad.), 1994, Confucius, Entretiens avec ses disciples, Flammarion, Paris.

LI Leilei, 2004, Méthode 90 Chinois, Librairie Générale Française, Paris.

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TAO Xingzhi 陶行知, 1919, « 教育潮 [Vague d’éducation] » in新教育 [Nouvelle éducation], vol.1, chap.4.

TAO Xingzhi 陶行知, ZHU Jingnong 朱经农, 1923, Pingmin qian zi ke 平民千字课 [Cours des mille caractères], 商务印书馆中華平民教育促進會上海.

TAO Xingzhi, 1918, 教育研究法 [Méthode de recherche en pédagogie] in 金陵光 (journal de l’université de Nankin), vol. 9, chap.5.

TAO Xingzhi, 1924, 平民教育 [L’éducation du peuple] in中華教育界 [Le monde de l’éducation chinoise], vol.14 chap.4.

22 mai 2025
对汉语二外词汇教学法的思考 ——探究社会文化知识在词汇习得中的影响
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郑恩昊 (Laboratoire de NeuroPsychoLinguistique (EA4156), Université de Toulouse II Jean-Jaurès, 5, allée Antonio Machado) 

 

简介:汉语二外学习者可以利用猜词策略,在阅读过程中习得文中的生词。通过阅读学习生词的过程和结果受多方因素影响,例如学习者对汉语圈社会文化知识的了解程度等。在面向法语母语者的实际教学中,我们也发现,蕴含一定文化背景知识的中文词对于法国学生来说通常难以理解并记忆,且这类词往往没有相对应的法语词。为了探究这一因素在汉语二外词汇学习中的具体影响,我们进行了一项针对法语母语者的实验。实验结果表明,蕴含文化背景知识的中文词在词义猜测成功率和后续词义保留这两方面的总体表现不如其它类目标。但值得注意的是,如果某个汉语词语义透明度高,且学习者掌握了这个词中构成字的含义,无论这个词在学习者的母语中是否存在,构成字都可以在词义理解和记忆方面起到积极作用。由此,我们建议对外汉语教师在教授蕴含文化背景的生词时应该借助更多元化的教材和方法进行直接、明晰的信息输入。此外,字本位理念应该在汉语词汇教学中被着重强调。在具体操作上,汉语教师应该帮助学生通过已掌握的字作为节点,建立并整合心理词汇网,以便学生更高效迅速地丰富他们的汉语词汇。

关键词:非成词化二语词汇;附带习得;猜词策略;字本位;心理词典

 

1. 阅读猜词,一种词汇习得的重要策略

词汇学习是一个复杂且长期的过程。一个词的知识包括外形、词义和使用三大部分,掌握各部分知识所需的认知投入不尽相同,因此,学习并掌握一个词不是一蹴而就的由01,而是一个不断累积叠加的过程(NATION, 2014)研究母语(L1)词汇教学的学者很早就发现,传统课堂教学并非词汇学习的唯一途径:研究表明,918岁的英语母语者的词汇增长量约为3000/年,而其中仅有200300个词是通过传统课堂习得的(JENKINS, DIXON, 1983)Gray & Holmes (1938)曾指出,根据经验,在没有或极少外界帮助的情况下,学生几乎都可以在阅读的过程中,通过上下文语境习得阅读材料中的生词。Jenkins & Dixon (1983) 强调,通过这种方式学习生词的前提条件是学生能够通过文章语境正确猜测词义。具体来说,就是为了更好地理解文章,在遇到生词的时候,学生通过自己掌握的各方面知识,在上下文中找出和生词相关的线索,分析并推测出最符合语境的词义。就此,Nagy和他的同事们(1985, 1987)进行了一系列针对英语母语学习者的实验,实验结果表明,学习者有能力在阅读过程中正确猜测出文中生词的意思并习得这些词,且泛读是儿童和青少年习得词汇最主要的途径。

在二外(L2)领域,猜词是学习者在阅读文章遇到生词时使用最频繁的策略(QIAN, 2004),也是公认的学习词汇的有效方法。无论目标语言是拼读语言,如英语(ex. SHAO, LI, 2019)和法语(ex. HULSTIJN, HOLLANDER, GREIDANUS, 1996),还是非拼读语言,如汉语(侯晓明, 2018),学习者都可以不同程度地习得被猜测词的知识。例如,在钱旭菁(2003)针对L1日语L2汉语学习者的研究中,28名大学生在完成阅读理解任务后被要求立即进行词汇测试。测试涉及20个被测试者不认识的目标词,其中10个在阅读文章中出现过(A组词),而另外10个没有出现过(B组词)。测试时,针对每个目标词,被测试者要判断是否曾经见过并给出词义。四周后,被试者进行了第二次词汇测试。结果显示,无论即时后测还是延时后测,A组词的得分都显著高于B组词。

学习者之所以可以通过阅读猜词习得新词,是因为在猜词过程中,他们对新词外形额外的关注可以在心理词典中为新词建立一个空词目(lemma),而学习者处理各类线索时,空词目会被逐渐填入这些与新词相关的各方面信息(DE BOT, PARIBAKHT, WESCHE, 1997)。通过阅读猜词习得新词让学习者在传统课堂之外继续学习词汇成为可能。尤其对汉语这种因需要花大量时间记忆汉字而导致词汇学习过程更漫长的语言,汉语教师和学习者都应该重视并积极利用这条词汇学习的辅道

2. 社会文化知识在通过阅读习得L2词汇中的影响

虽然L2学习者可以在阅读的过程中学到新词,但是阅读本身的目的是为了理解文章的意思,并非学习并记忆文中的生词。学习者猜测文中生词的词义也是为了能更好地理解全文。也就是说,习得被猜测词是阅读理解的副产品”(GASS, 1999),通过阅读学习词汇是一种附带习得(Incidental Acquisition, HULSTIJN, 2013)。这种方式的副产品特性意味着其过程和结果会受诸多因素影响,例如学习者对目标语言使用群体的文化是否了解,对目标词所处语境的社会背景是否熟悉等等。

Kuo & Lai (2006)认为文化是一个多维度概念,是一个群体在某个特定时段内的生活方式和习俗,可以体现在工具、技艺等具体事物上,也可以包括抽象的信仰、审美和价值观等,它影响着群体内每个人的认知和情感行为。对目标语言使用群体的社会文化了解不足可能让我们无法全面、有效地解读文字传递的信息。在通过阅读学习L2词汇的过程中,如果学习者缺乏对L2社会文化背景知识的了解,可能导致他们片面地、错误地、甚至无法理解某个词的意思,掌握这个词也就无从谈起。

Pulido (2003)针对L1英语L2西班牙语学习者的研究中,被测试的美国大学生需要阅读主题相同但社会背景相异的文章,比如主题是办理大学入学注册手续,一篇文章的背景是在美国伊利诺斯大学,而另一篇是在南美洲的巴拉圭大学。文中嵌入了测试假词(pseudo word)。在阅读理解任务后的即时后测中,被试者认出了更多在以美国大学为背景的文章中出现过的目标词。在Pulido (2007)另一项针对同样语言背景的学习者的研究中,测试文章涉及不同的话题场景,有些是被试者比较熟悉的,比如和医生预约看病,而有些是很少有机会接触的,比如在专业期刊发表文章。两周后的延时后测结果显示,被试者认出的在自己熟悉话题的文章里出现过的词要显著多于不熟悉话题文章中的目标词。Pulido (2003, 2007)由此得出结论,学习者对文章涉及的社会文化背景的了解有助于他们理解文章,对他们习得文中生词起到了积极作用。

不同于Pulido的实验,Wesche & Paribakht (2009)的研究实验比较了两组不同母语的英语学习者,一组是在伊朗学习的波斯母语者(波斯组),另一组是在加拿大英法双语区学习的法语母语者(法语组)。所有被试者都需要完成阅读理解任务,并用有声思考方法(Think-aloud, 被试者在解决某个问题时同步口述自己思考的过程,ERICSSON, 2006)猜测文中嵌入的目标词。猜词部分结束后,研究者对被试者进行了一次即时词汇测试。结果表明,在阅读过程中遇到英语生词时,与波斯组相比,法语组学习者更倾向于使用自己的母语知识和社会文化知识去猜测生词的意思;就猜测成功率和即时习得率而言,法语组的表现都好于波斯语组。研究者们分析指出,这一结果与两种母语和二外英语的语言距离(Linguistic Distance, KODA, 2007)有关。相较于波斯语,法语和英语在语言类别及社群文化背景层面更相似。此外,法语组的被试者生活在英法双语环境中,更容易在日常生活中得到与目标L2相关的社会文化类信息输入。因此,相较于在伊朗学习的波斯母语者,在加拿大双语区的法语母语者更容易通过此类线索猜测英语生词的意思,并掌握与其相关的语言知识。换而言之,后者更容易通过阅读的方式学习英语词汇。

上述研究都得出了相似的结论,社会文化知识在L2词汇附带习得中的作用是不可忽视的。在Wesche & Paribakht (2009)这项针对L2英语的实验中,法语组学习者利用了自己母语和英语在语言及文化层面的相似性,取得了比波斯语组学习者更好的习得结果。那么,如果L1法语学习者学习的是汉语,结果会有什么不同?法语是拼读语言,而汉语是非拼读语言,两者在语言和文化层面的差异都非常大。在这种情况下,学习者对汉语圈社会文化知识的掌握程度对汉语词汇学习又会有怎样的影响呢?

3. 社会文化知识在L2汉语词汇学习中的影响

前文中提到,词语知识包括三大部分,其中词形知识的掌握所需认知投入通常比词义和用法少,是新词习得的第一步(NATION, 2014)。汉语是非拼读语言,最小书写单位是字,形、音、义三者的结合体。对于法语母语者来说,他们无法利用自己熟悉的对应的方法去学习汉字,尤其是初学者需要花费大量时间来记忆汉字。

两种语言在语言学结构方面的不同常常意味着它们在社群文化层面存在差异。汉语和法语除了在文字书写上相异,在社会文化习俗上也有诸多不同。在实际教学中,我们常常发现,一些蕴含汉语圈文化知识的词汇,如抓周彩礼乘凉盒饭等,对于L1法语学生来说是更难理解和掌握的。值得注意的是,这类词往往在法语中没有对应的词或短语,因而词义解释常需要借助几个词甚至几个短句。比如,抓周这个词在《当代中文》(法语版第三册, 2010)里的解释是“Ramassage au premier anniversaire”,而同一课中“晚会”的解释只需要一个法语词,“soirée”。这种在学习者的母语中找不到相对应的词或短语的L2词被Paribakht (2005)称为非成词化词(Non-lexicalised Word)

Paribakht是研究二语成词化在词汇习得中影响的先驱。在她看来,一个L2词在学习者母语中找不到对应词意味着这个L2词代表的概念在学习者的大脑中是缺失的(PARIBAKHT, 2005)De Bot, Paribakht & Wesche (1997)认为猜词的过程可以被视作学习者通过线索分析,在大脑中识别出一个对应词目并激活与之系联的概念的过程,即建立一条(被猜测词)词形概念链接的过程。基于此理论,Paribakht (2005) 提出假设,因为非成词化L2词无法激活一个学习者大脑中的现存概念,所以这类词比成词化词(Lexicalised Word)更难通过语境理解。她针对L1波斯语L2英语学习者的实验结果证实了这一假设。后来的其它针对L2英语的相关研究也得到了相似的结果(CHEN, TRUSCOTT, 2010; HEIDARI-SHAHREZA, TAVAKOLI, 2012),而且,这些研究还发现非成词化L2词在后续保留方面的表现也差于成词化L2词。不过,Paribakht (2005)也注意到,实验中非成词化英语目标的词义猜测得分并非为零,也就是说L1波斯语学习者还是理解了一些非成词化英语词的意思。她解释为,虽然没有现存的概念可以激活,但是学习者可以通过各类线索激活和目标相关的构成概念(Constituent Concept),尝试间接理解目标。所以,L2学习者理解一个在自己母语中不存在的词并非完全不可能。但是,Paribakht强调,因为对非成词化L2词的理解需要通过构成概念,所以结果可能是部分理解而非完全理解:她的实验结果显示,成词化英语目标词的完全正确率为17 %,几乎是非成词化目标词的3倍 (6 %)。所以,已知概念为学习者理解某个成词化L2词带来的优势仍是显而易见的。

那么,当法语母语者试图通过上下文理解一个非成词化汉语词,尤其当非成词化汉语词需要学习者了解一定的汉语圈文化知识才能理解的情况下,他们能否找到相应构成概念来帮助他们理解词义?法语社会文化和汉语社会文化的差异巨大,以抓周为例,即使学习者看到了这个词的法语解释"Ramassage au premier anniversaire",对抓周要表达的生日仪式的流程和内容,以及仪式代表的意义,他们很可能还是不明白。如果学习者只能从阅读文章里找线索去猜测诸如抓周这类文化词的意思,他们能否找到足够的信息来激活所需构成概念来帮助他们理解词义,并且记住这个非成词化词?

对于L1法语学习者来说,与学习西班牙语或意大利语相比,学习汉语更容易碰到在法语里非成词化的词汇。而且,很多非成词化的汉语词需要学习者了解汉语圈文化知识才能理解。这是法语和汉语之间在语言结构和社会文化层面的差异造成的。因此,了解非成词化在法语母语语者学习汉语词汇中的影响非常值得被关注。然而,着重于L2非成词化的研究至今甚少。就我们所知,在L2汉语词汇习得中,这个研究领域尚未被涉足。

4. 实验设计和流程

 为了探究L1法语学习者通过阅读学习在法语中非成词化汉语词,尤其是蕴含社会文化知识背景的汉语词的可能性,我们采取了实验的方式。具体研究问题如下:

学习者能否通过阅读习得在法语中非成词化的汉语词?如果可以,习者能否通过阅读习得蕴含汉语圈社会文化知识的非成词化汉语词?

我们对第一个问题提出的假设为法语学习者可以通过阅读习得在法语中非成词化的汉语词。至于第二个问题,由于没有相关研究资料可作参考,所以我们无法提出假设。

我们招募了33名在法国大学学习汉语的法语母语者,他们在实验当时是大学三年级学生,平均年龄约22岁。他们都经历过两年以上的汉语学习,掌握汉语词汇量在600~1200之间,汉语水平为中等。

我们首先从《汉法词典(2001)《义务教育常用词表(草案)》(2019)筛选了一些低频汉语词。咨询了几位L1法语的汉语教师的意见后,我们最终确定了20个目标词,其中10个为法语中成词化的汉语词(L组),其余 10个为非成词化的汉语词(NL见图表1)NL组目标词中的窗花腊月送灶踏青汤圆被认定为学习者需要掌握一定汉文化知识才能理解的词语(NL文化组)。

 

 

NL组目标

法语词义

NL

文化组

1

窗花

papier découpé pour la décoration d’une fenêtre

2

腊月

le douzième mois du calendrier lunaire

3

送灶

saluer avec des offrandes le départ du Génie du foyer pour le Ciel, le 23 de la 12e lune

4

踏青

faire une excursion (se promener) à la campagne au printemps

5

汤圆

boulette de riz glutineux farcie de viande (fourrée à la confiture)

NL

非文化组

6

安适

tranquille et confortable

7

白茫茫

d’une blancheur éclatante (immaculée) ; une immensité argentée

8

还礼

faire un présent en retour, offrir un cadeau à son tour

9

明丽

clair et beau

10

飘零

tomber en voltigeant

 

 

 

图表1 — 在法语中非成词化的汉语目标词

 

我们随后撰写了两篇短文,一篇有关中国春节习俗,一篇描述乡村四季的变化。我们在每篇文章中嵌入了5L组词和5NL组词。为了确认测试文章的可读性,我们邀请了几个与被试者同水平的L1法语L2汉语学习者进行了前测,他们的反馈是可以理解文章的整体意思。我们也咨询了被试者所在大学的汉语教师的意见,他们的反馈是20个目标未在课本或课堂练习中出现过,且被试者可以大体理解文章意思。

实验当天,我们要求被试者阅读测试文章并回答阅读理解问题。这部分完成后,被试者被要求用有声思考方法猜测文中目标词的词义。所有被试者在猜词过程中的有声思考部分都被录音并随后转写,用以分析他们推测词义的过程。为了识别被试者使用的线索,我们使用了Paribakht (2005)实验中的线索分类(包括非语言线索、非L2语言线索和L2语言线索三大类),并根据汉语的特点,在L2语言线索类下增加了四小类线索,分别是构词方式、语素义、字形旁和字声旁。

猜词结束后,被试者被要求完成针对20个目标的词汇练习。在此过程中,被试者会知道所有目标词的词义。前文中提到过,猜词的结果受到诸多因素影响。词汇练习的目的在于确保被试者在离开前已经知道20个目标的正确意思。

为了了解被试者在实验前后对目标词词汇知识掌握的变化,我们对被试者进行了三次词汇测试,分别是实验前一周,实验后两周和实验后四周。我们使用的是改编的VKS测试(Vocabulary Knowledge Scale, PARIBAKHT, WESCHE, 1997),定义了六个词汇知识掌握层级,分别是从未见过这个词(1级),可能见过这个词(2)或肯定见过这个词但不知道词义(3),肯定见过这个词但是不确定其意思(4),肯定见过也知道词义(5),知道这个词的词义并会使用(6)。这六个层级从低到高分别对应的是学习者对某个词在词形、词义和使用方面的掌握程度。如果被试者认为对某个目标词的认识程度是4级或以上,他们需要写出这个词 的词义。如果被试者选择6级,除了给出词义外,他们还要用这个词造句。

对于三次VKS测试中被试者给出的目标词词义(即被试者对目标词的认识程度为4级及以上),我们采用了五级制打分标准进行评判:完全正确的答案得1分,部分正确的答案根据正确程度分别评为0.25分、0.5分或0.75分,完全错误的答案得分为0。如果被试者对目标词的认识程度为3级及以下(即被试者不知道目标词的词义),词义得分同样为0

5. 实验结果与分析

5.1     NL组目标猜测成功率

我们先来看实验当天,被试者在完成阅读任务后对文中目标词词义进行猜测的结果。对被试者给出的词义答案,我们同样采用了上文中提到的五级制标准进行打分:完全正确的答案得1分,部分正确的答案根据正确程度评分,而完全错误的答案或最终放弃的猜词结果不得分。

结果显示,L组和NL组的目标词都有被正确理解的案例,但L组词的完全正确率几乎是NL组目标词的4倍。这说明,无论是在法语中成词化的还是非成词化的汉语词,L1法语学习者都有可能通过语境理解其词义。但是由于非成词化汉语词的概念在法语学习者大脑中的缺失,通过语境完全理解这类汉语词的困难还是很大。这与L2英语相关研究的结论相同。

然而,出乎我们的意料,NL组词的猜词平均得分(包括完全正确和部分正确的答案)高出L组词平均得分36.8 %。这个结果和我们所知的L2英语相关研究结果相悖。为了弄清造成这种不同的原因,我们分析了被试者在猜词过程中使用的线索,并观察了线索使用和词义猜测得分的关系。和很多同类研究的结果相似,目标词所在句子的语境是被试者使用最频繁的线索。在我们的被试者猜测L组词和NL组词时,这类线索的使用权重都超过了36%,且两组之间相差不大。然而,在猜测NL组词时,语素义线索的使用率比猜测L组词时的使用率高出9个百分点。而且,统计分析结果显示,语素义的使用和猜词得分呈显著正相关(p=0.00):使用了语素义线索的猜词平均得分几乎是没有使用的平均分的5倍。换而言之,如果被试者知道某个目标词中组成汉字的意思,那么他们可能更容易理解这个目标词的词义。我们可以由此推断,NL组目标词包含了更多被试者认识的字,所以他们更倾向于使用这些构成字的意思去猜测NL组目标词的意思;同时,这些包含被试者所识字的目标词大多为语义透明度高的词,即语素义与词义高度相关,因此这类线索为被试者正确猜测NL组词词义提供了帮助,如下例所示:

例一(NL文化组的窗花):Je crois que c’est « hua », le deuxième caractère, avec la clé de l’« herbe ». Je crois que c’est une « fleur », « hua ». … La phrase, oui, c’est qu’ils utilisent beaucoup de … papiers rouges pour (en) faire plusieurs. Et après, il y a « piaoliang », donc c’est « joli », « jia li », c’est « (dans) la maison ». Donc je pense que c’est des décorations. Donc ça doit être du matériel … pour décorer et fait soi-même, j’imagine. (大致意思:我想第二个字,带“草”字头的,是“花”,法语是Fleur。……句子的意思是……他们用红色的纸做了很多(花)。后面有“漂亮”这个词,法语是Joli。“家里”就是(dans) la maison。所以我觉得是装饰品。所以应该是用来装饰的物件,而且是自己亲手做的。)

在上面的猜词案例中,被试者识别出了窗花中第二个字是"花,并知道这个字的意思。结合了自己做家里的而且是漂亮的等上下文线索,被试者推测窗花是用红纸做的、用来装饰家的手工品。我们从这个例子中可以清晰地看出语素义对被试者猜测词义的正面影响。

现在我们来看看被试者在猜测NL文化组和NL非文化组目标词中的表现。NL组目标词中,文化组目标的平均得分为0.2分(满分为1分),而非文化组的得分为0.29分,高出文化组平均分40 %。由此可见,对我们被试者来说,通过上下文理解蕴含汉语文化知识的非成词话词更困难。

从图示1中,我们可以看到,就平均得分而言,非文化组的NL词之间相差较小,而文化组NL词之间则差异较大。词义猜测得分最高的是腊月(文化组)和白茫茫(非文化组),而得分最低的是送灶(文化组)和踏青(文化组)。其中,腊月的得分不但明显高出其他4个文化组NL词,还是10NL词中最高的,而且也远远高于L0.19的平均分。汤圆的得分也相对不俗,与NL组平均分持平,高于L组平均分。窗花的猜测成功率虽然低于NL组平均值,但是与L组的平均分不相上下。与之相反,没有被试者猜出送灶的意思,而踏青的得分(0.09)也几乎可以被忽略。

 

图示1.png

我们在上文中提到过,实验中选用的NL目标包含了更多被试者认识的字,而这些字的意思在NL目标的词义猜测过程中起到了积极作用。在腊月中,是中心语,同样,白茫茫的意思和高度相关,猜词的时候,即使被试者不认识其他构成字,他们也可以通过这两个高频字的意思比较轻易地猜到这两个目标分别代表着某个月份和某种白色。加上上下语境的确认,所以这两个词的猜词成功率较高(见例二、例三)。

例二(NL文化组的腊月):Le premier caractère je sais pas, il fait penser à « jie », ou à « cuo », la deuxième partie, mais la première partie euh, la clé de la « lune ». C'est pas pareil, « yue », à côté. Ça me fait penser au « mois ». Il y a « cong » avant, « depuis le premier jour », « di yi tian … hai zi men cong di yi tian kai shi » Ça peut vouloir dire .. les enfants depuis euh le premier jour d'un mois avant le Nouvel an, quelque chose comme ça. Peut-être une « période », un « mois ». ». (大致意思:第一个字我不认识,(它)右边的部分让我联想到“借”或“错”,但左边是“月”字旁。但这和旁边那个“月”字不一样。(那个“月”字)应该是“月份,(一个)月”的意思,就是法语的mois。前面(句子里)有“从”,法语“从第一天开始”的意思,“第一天……孩子们从第一天开始”,应该是说……孩子们从新年前一个月的第一天开始。可能是“时期”,某个“月”(的意思)。)

例三(NL非文化组的白茫茫):Alors là je crois « bai », c'est « blanc ». Je crois que celui-là c'est, hm, « neige », donc la neige. Avant la neige, hm (« yue lai yue »)... est (donc) « de plus en plus blanc ». (大致意思:这个,我觉得是“白”,法语是Blanc。我觉得那个,嗯,是“雪”,法语是Neige。“雪”前面是(“越来越”)……(所以)是“越来越白”。)

根据被试者的有声思考记录,语素义和上下文线索同样在NL文化组的窗花(见上文中例一)和汤圆(例四)的猜词过程中起到了积极的作用。在下面的例子里,被试者首先识别了第一个字,并由此联想到是某种流质的食品。但是被试者随即发现前面的动词是而不是,所以改变想法,认为是过年时吃的东西。

例四(文化组的汤圆):Hm, ah, peut-être c’est quelque chose à boire. « tang », c’est la « soupe ». Mais c’est pas ça? ... « he ». Donc c’est plutôt quelque chose à manger. Euh, « hai ke yi chi » euh, bah quelle période ? « guo nian » ... euh « you xin hm hm hm hm hai ke yi chi », (donc) on peut aussi manger ... Bah quelque chose à manger. (大致意思:嗯,啊,可能是喝的东西。“汤”,法语是soupe。不对……“喝”?所以应该是吃的东西。嗯,“还可以吃”。嗯,是什么时候?“过年”……嗯,“****还可以吃”,法语意思是 on peut aussi manger……就是吃的东西。)

 那么,是不是NL组目标的猜测得分都和语素义线索的使用紧密相关呢?图示2中的数据表明事实并非完全如此。

 

图示2.png

我们可以看到,猜测踏青词义的过程中,被试者使用语素义的频率并不高 (9 %),而它的猜词得分也很低(0.09分,见图示1)。我们可以推测被试者并不认识这两个构成字。虽然从上下文里可以理解这是春天在户外进行的活动,但是结果显示这一线索对被试者理解这个词的帮助甚小。而且,即使被试者知道这两个字的含义,从走在青草上推测到大家在春天(万物复苏之际)走出家门,去野外郊游这样的含义仍然是非常困难的。

反观送灶这个猜词得分最低的目标,被试者在猜测它的词义时,语素义线索的权重高达82 %。为什么在这个目标的猜测中,语素义的使用并不能有效地帮助我们的被试者呢?以下两个猜测送灶的例子很有代表性,可以给我们一些启示。

例五(NL文化组的送灶):« song », je pense que ça veut dire « offrir » ou « envoyer » quelque chose. Alors le caractère d’à côté, y a la clé du « feu », il me semble, et la « terre ». Hm, je n’ai aucune idée. ... « mei jia dou » chaque famille va faire euh... peut-être ils font des plats pour offrir à quelqu’un d’autres. (大致意思:“送”,我想法语意思是offrir或者envoyer。然后旁边那个字,有“火”字旁,我觉得是,还有“土”。嗯。我不知道。“每家都”,就是每个家庭都会做……可能是做些饭菜送给别人。)

例六(NL文化组的送灶): « song » c'est « envoyer » ou « donner ». Le deuxième caractère, c'est le « feu » avec la « terre », le « sol ». « mei jia dou hui zuo yi xie hao chi de lai song ... ». Des plats à emporter peut-être. « huo », euh « le feu », peut-être le feu pour cuisiner, pour réchauffer les plats. « xin nian qian ji tian », les jours avant. Oui, je pense que c'est ça. Les gens préparent des plats avant le Nouvel an. (大致意思:“送”的法语意思就是envoyer或者donner。第二个字里有“火”和“土”。“每家都会做一些好吃的来送……”。可能是带走的饭菜。“火”,就是法语的feu,可能是用来烹饪或者热饭菜的火。“新年前几天”,法语意思是les jours avant……我觉得是这个(意思)。人们在新年前准备饭菜。)

在这两个例子中,两个被试者都识别出了第一个字,并给出了字义,运输赠与。但是,送灶里的是另一种意思,即陪伴离去的人一起到到某地点。至于第二个字,两个被试者的反应都是不认识,但是都识别出了字中的偏旁——“。例六中的被试者由字旁联想到热菜热饭,这也和上下文里每家每户要做好吃的线索相符。所以,两个被试者给出的答案是中国人在新年时做好吃的(相互赠送)。由于很多被试者认出了字,因此以语素义线索在送灶这个目标的猜测过程中使用频率很高。但是有声思考记录显示,没有一位被试者在众多的意思中选用正确的那个去解释送灶。除此之外,理解的意思难度更高。指代的是灶王爷,中国神话中由天庭派来监管一个家庭的神。送灶是中国人在年前用好吃的恭送灶王爷去天庭述职,希望他能在玉帝面前美言,期待来年能有好运的一种仪式。其中的灶王爷天庭玉帝等中国神话人物,对于中等汉语水平的学习者来说是极少有机会接触到的。换而言之,送灶这个词的词义涵盖了其他非成词化词,所以对我们被试者来说,从一篇简单介绍中国新年习俗的文章里猜测出送灶的意思是一件不可能完成的任务。

同样值得被关注的还有非文化组里的还礼。在猜测这个词的过程中,被试者也频繁使用了语素义线索(85 %),但是还礼的猜词得分(0.24分,图示1)并不是NL组中最高的。不同于送灶还礼是一个语义高度透明的词,而且两个构成字,huán”,也很早就出现在被试者的课本里。但是,还礼的猜词得分低于NL组猜测平均分(0.25)。我们发现,造成这一结果的主要原因是是多音多义字。如例七所示,很多被试者把huán”识别为hái”,解释成再次的意思,或者把它联系到还是这个词。

例七(非文化组的还礼):Alors, le « hai », je connais dans les « encore » … ou « hai shi ». Euh, et « hai li », il me semble, « li » ... c’est « li wu », donc qui est dans « cadeau ». ... « hai zi fu » et « fu mu », et « fu mu » ... Je dirais que c’est ... « hai li », encore ce cadeau. (大致意思:“还hai”,我在“还是”这个词里学过,是“再”或“或者”的意思。嗯,“还hai礼”。第二个字好像是“礼物”的“礼”,法语意思是cadeau。“孩子父……”、“父母”……“还hai礼”,我觉得是“再次这个礼物”(的意思))。

33名被试者中只有两位通过上下文正确识别了huán”(例八)。还礼的例子再次显示(多音)多义字在中等汉语水平学习者的猜词过程中可能带来困扰,不利于学习者正确理解词义。

例八(非文化组的还礼):Donc le premier en fait ... c'est un caractère qui peut se prononce différemment. Euh je pense que ça peut se prononce soit « hai » pour dire « et aussi », ou alors « huan » pour dire « échanger ». Et « li » euh c'est un caractère qu'on retrouve dans le « li wu », pour le « cadeau ». ... Alors « huan » pour dire « échanger ». Et « li » euh c'est un caractère qu'on retrouve dans le « li wu », pour le « cadeau ».  ... Euh, et là par rapport au contexte, je pense qu’en fait les parents utilisent cet argent pour aller euh offrir des cadeaux aux autres personnes. Échanger des cadeaux. Voilà.(大致意思:第一个其实是个多音字。嗯,我想它可以发“hai”,表示“也”,也可以发“huan”,表示“交换”。“礼”是“礼物”的“礼”,法语意思是cadeau。通过上下文,我觉得是父母用这些钱去买礼物送给别人。就是“交换礼物”的意思。)

(实验者询问为什么文中是“huán”而不是“hái”。)

 Euh, parce que là je sais pas si « li » c'est un verbe. Parce que si on met « hai », il faut un verbe après, ... Mais j’ai jamais vu le deuxième caractère tout seul. (大致意思:嗯,因为我不知道“礼”是不是个动词。如果是“还hai”,后面需要一个动词……但我从没见过第二个汉字(作为一个词)单独出现。)

5.2     NL组目标词后续保留结果

为了测试被试者对猜测过的目标的习得保留结果,我们在猜词结束后两周和四周分别做了一次针对目标的延时后测,同样使用VKS测试。测试中,目标单独出现,这就意味着被试者无法使用上下文线索帮助他们回忆目标

后测结果显示,NL组目标的词义保留呈快速下滑趋势,而L组则是上升的趋势。尤其在猜词结束后两周,NL组目标词的得分比猜词阶段得分下滑了24 %。反观L组词,四周后的词义保留得分比实验当天的词义猜测得分提高42 %。由此可见,对于L1法语学习者来说,非成词化的L2汉语词更难长期保留。这和L2英语相关研究的结论是一致的。

在下文图表2中,我们可以看出,NL文化组的词义得分从猜词时的0.2降至四周后的0.14,降幅为30 %,而非文化组目标词的平均得分从0.29下降到了0.24,降低了17 %。这说明对于L1法语者来说,同样是在法语里找不到相应词的汉语词,蕴含文化知识背景的汉语词的词义更加难以掌握。四周后测结果显示,猜词时表现不错的白茫茫NL非文化组)和还礼NL非文化组)的得分最高。我们认为,这两个词的含义中不包含L1法语者不理解的概念,而且,这两个词中的都是被试者熟知的高频字。被试者在回忆这些词的词义时可以利用语素义线索较容易地激活大脑中相关概念。特别值得注意的是还礼的得分数在四周内的增幅是NL组目标词里最大的(62.4 %)。我们在上文中提到过这个多音多义字在还礼猜词过程中给被试者带来了困扰。但是猜词后完形填空练习让被试者有机会知道这个构成字的正确意思,这个词后测结果也表明,语素义线索在语义透明高的汉语词理解和后续保留中能起到非常积极的作用。

“腊月”和“汤圆”在猜词阶段的得分都较高,但是后测阶段中的分数都有大幅下降,分别为-49 %和-28 %。我们认为,因为被试者不认识“腊”这个构成字,这首先在词形识别上给他们带来一定困难;而且,因为不知道它指代的是“岁末季节适宜准备的腊制食品”,加上缺少语境线索,即使被试者注意到了“月”字,他们的后测答案中也没有表达出这个词和农历新年的关系。同样因为缺乏语境线索的帮助,还有不少被试者把“月”理解成了“lune(月亮)”。“汤圆”的后测情况相似,不少被试者给出的词义答案就是“soupe(汤)”。NL非文化组中的“安适”和“飘零”的后测答案中也常见这种用部分语素义理解词义的现象。

 

 

 

 

 

 

 

目标词

猜词得分

四周后

保留得分

语素义线索在猜词过程中的权重

 

窗花

0.19

0.16

70 %

 

腊月

0.45

0.23

79 %

NL

文化组

送灶

0

0.03

82 %

踏青

0.09

0.08

9 %

 

汤圆

0.29

0.21

52 %

 

平均分

0.20

0.14

 

 

安适

0.3

0.12

52 %

 

白茫茫

0.35

0.32

58 %

NL

非文化组

还礼

0.24

0.39

85 %

明丽

0.34

0.3

61 %

 

飘零

0.2

0.09

36 %

 

平均分

0.29

0.24

 

 

 

 

 

 

图表2 — 非成词化目标词四周前后的词义得分

 

腊月汤圆在猜词阶段的得分都较高,但是后测阶段中的分数都有大幅下降,分别为-49 %-28 %。我们认为,因为被试者不认识这个构成字,这首先在词形识别上给他们带来一定困难;而且,因为不知道它指代的是岁末季节适宜准备的腊制食品,加上缺少语境线索,即使被试者注意到了字,他们的后测答案中也没有表达出这个词和农历新年的关系。同样因为缺乏语境线索的帮助,还有不少被试者把理解成了“lune”汤圆的后测情况相似,不少被试者给出的词义答案就是“soupe”NL非文化组中的安适飘零的后测答案中也常见这种用部分语素义理解词义的现象。

猜词得分最低的送灶NL文化组)和踏青NL文化组)在四周后测中的词义保留分仍然是最低。我们的推论是这两个词涉及的是中国人的传统习俗,这是在法国学习汉语的法语母语者不容易接触到的生活方式,因此相关概念在他们的大脑里是缺失的,这对于学习者理解并在心理词典里为这两个词创建新词目是不利的。

具体而言,在理解阶段,学习者需要通过构成概念去理解一个在自己母语里不存在的L2 (PARIBAKHT, 2005)。以我们实验中的还礼为例,为了正确理解这个词,学习者至少需要激活“rendre(交还)”或“échanger(交换)”,还有“cadeau(礼物)”这些相关的L1词概念。换而言之,如果理解一个成词化L2词需要建立一条一对一的词形概念链接(Form-Concept, DE BOT, PARIBAKHT, WESCHE, 1997),那么理解一个非成词化L2词就需要一对多链接(Form-ConceptS)(图示3)。

图示3.png

非成词化L2词涉及的构成概念越多,理解这个词所需要建立的概念链接也就越多。这也意味着不能激活所有构成概念的可能性就越大,因为这受猜词环境中上下文线索是否足够丰富、学习者语言水平和阅读技巧是否能允许他们找出并合理处理线索等诸多因素影响。可能的后果是学习者只能激活一部分构成概念,从而片面理解词义。比如,要理解踏青这个词,学习者可能需要激活“piétiner(踩)”, “printemps(春天)”, “vert(绿色)”, “herbe(草)”, “campagne(乡村)”, “balade(散步)”等等一系列构成概念。和还礼相比,理解踏青的认知投入显然要大得多。至于送灶,其中灶王爷这个构成概念就在法语中不存在,对L1法语学习者来说,他们需要把这个构成概念再度细分成更多的相关构成概念,比如炉灶家庭”“等,通过后者去理解灶王爷,然后结合其他诸如岁末准备美食家庭仪式等概念去完整地理解送灶地意思。所以,理解送灶需要激活的构成概念也就更多,难度更大。

即使在猜词结束后的词汇练习中,我们的被试者知道了踏青送灶的正确意思,但是是否能正确地、全面地记忆这些构成概念仍是个问题。根据语义传输假设”(Semantic Transfer Hypothesis, JIANG, 2004),一个新学的L2词的词目会系联对应的L1词目,通过使用L2新词,L1词目中的词汇信息会逐渐复制到L2词目中,直至最终L2词目不需要通过L1词目也可以直接激活相应的概念。根据这个理论,相较于一个成词化汉语词,在心理词典中构建一个非成词化汉语词词目需要我们的被试者从多个L1法语词目中复制词汇信息。更进一步来看,如果说构建一个构成概念较少的非成词化汉语词(如还礼)的词目只需要复制两、三个L1法语词目的词汇信息,一个蕴含社会文化知识的非成词化汉语词,如踏青送灶,可能需要复制十几个、甚至几十个L1法语词目里的信息(图示4)。显而易见,掌握一个蕴含汉语圈社会文化知识的非成词化汉语词对L1法语学习者来说是更大的挑战。

图示4.png

6. 对汉语二外词汇教学方法的思考

针对中等汉语水平的法国大学生,我们进行了一次通过阅读学习汉语生词的研究实验,主要目的是了解社会文化知识在附带习得汉语词汇中的影响。不同于以往L2汉语词汇习得研究,此项研究第一次把焦点放在了在学习者母语中非成词化的汉语词汇上。汉语和法语在语言和文化层面有巨大差异,很多汉语词没有对应的法语词或短语,尤其是蕴含汉语圈社会文化知识的汉语词,对于在非汉语环境里学汉语的法语母语者来说,这些汉语词通常是难以理解并掌握的,所以这类词汇的教学值得被关注。

根据实验结果,中等汉语水平的法语母语者可以通过阅读习得非成词化汉语词。由于非成词化汉语词的概念在法语母语者大脑中是缺失的,所以通过上下文理解的词义很可能是不全面的。因此,除了阅读理解外,学习者仍需要正确的词义信息输入,用以更正、补全被猜测词的意思,避免错误或片面词汇信息在学习者大脑中出现石化现象 (Fossilisation, YU, BOERS, 2023)。如果非成词化词需要学习者掌握一定汉语圈社会文化知识才能理解,那么阅读可能并非习得这类汉语词的有效途径:法语母语学习者需要通过相关构成概念理解某个在自己母语中非成词化的汉语词,理解这个词所需的构成概念越多,这个词的理解难度也就越大;一个蕴含社会文化知识的非成词化汉语词,它的词义通常涉及多个构成概念,这也意味着,阅读文章很可能无法提供激活所有相关构成概念所需的线索。即使文章提供了线索,中等汉语水平的学习者有效处理分析文字线索的水平仍然有限,所以结果很可能是部分理解、错误理解甚至是不理解。同样的挑战也体现在词汇知识保留方面。一个含义丰富的非成词化汉语词目需要从多个相关法语词目中汲取所需信息。汉语词涉及的构成概念越多,它的词目需要汲取的词汇信息就越多,需要学习者投入的认知资源就越多,这个词就越难掌握。

综上所述,我们认为,对于中等汉语水平的法国学生,汉语教师可以在传统课堂词汇教学外,通过课外阅读练习等方式帮助学生从其他渠道学习词汇,以弥补课时的不足。但是,通过阅读理解学习词汇的方式不适用于社会文化类汉语词。这类词的词义内容复杂,需要用直接的教学方法向学生输入明确的词汇知识。

教学方法思考一:多模态教学

多模态教学法强调的是文字并非唯一的信息传递媒介,图形、颜色、声音、动画等等都可以有效地传递信息,让学习者从视听等多维度进行信息接收,并能帮助他们在大脑中综合构建知识。上世纪九十年代,新伦敦组提出,在语言和文化日益多样化的背景下,应当用语言文化结合的多媒介渠道教学替代单纯基于语言的传统教学(The New London Group, 1996),这在学界被视作把多模态引入语言教学的重要里程碑。在L2汉语领域,教师和学者们也纷纷对多模态教学表现出了浓厚兴趣(见李巍, 2022)

社会文化类汉语词的词义中常含有法语母语者无法理解的概念,以送灶为例,即使法国学生看到了这个词的法语解释(Saluer avec des offrandes le départ du Génie du foyer pour le Ciel, le 23 de la 12e lune),很可能还是不明就里。因此,我们建议汉语教师可以使用包括文字在内的多元化组合教材(如图片、音频、视频、主题活动等等)来提高社会文化类词汇的教学效率。比如教送灶时,教师可以利用各种图片影像资料,首先给学生展示春节期间民俗活动,让学生把送灶中国新年这个背景紧密联系起来。在此基础上,教师展示厨房里的灶头、灶王神龛和神像画,让学生看到这个中国传说中掌管灶火的神的视觉形象以及他在家里被供奉的具体位置,以便学生把灶王爷的形象和厨房联系起来;然后,可以引入民以食为天的俗语,让学生明白为什么这个神在中国家庭中有重要地位。美食在法国文化中同样举足轻重,所以引入这个文化相似点,利用多维度信息输入,可以帮助法国学生更有效地接收并消化相关知识,有利于他们对送灶这个词的掌握。而教窗花这个词的时候,除了同样需要把这个词和过年过节的背景联系在一起,可以在课堂上组织学生们用红纸亲手制作,增加视觉和触觉信息输入。值得注意的是,因为这些文化类词的含义复杂,涉及的构成概念众多,掌握这些词需要的认知和时间投入更多。为了能够更好地记忆这些词,学生需要不断重复地接触这些词,也就是说后期教师要帮助学生不断复习。

在当今生活中,网络的普及为教师寻找、筛选合适的各种载体形式的教学材料提供了极大的便利。特别是近几年人工智能的兴起,多模态教学的技术条件势必越来越成熟。无论是教师在选择教法教材的时候,还是相关部门在策划编辑对外汉语教材的阶段,都需要考虑到这种发展趋势,充分结合利用各种媒介资源,以便有效地帮助学生学习词义复杂的新汉语词汇。

教学方法思考二:强调词汇教学中的字本位理念

此次实验的另一个值得注意的结果是汉语词中构成字的意思可以对学习者理解并掌握某个词起到重要作用。如果一个词语义透明度较高,且学习者知道其构成字的意思,即使这个词在学习者的母语中不存在,学习者仍然可以通过语素义间接理解词义。并且,相较于一个由不认识的字构成的词,包含学习者已掌握的构成字的词更容易被记住。比较明显的例子是非成词类目标词还礼白茫茫明丽,还有成词类目标词五颜六色。尤其是五颜六色,无论是词义猜测还是词义后期保留,都给很多被试者提供了有利的词义线索。所以,五颜六色在猜测和后测阶段的表现都非常好。同时,我们的被试者在猜词过程对语素义线索的使用也说明L1法语的中等汉语水平学习者已经有了语素分析意识。语素在词义猜测和保留中的重要作用引发了我们对字本位在汉语词汇教学中的思考。

字本位这个词的首次出现可能是在郭绍虞1938年发表在《燕京学报》上的《中国词语之弹性作用》一文中。郭提出,同一个词,词义不变,可以因构成字数的不同而呈现出不同词形长度,比如车子。郭的目的是比较书面和口语汉语词汇,但是我们由此可以看出汉字在构词中的灵活性(REN任小青,2019)。字本位理论在汉语研究和教学中被慢慢重视得益于徐通锵(1994)在上世纪九十年代中明确提出,不同于印欧语系的语法型语言,汉语是语义型语言,它的基本结构单位是,因此不应用代替来研究汉语结构和语法。吕必松则在一篇2011年的微博中,从对外汉语教学的角度出发对字本位理念大加赞赏,并主张一种语言的基本教学单位必须跟基本结构单位保持一致,所以汉语的教学单位应该是字,而不是词。汉语的基本语法手段是组合生成,汉语的词(Zi-group)和句都建立在字的基础之上,使用者可以根据自己表达意向直接组合字词形成句,而无需做字形或词形的变化。吕还强调,字的内容和数量都是封闭性的,但是直接组合可以使有限的字生成无限的词和句,是汉语无限活力的源泉。法国的汉语教学先驱白乐桑也是字本位理念的拥趸,他早在1985年就根据汉字的构词能力推出了汉语初学者需掌握的400汉字(Seuil Minimum Indispensable de Caractères)。 

这些学者对字在构词中核心作用的强调也体现出复合词在现代汉语词汇中的代表性。现代汉语词汇中大多数为复合词 (周荐, 2004)。《义务教育常用词表(草案)》(2019) 收录了17000多条词目,其中90 %以上是复合词。而复合词中,语素义和词义有关联的又占多数。郑厚尧 (2006) 指出,《现代汉语词典》(2002)80 %的词都可以被认定为不同程度的语义透明词。由此可见语素义的掌握对复合词词义的理解有非常重要的作用。很多学者因此提出,在对外汉语词汇教学中需要重视单个汉字教学和词汇构成字意义的解释(宋春阳, 2007; 肖贤彬, 2002);汉语语素的意义在构词中有高度稳定性(苑春阳黄昌宁, 1998),所以有一定词汇量的学习者可以把所知词汇按照相同语素进行归类(赵金铭, 2012),或建立同素语义网络(图示5, 许艳华, 2014),以加强网络内成员词的理解和记忆,也有助于同类词汇扩充。
 

图示5.png

我们认为,帮助学习者建立同素语义网络也应该适用于语义透明度较高的非成词化汉语词。我们的实验结果显示,法语被试者能较成功地猜测到并保留腊月白茫茫等非成词化汉语词的词义也是在某种程度上得益于对等语素的掌握。因此,对于语义透明度较高的非成词化汉语词,把它们归入某一核心语素的语义网络应该可以在学习者学习和记忆时起到同样的积极作用。比如,学习者可以把腊月正月这两个非成词化词以及十月月份月度等成词化词一起归类到以为核心语素的词汇网中(图示6,从而帮助学习者加强大脑中这个两个非成词化词和的意义系联。

图示6.png

而类似送灶踏青等含义复杂的非成词化词,我们认为,用上述归入一个单独语义网起到的语义系联效果可能比较有限。这类词的学习和记忆需要更多的语义系联。而且,随着学习者的汉语词汇量不断增加,建立单独同素语义网也不足以帮助学习者更系统地整理、记忆和扩充词汇。因此,我们建议,汉语教师应该帮助、引导学生在建立单独同素语义网的基础上,通过成员词中的其他语素系联别的同素语义网,从而把已知和正在学习的词汇进一步整合成一个词汇大网(图示7)。在实际教学中,或通过传统教学方式,或通过阅读猜词及词汇练习等辅助方式,汉语教师可以利用新词中学生已知的构成字帮助他们回忆有同样构成字的其他词。比如,如果学生已经学过电话一词,学电影这个词的时候,教师可以提醒学生已经学过电话,并强调在这两种物件中的共同意义。若学生已经学过自行车,教师还可以提醒学生也可以组词。同理,如果学生已经学过皮带这个词,教师可以让学生知道,电影中另外一个字可以和组成皮影。如此往复,教师可以在潜移默化中帮助学生在他们的大脑中利用这些共同语素作为节点形成一个整体词汇网络。众所周知,汉字的记忆通常要需要很多时间。学习一个新词时,如果这个词由完全陌生的汉字组成,那么对学习者来说,第一个要解决的问题就是记住这些构成字怎么写。与之相比,一个由已知汉字组成的词显然就要方便得多。利用已知汉字扩展词汇网在某种程度上是词汇知识资源再利用,能更快速且有效地丰富学生的词汇量。再者,用网络的形式整合已知汉字和词也可以在需要直接组合字词形成句的时候通过这些由共同语素搭起的通道快速激活关联词和字,提高效率。

 

图示7.png

我们想强调的是,在汉语词汇教学中强调字本位理念并非提倡汉语教师要刻板遵循的教学流程,更不意味着完全摈弃的教学。倪伊芯(2018)指出,所学知识的可用性对二外学习者的学习积极性有很大影响。一个汉语学生学了衣服三个词就可以去商场里实践,没必要花时间在为什么衣服这个词需要两个字组成,各自是什么意思等等问题上纠结。所以,在实际教学中应有效结合。强调字本位的目的是让学生了解汉字的词性词义多样性,以及它们在构词(Zi-group)中的灵活性。利用熟知的字作为节点建立相互系联的心理词汇网络,可以帮助汉语二外学生,特别是词汇摄入量激增的中高水平的学生,更高效地记忆、使用新词,丰富汉语词汇量。汉语二外学生学习并掌握汉字,形成汉字可以灵活构词的意识,这是一个长期的过程,因此,从教学内容的编排、课堂教学的方法到课后练习的准备,汉语教师都应该在潜移默化中帮助学生重视在汉语词汇中的作用。就如吕必松先生在他的微博中所说,汉字和汉字的组合教学是汉语教学的牛鼻子,牵住了牛鼻子就能事半功倍。

 

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23 mai 2025
Élaboration de tâches communicatives basées sur les conflits en CLE avec ChatGPT
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Li Xia (Université Grenoble Alpes)

Résumé : Dans le cadre de l’élaboration du programme d’enseignement pour un cours d’expression orale en Chinois Langue Étrangère en milieu universitaire, l’enseignante conçoit des tâches communicatives basées sur les conflits afin d’encourager les apprenants à s’engager dans une dynamique interactionnelle et à développer leur compétence d’interaction orale. Lors de la conception de ces tâches, l’enseignante utilise ChatGPT pour l’aider à finaliser l’élaboration du programme. Cet article vise à exposer les caractéristiques saillantes des interactions entre l’enseignante et ChatGPT durant ce processus d’élaboration, ainsi qu’à examiner l’utilisation de ChatGPT et ses impacts dans ce contexte spécifique. 

Mots clés : chinois langue étrangère, intelligence artificielle, conception de programmes d’enseignement avec ChatGPT, tâche communicative basée sur les conflits

Title: Designing conflict-based communicative tasks in Teaching Chinese as a Foreign Language with ChatGPT 

Abstract: In developing the teaching program for a course in Oral Expression in Teaching Chinese as a Foreign Language at the university level, the teacher designs communicative tasks based on conflicts to encourage learners to engage in interactive dynamics and develop their oral interaction skills. During the design of these tasks, the teacher uses ChatGPT to assist in finalizing the program. This article aims to present the key characteristics of the interactions between the teacher and ChatGPT during this program development process, as well as to examine the use of ChatGPT and its impacts in this specific context.

Key-words: teaching Chinese as a foreign language, artificial intelligence, design of teaching programs with ChatGPT, conflict-based communicative tasks

Introduction

L’avènement de l’Intelligence Artificielle (IA) ne date pas d’hier. Aujourd’hui, ses applications concernent pratiquement tous les domaines de notre vie quotidienne, y compris celui de l’enseignement/apprentissage des langues. Par exemple, l’application du Traitement Automatique des Langues (TAL) dans la traduction, tels que la traduction (comme avec DeepL), la correction des erreurs linguistiques (comme Grammarly) ou encore la conversion de texte en discours oral synthétisé (avec TTSmaker). À la fin de l’année 2022, le lancement de l’assistance virtuelle ChatGPT par OpenAI a captivé un large public, notamment grâce à ses performances remarquables en matière de traitement de l’information. Dans ce contexte, il est donc nécessaire d’examiner de plus près les applications de l’IA dans le domaine de la didactique des langues, tant sur l’enseignement que sur l’apprentissage, ainsi que les impacts qu’elles peuvent engendrer.

 

Cet article se concentre sur l’étude du processus d’élaboration des tâches communicatives basées sur les conflits avec ChatGPT pour un cours d’expression orale de Chinois Langue Étrangère (CLE) en milieu universitaire. Notre recherche adopte notamment une perspective descriptive (Olivier de Sardan, 2008 ; Catroux, 2018) visant à exposer les caractéristiques saillantes de l’interaction entre l’enseignante et le ChatGPT, ainsi qu’à mettre en lumière leurs impacts sur la finalisation de la conception du programme d’enseignement. Les questions de recherche sont les suivantes : comment l’utilisation de ChatGPT se manifeste-t-elle dans le processus d’élaboration des tâches communicatives basées sur les conflits ? Dans quelle mesure son utilisation influence-t-elle le programme final ?

 

Dans un premier temps, nous décrivons certains éléments contextuels en nous focalisant sur le processus d’élaboration de nos tâches d’études. Ensuite, nous présenterons le cadre méthodologique, comprenant le type de recherche envisagé, la constitution et le traitement du corpus, ainsi qu’une explication de certains termes de métalangage utilisés dans la partie d’analyse. Par la suite, nous nous concentrons sur le cadre théorique, qui définit certaines notions clés, telles que la tâche communicative et les intérêts d’associer la théorie du conflit dans sa conception, certains critères à prendre en compte lors de l’élaboration des tâches, ainsi que les éléments liés à l’IA. Enfin, nous exposons les résultats de l’analyse et en tirons des conclusions. 

 

1. Contexte

Pour bien comprendre nos analyses, il est crucial de saisir le contexte d’application de ces tâches, les raisons de leur conception, le public cible, ainsi que le processus de leur élaboration.

 

1.1. Présentation du cours d’expression orale 

Le cours d’expression orale, dispensé par l’enseignante-chercheuse (auteure de cet article) à Sorbonne Université, se déroulait une fois par semaine pendant onze semaines par semestre, avec une durée de 1 heure 30 minutes. Cet article porte sur l’étude du processus d’élaboration des tâches communicatives pour le premier cours d’expression orale du semestre 2 de l’année 2023-2024destiné à 14 étudiants de licence 3 en Langues Étrangères Appliquées (LEA), parcours chinois. Le thème principal du cours d’expression orale s’articulait étroitement avec les autres cours, tels que la compréhension écrite, la compréhension orale et l’expression écrite, afin de maintenir la cohérence interne du curriculum (l’ensemble des programmes d’enseignement). Étant donné que c’était la période du Nouvel An chinois, le thème hebdomadaire se focalisait sur les phénomènes observés pendant cette période. Ainsi, le contexte des tâches communicatives se situait dans le cadre du voyage en train lors de la grande migration du Nouvel An chinois. Ensuite, celles-ci étaient réalisées en binômes. 

 

1.2. Processus d’élaboration des tâches communicatives basées sur les conflits

L’élaboration de ce type de tâche a un double objectif : d’une part, placer les apprenants face à une situation conflictuelle et « fictive » (Cicurel, 2011, p. 66), ce qui leur permet de susciter des interactions orales qui se rapprochent de la situation de communication de la vie quotidienne ; d’autre part, en raison du caractère imprévu lors de la réalisation d’une telle tâche, les apprenants sont encouragés à développer une « compétence d’interaction orale », telle que postulée par Pekarek Doehler, la composante essentielle de la capacité de communication est « non pas de ce que l’apprenant est capable de produire seul, mais de ce qu’il arrive à faire avec autrui et, surtout, de ce que la situation lui demande de faire » (Pekarek Doehler, 2000, l. 26)

 

Nous présentons ci-dessous les différentes phases de l’élaboration de nos tâches d’étude, qui se déroulent avant, pendant et après l’utilisation de ChatGPT : 

 

Phase initiale - Élaboration individuelle par l’enseignante

Cette étape initiale a pour objectif de cerner spécifiquement les sous-thèmes, à préciser les éléments contextuels et à définir les rôles A et B, le mode de déroulement, ainsi que les principaux points de conflit. Enfin, deux situations de communication sont définies (Annexe 1) : « 打电话 » (dǎ diànhuà, téléphoner) et « 座位 » (zuòwèi, siège). 

 

Phase intermédiaire : Élaboration avec l’utilisation de ChatGPT

Cette phase concerne un processus de l’interaction entre l’enseignante et ChatGPT. L’enseignante recourt à ChatGPT pour deux raisons principales : la première consiste à vérifier la faisabilité et la validité des tâches conçues en demandant à ChatGPT de générer des dialogues ciblés afin d’obtenir un aperçu global des « produits finaux ». La seconde vise à solliciter ChatGPT pour fournir davantage de thèmes liés aux conflits dans ce contexte spécifique, afin d’aider l’enseignante à enrichir le programme tout en répondant aux besoins quantitatifs. 

 

Phase finale : Élaboration individuelle par l’enseignante 

Après avoir utilisé ChatGPT, l’enseignante s’inspire de leurs échanges pour effectuer d’éventuels ajustements visant à améliorer les tâches élaborées. Cela lui permet également d’explorer de nouvelles pistes de réflexion pour enrichir le programme final. 

 

2. Méthodologie

Olivier de Sardan (2008, p. 139) souligne que la description est une forme écrite de l’observation sur le terrain de recherche. À travers d’une observation et d’une analyse minutieuse du corpus, nous pouvons percevoir, comparer, et établir des liens entre les divers phénomènes observés pour en tirer des conclusions. Comme l’indique Catroux (2018), il s’agit de « décrire des faits, des comportements par enquête, analyse de contenu, étude de cas, etc. […] Elle implique donc après la description, une analyse et une interprétation. Son objectif est de construire du sens ou des significations à l’aide d’un réseau d’éclairages interprétatifs […] » (Catroux, 2018, p. 13)

 

Notre corpus est constitué à la fois de l’interaction entre l’enseignante et ChatGPT et du programme final élaboré, afin de mettre en évidence l’impact de l’utilisation de ChatGPT sur sa finalisation. Le corpus comprend la copie de l’interface de l’interaction et le programme final (Annexe 1). De plus, nous avons emprunté quelques notions clés de l’analyse conversationnelle (Bange, 1992) afin de mettre en lumière certaines caractéristiques de l’interaction entre l’enseignante et ChatGPT, ainsi que du dialogue simulé par ChatGPT. Dans un premier temps, nous segmentons les interactions sous forme de « séquences » en fonction de la nature de leurs échanges. Ensuite, nous numérotons les tours d’échanges, de la même manière que dans une « tour de parole » lors d’une conversation. Nous préférons utiliser le terme « échange » plutôt que « conversation » pour qualifier ce type d’interaction entre l’enseignante (homme) et ChatGPT (machine). Cela est dû au fait que, dans ces échanges, ChatGPT joue toujours un rôle passif tout en acceptant des instructions pour agir, ce qui le distingue des conversations humaines qui comportent d’autres caractéristiques conversationnelles telles que le « chevauchement ». Par ailleurs, pour analyser les dialogues générés en paire minimale, nous adoptons le terme « paire adjacente », comme le rappelle Bange (1992), « étant constituée de deux tours de parole en position de succession immédiate, prononcés par deux locuteurs différents et tels qu’il existe un élément reconnaissable comme le premier (first pair part) et un autre reconnaissable comme le second (second pair part) » (Bange, 1992, p. 40)

 

3Cadre théorique

Dans cette partie, nous nous concentrons tout d’abord sur la définition de la « tâche communicative » et sa conception en lien avec la théorie du conflit socio-cognitif, ainsi que sur quelques principes à prendre en compte lors de son élaboration. Ensuite, nous nous focalisons sur la présentation du système d’IA, ses diverses composantes, ainsi que son fonctionnement. 

 

3.1 Tâche communicative basée sur les conflits

Quant à la définition de la « tâche communicative », Nunan (1989) souligne sa focalisation sur le sens (meaning-focused) plutôt que sur la forme (form-focused), en la définissant comme « a piece of classroom work which involves learners in comprehending, manipulating, producing or interacting in the target language while their attention is principally focused on meaning rather than form » (Nunan, 1989, p. 10). Nos tâches sont spécifiquement conçues pour résoudre des conflits afin d’encourager les apprenants à s’engager dans une dynamique interactionnelle afin de développer une « compétence d’interaction orale » (Pekarek Doehler, 2000). D’une part, cela s’explique par le fait que les conflits sont courants dans la vie quotidienne, nous avons tous vécu ou été témoins de ce type de communication. Ainsi, la réalisation de ce type de tâche revêt une valeur communicationnelle importante, ce qui permet aux apprenants de se préparer à réagir de manière appropriée face à un conflit dans un contexte similaire. D’autre part, nous nous appuyons sur la théorie du conflit socio-cognitif, tout en mettant en avant les activités cognitives qui se produisent dans la résolution des conflits, ce qui est considéré comme essentiel pour développer une compétence. Perret-Clermont (1979, p. 200) met en lumière la nécessité de la résolution du conflit pour parvenir à une adaptation intellectuelle : « […] le sujet ne pourra bénéficier de l’interaction que si elle est conflictuelle, c’est-à-dire si la diversité des centrations et la nature de la tâche de la situation exigent de sa part une réorganisation des coordinations en jeu ». De plus, Bourgeois & Nizet (1999, p. 158) soulignent que ce processus conflictuel implique notamment :

 

[…] une structure cognitive donnée avec une information incompatible et la perturbation cognitive qui en résulte vont engager le sujet dans la recherche d’un nouvel équilibre, recherche qui le conduira, le cas échéant, à l’élaboration d’une structure nouvelle, compatible avec l’information ‘perturbante’

 

Dans le cadre de l’élaboration des tâches, Ellis (2003) rappelle plusieurs critères essentiels qui influent sur leur complexité, tels que l’input, les conditions, les processus et les résultats. Étant donné que notre recherche s’inscrit dans la phase de conception des tâches, nous nous concentrons particulièrement sur les facteurs liés à l’« input », qui prend notamment en compte les éléments suivants : « (1) medium ; (2) code complexity ; (3) cognitive complexity ; (4) context dependency ; and (5) familiarity of information » (2003, p. 222). D’après l’auteur, le médium fait référence à la manière dont l’information est fournie, par exemple sous forme orale ou écrite. La complexité du code se rapporte aux éléments linguistiques utilisés, tels que la structure syntaxique et le choix du lexique. Quant à la complexité cognitive, elle concerne le processus impliquant les types et la quantité d’informations à traiter pour accéder au sens. La dépendance au contexte concerne les supports utilisés pour accéder aux informations, tels que les images ou les tableaux. Il est également important de tenir compte de la familiarité de l’information, qui fait référence à « the relationship between the theme of the task and the individual learner’s knowledge » (Ellis, 2003, p. 223). Il est à noter que, durant ce processus d’élaboration, l’enseignant joue un rôle crucial en tenant compte de ces critères afin d’optimiser le processus d’enseignement/apprentissage. 

 

3.2 Intelligence artificielle 

En ce qui concerne l’interprétation de l’IA, Herbert (1996/1969), l’un des pionniers dans ce domaine, met en avant le fait que l’IA ne s’oppose pas aux « sciences naturelles », car elle n’est pas conçue pour violer les lois naturelles. Au contraire, elle est constamment en adaptation pour répondre aux besoins et aux objectifs de l’humain. Ainsi, l’auteur préfère qualifier le terme d’« artificiel » en l’associant à l’« art » et spécifie quatre aspects pour saisir son sens :

 

1. Artificial things are synthesized (though not always or usually with full forethought) by human beings. 2. Artificial things may imitate appearances in natural things while lacking, in one or many respects, the reality of the latter. 3. Artificial things can be characterized in terms of functions, goals, adaptation. 4. Artificial things are often discussed, particularly when they are being designed, in terms of imperatives as well as descriptives (Herbert, 1996/1969, p. 5)

 

Frécon & Kazar (2009, p. 1) proposent une notion plus restreinte de l’intelligence qui se focalise notamment sur la capacité de « résolution de problème », les auteurs classifient quatre niveaux de manifestations de l’intelligence : la compréhension d’une situation, l’application d’un cadre de raisonnement fourni dans la résolution d’un problème, la vérification d’un système de raisonnement établi ou la création d’un nouveau cadre, ainsi que la résolution de problèmes dans des conditions en constante évolution. 

 

Selon Tisseau (2020/1996), l’IA est « un système possède une certaine structure, et il est parcouru par des flux de matière, d’énergie et d’information. Il est soumis à des mécanismes internes qui lui permettent de remplir certaines fonctions » (Tisseau, 2020/1996, p. 26). Cela signifie que L’IA comme l’intelligence humaine est un système général qui se compose de plusieurs systèmes assumant respectivement de diverses fonctions pour assurer la performance du sujet. D’après l’auteur, ce qui distingue l’IA des autres programmes informatiques classiques, c’est son système heuristique, qui met l’accent sur la capacité d’apprentissage et de découverte. Tout comme chez l’être humain, l’IA dispose également de deux types de connaissances : les connaissances déclaratives et les connaissances procédurales. Comme le précise l’auteur, « une partie de leurs connaissances est stockée sous forme explicite, comme dans un livre, et une autre partie sous forme de programmes capables d’effectuer certaines tâches » (Tisseau, 2020/1996, p. 94). Cependant, malgré le fait que le système d’IA dispose d’une grande quantité de connaissances dans ces deux types, il rencontre encore des contraintes dans l’assimilation de certaines connaissances « non dites » et « non écrites », comme l’illustré l’auteur : « mais même si toutes les connaissances étaient formulées dans des livres, il ne suffirait pas de les transférer directement dans les ordinateurs pour que ceux-ci les comprennent et sachent les utiliser » (Tisseau, 2020/1996, p. 97). En ce sens, Diallo (2023) affirme que ChatGPT n’est pas intelligent et qu’il est encore loin d’être créatif : 

Il n’est qu’un outil capable de rassembler en un temps record des données ciblées et d’en faire une synthèse selon la fréquence de leur apparition sur le web. Il s’appuie sur l’opinion la plus répandue (mainstream) et passe à côté des nuances, des opinions minoritaires et des controverses scientifiques (Diallo, 2023, p. 10)

Ce point de vue se confirme dans l’analyse suivante de la manière dont ChatGPT génère des dialogues. 

 

4Analyse 

Dans cette partie, nous mettrons en évidence les principaux aspects de l’interaction entre l’enseignante et ChatGPT, tout en soulignant les rôles joués par ChatGPT dans ce processus de l’élaboration de nos tâches d’étude, ainsi que leur impact sur l’achèvement du programme final. Une analyse du dialogue généré par ChatGPT sera également présentée pour attirer notre attention sur certains points à considérer lorsqu’on souhaite utiliser ces dialogues à des fins pédagogiques.

 

4.1. Évaluation de la faisabilité de la tâche avec ChatGPT

La première séquence interactionnelle entre l’enseignante et ChatGPT commence par une demande explicite de l’enseignante. Elle présente les deux tâches qu’elle a initialement conçues, en fournissant les consignes (élaborer un dialogue basé sur les situations de communication données), le contexte (dans le train lors de la migration du Nouvel An chinois), les rôles (A & B) et les sujets de conflit. En ce qui concerne la forme de présentation, l’enseignante adopte un style structuré, en numérotant les deux scènes, en spécifiant les rôles A et B, tout en utilisant une ponctuation appropriée. ChatGPT respecte les consignes de l’enseignante et génère deux dialogues, chacun comprenant généralement trois paires adjacentes : 

Enseignante 1 (E1)

根据下面情景编对话: 背景:在春运的火车上。

1. 打电话。

A: 正在车厢里打电话,而且声音特别大。

B: 声音打扰到他休息,希望对方声音小一点,或者去过道里打。

 

2. 座位。

 

A希望和她的朋友坐在一起,所以想和你换座位,但是你不想换,因为她的座位不靠窗户,你想坐在靠窗的位置。

 

ChatGPT 2 (C2)

情景1:在火车车厢里打电话

A1 : 喂,你好,我在车厢里,你能听见吗?

B2 : 能听见,但你的声音太大了,有点吵到我休息了。

A3 : 哦,抱歉啊,我没注意到。这样好一点吗?

B4 : 嗯,小点声吧,或者你能不能到过道里打电话?

A5 : 过道里可能信号不太好,我就在这里打一下,小点声。

B6 : 谢谢,那就好。

 

情景2:换座位问题

A1 : 嗨,你好,我是在旁边的座位上的,不知道能不能和你换个座位?

B2 : 哦,你好。为什么要换座位呢?

A3 : 我和我的朋友一起来的,她在车厢另一头,我们想坐在一起聊天。

B4 : 噢,抱歉,但是我比较喜欢坐在靠窗的位置,这个座位离窗户挺近的。

A5 : 哦,我理解。可是我朋友更喜欢靠窗的位置,你能不能让一下呢?

B6 : 抱歉啊,我真的喜欢这个座位,离窗户近,风景好。能不能找其他人换呢?

A7 : 好吧,我看看还有没有其他人愿意换。谢谢你的理解。

 

Au niveau de la forme, la réponse de ChatGPT (C2) présente un style bien élaboré, voire amélioré, avec l’ajout du titre « 情景 » (qíngjǐng, situation de communication) et un enrichissement de celui-ci, par exemple, « 在火车车厢里打电话 » (zài huǒchē chēxiāng lǐ dǎ diànhuà, téléphoner dans le wagon du train ) plutôt que simplement « 打电话 » (dǎ diànhuà). Sur le plan du contenu, dans le premier dialogue, il apporte de nouvelles informations, notamment la raison pour laquelle A ne souhaite pas sortir dans le couloir pour passer son appel en raison d’une mauvaise réception du signal. Pour le deuxième dialogue, ChatGPT fournit également des détails supplémentaires en précisant la position de A et celle de son amie, située à l’autre bout du wagon, ainsi que la raison pour laquelle A souhaite changer de place pour discuter avec son amie, tandis que B préfère ne pas changer de siège pour pouvoir admirer le paysage à travers la fenêtre.

 

Ces propositions de dialogues simulés permettront à l’enseignante d’envisager la structure du dialogue que les apprenants pourraient réaliser, ainsi que les informations qui pourraient y être abordées. L’élaboration de ce programme étant à un stade préliminaire, il est essentiel pour l’enseignante de pouvoir vérifier la faisabilité de la tâche afin d’en garantir la pertinence. Cela permet ensuite aux apprenants d’initier leur propre dialogue sur le sujet proposé. 

 

Il convient maintenant d’examiner quelques caractéristiques de ces dialogues générées par ChatGPT. Dans le premier dialogue, nous remarquons une confusion de l’interlocuteur dans la première paire adjacente. Lorsque A passe l’appel en demandant au destinataire de l’appel « 你能听见吗 ? » (Nǐ néng tīngjiàn ma ? Tu mentends ?), c’est B qui fournit une réponse affirmative « 能听见 » (néng tīngjiàn, oui), puis B exprime son mécontentement, ce qui montre une incohérence discursive. Dans le deuxième dialogue, en A5, A tente d’imposer sa demande à B en exprimant directement « 你能不能让一下呢 ? » (Nǐ néng bu néng ràng yíxià ne ? Peux-tu céder la place ou pas ?), ce qui montre un caractère agressif et ne correspond pas aux principes de communication. 

 

Par ailleurs, nous observons que, afin de renforcer les caractéristiques d’oralité au sein des dialogues, ChatGPT s’efforce d’utiliser de manière rigide des régulateurs, ce qui n’est parfois pas du tout adapté à la situation de communication, tels que «  » (ò, comme « ok » ou « oui » en français pour exprimer un accord ou manifester une attitude sceptique), «  » (èn, comme « hm » en français pour indiquer un accord), «  » (ō, utilisé pour indiquer un moment où l’on réalise soudainement quelque chose ou exprimer un certain d’étonnement). Par exemple, dans le deuxième dialogue, en B2, B répond à la salutation de A par « 你好 » (nǐhǎo, bonjour), mais il est précédé d’un régulateur «  » (ò), au lieu de lui répondre directement par « 你好 ». De plus, concernant la forme linguistique, il arrive parfois que des formulations inhabituelles, voire agrammaticales et redondantes, se présentent comme en A1 dans la deuxième situation de communication, avec « 我是在旁边的座位上的 » (Wǒ shì zài pángbiān de zuòwèi shàng de), au lieu d’une formulation plus concise et précise, telle que « 我坐在旁边 » (Wǒ zuòzài pángbiān, je suis assise à côté). 

 

Après avoir présenté certaines caractéristiques essentielles des dialogues générés par ChatGPT, nous pouvons maintenant revenir à l’objectif principal de l’enseignante, qui cherche avant tout à obtenir une vue d’ensemble du « produit final ». Étant donné que le dialogue généré n’est pas assez long, l’enseignante (E3) poursuit sa demande en insistant sur la nécessité de se concentrer sur les conflits :

Enseignante 3 (E3)

如果结果是冲突呢

 

ChatGPT 4 (C4)

情景1:在火车车厢里打电话

A1 : 喂,你好,我在车厢里,你能听见吗?

B2 : 能听见,但你的声音太大了,有点吵到我休息了。

A3 : 哦,抱歉啊,我没注意到。这样好一点吗?

B4 : 小点声吧,或者你能不能到过道里打电话?

A5 : 过道里可能信号不太好,我就在这里打一下,小点声。

B6 : 你就不能注意一下吗?真的很影响休息。

A7 : 我也是有事情要处理,没办法,你能不能忍一下?

B8 : 唉,好吧,但尽量别太吵。

 

情景2:换座位问题

A1 : 嗨,你好,我是在旁边的座位上的,不知道能不能和你换个座位?

B2 : 哦,你好。为什么要换座位呢?

A3 : 我和我的朋友一起来的,她在车厢另一头,我们想坐在一起聊天。

B4 : 噢,抱歉,但是我比较喜欢坐在靠窗的位置,这个座位离窗户挺近的。

A5 : 可是我朋友更喜欢靠窗的位置,你能不能让一下呢?

B6 : 不行,我就是喜欢这个座位。找别人换吧。

A7 : 真的没有其他办法吗?我们真的很想在一起坐。

B8 : 对不起,我不想换座位,你们找别的解决办法吧。

在冲突的情况下,双方可能会产生一些不满和矛盾,但也可以通过理性沟通和尊重对方的意见来寻找解决方案。

Dans le premier dialogue, en se basant sur les dialogues déjà générés en C2, ChatGPT rajoute une paire adjacente, comme illustré en B6 et A7. Après avoir montré les efforts que A5 va faire en parlant un peu moins fort, en B6, il insiste sur le fait qu’il doit faire attention, car cela influence réellement son repos. A7 répond qu’il a des affaires à traiter, donc il n’a pas le choix et termine par « 你能不能忍一下 ?» (Nǐ néng bu néng rěn yíxià ? Peux-tu tolérer un peu ou pas ?). Le style discursif de cette paire montre son agressivité. Ensuite, en B8, le locuteur marque son acceptation. Durant ce processus, nous constatons fortement un caractère « artificiel » qui ne correspond pas à la manière habituelle de mener une conversation, en raison de son style discursif et de la façon dont la thématique se développe. Par ailleurs, il est à noter qu’à la fin de son tour, ChatGPT identifie qu’il s’agit d’une situation conflictuelle qui risque de violer ses principes éthiques. Par conséquent, il souligne les attitudes encouragées face aux conflits afin de les éviter autant que possible.

 

Bien que la qualité du dialogue soit médiocre, celui-ci illustre néanmoins comment une conversation conflictuelle pourrait se dérouler, en mettant en évidence ses points de tension et les structures discursives que les apprenants pourront développer lors de la phase de réalisation des tâches. Cela répond à la demande initiale de l’enseignante, qui souhaitait obtenir un aperçu global du déroulement de ce type de conversation afin d’évaluer la faisabilité et la pertinence des tâches proposées. 

 

4.2. ChatGPT : un partenaire pour la contribution de nouvelles connaissances et une source d’inspiration

L’enseignante a besoin de 7 sujets qui traitent des points conflictuels dans le contexte du train, afin de les attribuer aux 7 groupes de binômes, ce qui constitue une demande quantifiée d’exemples. Ainsi, dans la suite de l’échange, en E5, elle demande explicitement à ChatGPT de fournir d’autres exemples. En réponse, ChatGPT (C6) adopte le même modèle de présentation, numérote les différentes scènes et respecte scrupuleusement les consignes initiales pour générer des dialogues : 

 

Enseignante 5 (E5) 

还有什么其它冲突性的例子在火车上

 

ChatGPT 6 (C6) 

情景3:音量冲突

A1 : 你好,能不能把音乐的声音调小一点?太大声了。

B2 : 哦,抱歉啊,我没注意。这样可以吗?

A3 : 还是有点大,能不能再小一些?

B4 : 好吧,这样可以了吗?

A5 : 嗯,好了,谢谢。

 

情景4:空间冲突

A1 : 不好意思,能否把你的行李往一边移一下?我的包放不下了。

B2 : 啊,这里挤不下了。你看能不能找别的地方放?

A3 : 我找了很久了,这是唯一一个位置了。你能不能挪一下?

B4 : 我也没地方放,你看你能不能把行李塞到其他地方?

A5 : 好吧,我再找找看。

在火车上,由于空间有限和乘客众多,有时候会发生音量、座位和行李等方面的冲突。解决这些冲突的关键是通过礼貌的沟通,尽量达成双方都能接受的妥协。

 

Nous remarquons que ChatGPT propose deux scènes conflictuelles : l’une concerne le volume de la musique, tandis que l’autre aborde le problème d’espace lié au rangement des valises. À la fin de l’échange, il résume brièvement les points essentiels des conflits potentiels dans le train et mentionne également d’autres aspects, tels que le problème de siège. De plus, il rappelle systématiquement les règles éthiques à respecter pour éviter les conflits. 

 

À partir de la réponse (C6), l’enseignante filtre les informations et sélectionne celles qui correspondent à ses objectifs d’enseignement/apprentissage. Vu que le sujet de volume liée à la musique est similaire au premier sujet de la tâche concernant le volume de la conversation téléphonique dans le train, l’enseignante l’élimine afin d’éviter une répétition de sujets. Toutefois, le conflit lié au rangement des valises retient particulièrement l’attention de l’enseignante, ce qui représente une nouvelle contribution dans l’élaboration de son programme. Ainsi, en E7, l’enseignante souhaite voir le déroulement de ce dialogue et lui demande simplement « problème de valise » : 

Enseignante 7 (E7)

3. 行李问题。

 

ChatGPT 8 (C8)

情景3:行李冲突

A1: 你好,不好意思,能麻烦你往一边挪挪行李吗?我的行李放不下了。

B2: 啊,这里真的很挤,我也没法再往一边移了。

A3: 我理解,可是我这边也没有别的地方可以放行李了。

B4: 唉,也是,这火车上的空间确实有限。

A5: 你看能不能调整一下,也让其他人方便一些?

B6: 我也是想找个舒服点的位置放行李,不过这里真的不好找。

A7: 对不起,我也不是有意找麻烦的,只是实在没有地方放了。

B8: 行了行了,我挪挪看,但是这是有限度的。

在行李问题上,很容易因为空间有限而引起冲突。尽量通过理解对方的立场,共同探讨解决方案,避免产生过多的紧张气氛。

 

En réponse, ChatGPT développe un dialogue relativement plus long, qui comprend quatre paires adjacentes, contre deux dans les dialogues précédents. Malgré sa longueur, le contenu présente toujours une certaine « redondance » dans le développement thématique, ainsi que des usages inappropriés et inhabituels dans le style discursif et les formes linguistiques, comme mentionné précédemment. Ensuite, en comparant avec le programme final, nous remarquons que le sujet 3 de la tâche s’inspire du thème de l’exemple concernant le problème des valises. Néanmoins, l’enseignante a modifié le point conflictuel au lieu de suivre la proposition de ChatGPT, qui présente A demandant à B de lui accorder plus de place pour ranger ses valises. Elle a précisé que A a trop de valises et occupe trop d’espace, ce qui rend B inconfortable, comme illustré ci-dessous : 

 

Programme final (Annexe 1)

3. 行李。A的行李很多,占了你的座位空间,挤得你很不舒服。

 

Cette modification de contenu résulte du fait que l’expérience personnelle de l’enseignante dans le train, qui révèle une certaine fréquence de conflits, conduit à une évaluation selon laquelle sa valeur communicationnelle est plus élevée

 

Par la suite, l’enseignante (E9) continue de solliciter ChatGPT pour qu’il fournisse d’autres exemples du même type. Dans ce contexte, ChatGPT propose cette fois-ci cinq thèmes. Cela montre qu’une consigne d’élicitation tout au long de l’échange est nécessaire pour obtenir une production plus variée. Les sujets proposés par ChatGPT portent sur : l’ajustement du siège, l’odeur, la température, le volume des conversations et l’occupation des places assises. À partir de cette réponse, nous constatons que dans le programme final de l’enseignante, elle a conservé les sujets de l’ajustement du siège et de l’odeur. 

 

Enseignante 9 (E9)

还有其他在火车上容易发生冲突的例子吗?

 

ChatGPT 10 (C10)

当在火车上有限的空间里,乘客们可能会面临各种潜在冲突。以下是一些可能发生的情景:

座位倾向冲突:

A: "嗨,你能不能不要把腿伸得那么远?我的腿都没地方放了。"

B: "我也没办法,座位太挤了,我只能这样坐。"

气味冲突:

A: "不好意思,你能不能不要吃这么味道重的东西吗?有点受不了。"

B: "哦,真的吗?抱歉,我没想到会影响到别人。"

温度冲突:

A: "车里怎么这么冷啊,你能不能不要打开窗户?"

B: "我反而觉得有点闷,开窗户通通风好吗?"

对话声音冲突:

A: "你们说话能小声点吗?我在这边睡觉呢。"

B: "抱歉,我们只是想聊聊天,没想到会吵到你。"

座位争夺冲突:

A: "这是我的座位,你怎么可以坐在这里?"

B: "哦,不好意思,我看到这里没人就坐下了,你没放个东西占位啊。"

在这些情况下,理性沟通和互相尊重是解决冲突的关键。尽量以礼貌的方式表达自己的需求,同时也要考虑到其他人的感受和需求。

 

Programme final (Annexe 1)

5. 调椅背。A坐在你前面,他希望自己能有更多空间,所以他把椅背向后调了很多,挤得你没地方了。 

6. 吃东西。A在吃味道很大的东西,让你实在受不了。

 

Concernant le sujet de l’odeur, elle a conservé le même point conflictuel, qui est considéré comme courant dans la vie quotidienne. Quant au conflit du siège, la proposition de ChatGPT a rappelé à l’enseignante des situations similaires qu’elle a rencontrées dans sa propre vie quotidienne : certaines personnes sont dérangées par celles qui s’assoient devant et inclinent leur siège sans demander l’avis de l’autre, un scénario qui se produit plus fréquemment que celui proposé par ChatGPT. Rappelons que la conception de ce type de tâche s’inscrit dans une perspective communicationnelle, l’enseignante souhaite encourager les apprenants à s’exprimer davantage à travers cette tâche. Ainsi, il est essentiel de respecter le principe de familiarité dans sa conception. Durant ce processus, nous observons que l’enseignante s’inspire initialement des exemples donnés par ChatGPT. Ce dernier lui permet de faire un rappel de mémoire des éléments liés, puis elle évalue la pertinence de ces exemples en fonction de ses objectifs didactiques préétablis et de ses connaissances générales. Enfin, elle crée le sujet 5 qui lui parait plus approprié et bénéfique pour les apprenants. L’accompagnement de ChatGPT permet à l’enseignante de rappeler progressivement des témoignages relatifs et de créer les deux autres sujets de manière indépendante : l’un concerne la peur de l’animal de compagnie, et l’autre concerne des bruits générés par un groupe de jeunes jouant aux cartes : 

Programme final (Annexe 1)

4. 宠物。A带着他的宠物狗坐火车。可是你很害怕狗。

7. 玩牌。一群学生在玩牌,他们一边玩一边聊天,声音特别大,影响到你休息了。

 

En effet, la plupart de ces scènes conflictuelles sont issues de véritables témoignages tirés de l’expérience personnelle de l’enseignante. Avec l’utilisation de ChatGPT, elle a pu se rappeler ces moments liés et évaluer leur pertinence dans la mise en œuvre de ces tâches, ce qui lui a permis également de gagner en efficacité dans son travail d’élaboration.

 

Dans la poursuite de l’échange, l’enseignante souhaite obtenir un aperçu global du déroulement du dialogue concernant le sujet 7. Ainsi, en E11, elle sollicite explicitement ChatGPT en lui donnant une consigne claire : « développer un long dialogue » en suivant la scène de communication proposée :

 

Enseignante 11 (E11)

发展一个长对话: 7.      玩牌。一群学生在玩牌,他们一边玩一边聊天,声音特别大,影响到你休息了。

 

ChatGPT 12 (C12)

A1: 喂,大家好!这把扑克太刺激了!

B2: 嗯,没错,这局真是精彩。你看我这手牌...

C3: 哈哈,别说了,我手气一直不好。不过今天大家真是热闹!

A4: 对啊,这种时候聚在一起玩牌最开心了!

D5: 不好意思,打扰一下。能不能小声点?我正在休息呢。

A6: 哦,抱歉啊,没有注意到。我们就是兴奋地玩牌,影响到你了吗?

D7: 是啊,声音太大了,很影响休息。

B8: 不好意思,我们确实有点太high了。要不我们稍微调整一下音量?

D9: 谢谢,那就好。

C10: 没事,没事,我们以后小声点。继续玩吧!

A11: 哈哈,好的,继续!这把我可是要赢回来。

在这个对话中,D以一种礼貌的方式提醒其他人他正在休息,而ABC也都表示了理解,并愿意调整音量,以维护和谐的氛围。这样的沟通可以有效地解决问题,保持友好关系。

 

Enseignante 13 (E13)

更长一点的

 

ChatGPT 14 (C14)

A1: 大家好!今天真是个好日子,玩牌的氛围特别好啊!

B2: 是啊,这把斗志昂扬,谁也不肯轻易认输!

C3: 哈哈,就是,这群人都超有趣,让人忍不住狂笑。

A4: 我们这是打得不亦乐乎啊!这是我这个月最开心的一天了。

D5: 不好意思,打扰一下。你们玩得太high了,能不能稍微小声一点?我正想休息呢。

A6: 哦,抱歉啊,没有注意到。我们确实声音大了点。

B7: 哎呀,真是不好意思,没想到会影响到你。我们稍微收敛一下声音。

D8: 谢谢,我真的需要休息一下。你们可以继续玩,只是尽量别太吵就好。

C9: 没问题,我们知道了。你先休息,我们悄悄地玩。

A10: 当然,我们会注意的。休息好了别忘了回来,我们还有很多好玩的牌局。

D11: 好的,谢谢你们的理解。

在这个对话中,D表达了自己的需求,而其他人则以友好的态度回应,并表示会调整音量,保证不再打扰到D的休息。这种沟通方式有助于维护团体关系的和谐。

 

Afin de prolonger la longueur du dialogue, nous constatons que ChatGPT crée quatre rôles tout en respectant le contexte d’un groupe d’étudiants. Le premier dialogue comprend au total 11 tours de parole. Par la suite, l’enseignante (E13) lui demande de développer un dialogue encore plus long. Cependant, ChatGPT n’a ni étendu le nombre de tours de parole, ni ajouté de nouvelles informations pour enrichir la thématique du dialogue. En revanche, il introduit des mots plus formels, tels que « 斗志昂扬 » (dòuzhì ángyáng, plein de combativité), « 不亦乐乎 » (bú yì lè hū, s’amuser énormément), « 收敛 » (shōuliǎn, se retenir), etc. Cela donne un style discursif moins naturel et réduit l’oralité du dialogue. De plus, comme le montrent A10 et D11, bien que D ne fasse pas partie de leur groupe, il intervient en tant que voisin pour exprimer son mécontentement, tandis qu’A l’invite à jouer après s’être bien reposé. Cela entraîne une confusion concernant le destinataire et crée une incohérence logique dans le développement de la conversation.

 

Conclusion

À travers cette analyse, on aperçoit que l’enseignante occupe une position centrale en tant que « commandante » et « juge » au cours de l’interaction. Parmi les exemples de mots sélectionnés pour illustrer ses activités cognitives figurent : demander, filtrer, sélectionner, modifier, conserver, s’inspirer de, évaluer, créer, etc. En revanche, le ChatGPT assume notamment un rôle de partenaire de contribution et de source d’inspiration pour aider l’enseignante à évaluer et enrichir le programme, notamment en répondant à des demandes quantitatives. Cela lui permet de gagner en efficacité dans la finalisation de l’élaboration du programme d’enseignement. En ce qui concerne le fond du sujet proposé, il est crucial de toujours évaluer sa valeur communicationnelle (par exemple, cela peut-il refléter les intentions des locuteurs ? Est-il courant dans la vie quotidienne ?) ainsi que sa valeur didactique (correspond-il à nos objectifs d’apprentissage ?). Les modifications apportées entre ce que ChatGPT a proposé et ce que l’enseignante a retenu dans le programme final reflètent ce processus de réflexion. 

 

Comme nous l’avons constaté, la qualité du dialogue généré présente plusieurs problèmes, notamment des contradictions et des usages linguistiques inappropriés. Cela découle du fait que le système d’IA ne possède pas la capacité optimale pour détecter les connaissances implicites, ce qui entraîne parfois des résultats insatisfaisants. Dans notre programme d’étude, le dialogue généré par ChatGPT remplit principalement une fonction « informative ». Néanmoins, il peut également servir de « modèle » dans la phase post-tâche, lorsque des retours linguistiques sont fournis aux apprenants sur leurs réalisations. À ce moment-là, il est également pertinent de leur présenter ces dialogues afin de mettre en évidence des expressions pertinentes ou des points argumentatifs nouveaux. C’est pourquoi il est essentiel pour les enseignants d’adopter une attitude prudente et de veiller à la qualité des dialogues générés lorsqu’ils sont utilisés comme modèles à des fins pédagogiques.

 

Annexe 1 Programme final

两两一组,选择下面的主题之一,准备一个三分钟的对话。背景:在春运的火车上。

  1. 打电话。打电话的声音特别大,打扰到了你休息。

  2. 座位。A希望和她的朋友坐在一起,所以想和你换座位,但是你不想换。

  3. 行李。A的行李很多,占了你的座位空间,挤得你很不舒服。

  4. 宠物。A带着他的宠物狗坐火车。可是你很害怕狗。

  5. 调椅背。A坐在你前面,他希望自己能有更多空间,所以他把椅背向后调了很多,挤得你没地方了。 

  6. 吃东西。A在吃味道很大的东西,让你实在受不了。

  7. 玩牌。一群学生在玩牌,他们一边玩一边聊天,声音特别大,影响到你休息了。

 

 

 

Références

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TISSEAU Gérard, 2020/1996, Intelligence artificielle : Problèmes et méthodes, Société FeniXX, Paris, p. 26, 94, 97. 


 


 

26 mai 2025
Un article de référence revisité : Le conflit territorial écrit-oral dans les manuels de chinois : annexion, autonomie, sécession ? (1996)
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Joël Bellassen (Université Paris 7)

 

 

1

Nous nous proposons d'abord de faire une brève présentation des différents manuels de chinois élémentaire utilisés au sein du département de chinois de l'Université depuis 1970 afin, dans un deuxième temps, d'exposer un certain nombre de remarques relatives aux principes de rédaction qui régissent les manuels de chinois langue étrangère. Notre objectif à terme serait de mettre en place une grille d'évaluation qui prendrait la mesure des manuels de chinois au regard des critères fondamentaux que sont la relation entre le caractère et le mot d'une part, et la relation entre la langue orale et la langue graphique d'autre part.

 

• De 1970 à 1973 fut utilisé le manuel américain Speak Mandarin (Fenn et Tewksbvry, 1967), qui présentait l'avantage de privilégier l'approche communicationnelle et pratique ;  l'exposition en anglais des notions grammaticales et du vocabulaire ne fut pas sans poser problème pour les utilisateurs d'alors. L'utilisation pédagogique qui en était faite était la suivante : les étudiants ne devaient pas dans un premier temps être au contact des caractères ou de la transcription pinyin ; le français était autant que possible proscrit ; chaque phrase était présentée à l'aide d'un grand dessin, conçu au préalable par l'enseignant. En cours, celui-ci devait se transformer en un véritable acteur, voire en mime, et il devait de surcroît apporter tout un nécessaire d'objets quotidiens. Lors de l'enseignement des caractères, l'idée de ne pas recourir dès le début à la transcription était motivée par la volonté de développer la capacité de perception usuelle immédiate en chinois. On peut ainsi porter remède à la lenteur de compréhension résultant du fait de penser d'abord à la transcription, puis à la signification d'un signe et enfin seulement à la graphie du caractère. La pédagogie de classe pratiquée alors était la méthode directe, comme pour l'enseignement des autres langues étrangères, à laquelle était associée cependant la familiarisation avec la spécificité de l'écriture chinoise.

 

• De 1973 à 1986, le manuel utilisé fut, de façon discontinue, Le Chinois fondamental (Beijing, 1971) et Le Manuel de Chinois fondamental (Beijing, 1980). L'exposition détaillée et complète de la phonétique fut à l'époque et par la suite une qualité reconnue de cette méthode. La plupart des enseignants en France se sont accordés généralement à dire que le contenu des leçons de ce manuel (comme au demeurant du Manuel de Chinois pratique) était monotone, peu pratique, et que les explications grammaticales laissaient les apprenants perplexes. A partir du moment où ont été utilisés des manuels considérant le caractère comme unité fondamentale, un bon nombre d'enseignants et d'étudiants ont été conforté dans l'idée que les manuels de Chine continentale n'accordent pas au caractère la place qu'il mérite. Quant aux cassettes du Chinois fondamental, comme la plupart des cassettes de manuels, elles ne comprennent que l'enregistrement des leçons, au détriment de la pratique vivante du chinois. Enfin, la progression pédagogique de ces manuels convient à ceux pour qui elle a été conçue, à savoir les étudiants étrangers qui entreprennent des études intensives en Chine, à raison de plusieurs heures de cours par jour.

 

• La Méthode audio-visuelle (Li et al., 1974), principal manuel utilisé entre 1977 et 1986, a été une des premières méthodes de chinois publiées officiellement en France. Cet ouvrage, qui comprend plusieurs volumes (« Caractères », « Pinyin », « Grammaire », « Vocabulaire » et « Illustrations ») a été le fruit d'une collaboration entre des enseignants français et des enseignants chinois établis depuis de nombreuses années en France. L'originalité de ce manuel réside dans le fait d'associer à chaque phrase une diapositive. Le choix de ce manuel à l'Université Paris 7 reflétait l'importance accordée à partir de cette époque dans l'enseignement des langues étrangères à l'expression orale.

 

• La « Méthode programmée du chinois moderne », conçue principalement par Nicolas Lyssenko de l’Université Paris 7 (Lyssenko & Weurlesse, 1986), particulièrement compétent dans le domaine de la grammatologie sinographique, a été utilisée de 1986 à 1990. La ligne directrice de cette méthode est l'assimilation d'un nombre maximum de caractères sur une courte durée en prenant comme seule unité linguistico-pédagogique le caractère : les caractères et les mots composés sont sélectionnés indépendamment de leur taux de fréquence. A partir des clés et des pictogrammes sont générés des caractères résultant de leur composition graphique. Apprendre les caractères à partir de leur forme primitive et de leur structure est non seulement bénéfique d'un point de vue mnémotechnique, mais entretient et accroît la motivation des étudiants. Cependant, une telle méthode n'est pas sans soulever certains problèmes. Ainsi, et dans le but de faire mémoriser des caractères fondamentaux, les personnages des leçons se sont vus affublés de noms tels que 皮及殳、木爿片ou行彳亍 ... Ce manuel a été inévitablement conduit à exposer des caractères ou des mots très rares. Ce manuel a été publié sans volume de grammaire, avec seulement des modèles de phrases, non accompagnés de notes en français. Tout procédant du caractère isolé, la confection des leçons consiste à insérer autant que faire se peut tous les nouveaux caractères dans un nombre réduit de phrases peu utilisables au quotidien. Cependant, et à la différence des manuels de Chine continentale, il convient de saluer le fait que les auteurs de cette méthode ont repéré le conflit entre langue orale et langue graphique en chinois.

 

 

•  De 1990 jusqu'à aujourd'hui, la Méthode d'initiation à la langue et à l'écriture chinoises (Bellassen & Zhang, 1989) est le manuel en usage à l'Université Paris 7. S'il relève également de la conception dite de la « primauté du caractère », il diffère de la méthode de N. Lyssenko en ce qu'il accorde de l'importance à la fréquence des caractères et des mots, et qu'il satisfait les attentes des apprenants en matière de lexique utile dans la vie quotidienne. La particularité de cette méthode réside dans le fait qu'elle traite sous tous ses aspects les caractères, considérés comme unité fondamentale de l'enseignement du chinois : fréquence, génération de mots composés à l'aide de caractères déjà appris, origine et structure des caractères, graphie manuscrite, etc.

 

2

 

L'enseignement du chinois langue étrangère connaît un essor considérable, tant du point de vue de la pratique même de l'enseignement que sur un plan plus général : des manuels en grand nombre, des associations de spécialistes ayant pour objet la promotion du chinois existent dans de nombreux pays, et des professeurs spécialisés dans cette discipline sont formés. Cependant, du point de vue  didactique, et notamment en ce qui concerne le problème crucial que sont les principes qui président à la rédaction des manuels de chinois langue étrangère, nous considérons que cette discipline est face à une crise. Bien qu'ils se soient améliorés sur certains points, la plupart des manuels ne se sont pas emparés de la question de fond de l'enseignement du chinois. (quel parti prendre face à l'unité linguistique qu'est le caractère). De ce fait on peut considérer que l'enseignement du chinois se trouve toujours dans un état d'arriération.

 

Si la langue est magnifiée dès les premières lignes de l'Ancien Testament, étroitement associée à la puissance divine et au mystère de la création, les problèmes relatifs à la langue et à l'écriture semblent, depuis toujours, être souvent marqués du sceau du désordre, du dérèglement, du conflit. Avec la tour de Babel, la diversité des langues est présentée une punition divine et Michel Foucault dira même que c'est la transparence du langage, son adéquation aux choses, qui y fut détruite (Foucauld, 1966, p. 51-52). Plus près du sujet qui nous occupe, certains penseurs ont vu dans le langage le théâtre d'altérations : chez Wittgenstein, « le langage travestit la pensée » (Wittgenstein, 1971, p. 81) ; pour J.-J. Rousseau, c'est l'écriture, en substituant l'exactitude à l'expression, qui « altère » la langue (Rousseau, 1976).

 

La tradition chinoise rapporte que « jadis, lorsque Cangjie inventa l'écriture, les diables en pleurèrent toute la nuit ». Avaient-ils une vue prémonitoire des tracas que poserait aux enseignants de chinois de par le monde l'écart, la disjonction introduite à jamais entre la langue chinoise et son écriture ? Le texte ne le dit pas. La nature de l'écriture chinoise est pourtant bien la source de ce qu'il convient à nos yeux d'appeler la crise de la pédagogie du chinois. Et il n'y a rien d'étonnant à cela, tant le dispositif de la langue chinoise comme objet d'enseignement s'apparente à un conflit territorial, avec son historique, ses forces en présence, ses stratégies, ses cartes topographiques (les manuels), ses  tentatives de solution.

 

Un certain nombre de linguistes ont vu jusqu'à un certain degré l'inadéquation des concepts hérités de l'analyse des langues indo-européennes pour décrire la langue chinoise. Zhu Dexi décrivait ce phénomène comme le fait de « plaquer ce que possèdent les langues indo-européennes sur ce que ne possède pas la langue chinoise » (Zhu, 1985). 

 

Par exemple, faut-il accorder un statut au mot et si oui lequel, a été ainsi une des questions les plus débattues depuis l'émergence linguistique chinoise. « Produit apporté par navire de haute mer », la notion de « mot » apparaît dans le Mashi wentong qui utilise les deux notions de caractère et de mot, la première désignée comme unité structurelle, l'autre renvoyant à la fonction de cette unité. C'est avec Li Jinxi (Li, 1924, p. 2-3) que le cordon ombilical sera coupé dans le sens d'un rejet de la notion de caractère dans l'analyse de la grammaire chinoise. La notion de morphème fut mise ensuite en avant pour désigner l'unité minimale de la langue chinoise ; un point de vue proche établit une adéquation terme à terme entre caractère et morphème, négligeant la simplicité de la fonction d'un morphème face au véritable creuset phonétique, lexical, sémantique et grammatical que représente le caractère et renvoyant au passage l'écorce matérielle du caractère au rang des accessoires.

 

Alors que Zhao Yuanren dit ne pas trouver de correspondant exact de la notion de mot dans la langue chinoise, Xu Tongqiang (1994) n'y voit qu'une unité dérivée : pas de « mot » sans caractère. Il est manifeste d'autre part qu'une définition pertinente et permanente du mot en chinois est difficile à donner : en deçà de ce qu'il est convenu d'appeler un mot, des caractères généralement considérés comme des « non-mots », tels que国、男ou , peuvent se trouver être employés de façon relativement indépendante (北欧三国、一男一女、院领导) ; inversement, au-delà d'une dissyllabe (中华民国ou 欧共体), la frontière entre mot et groupe de mots est difficile à tracer.

 

Si l'on affronte la question de la didactique du chinois langue seconde, la question qu'il est impératif de se poser est la suivante : quelle est l'unité fondamentale, l'élément constitutif minimal du chinois en tant que langue enseignée ? Pour répondre à cette question à cette question d'un point de vue spécifiquement pédagogique, une autre question, apparemment dénuée de sens : qu'enseigne-t-on ? La langue ! dira-t-on ; pourquoi tourner autour du pot ? Là est bien le problème : de quel pot parle-t-on ? N'y a-t-il pas en l'occurrence deux pots ?

 

L'unité linguistico-pédagogique fondamentale du chinois sera-t-elle le morphème, le mot, le groupe de mots, la phrase ?

 

Nous opterons quant à nous pour le sinogramme : son écorce matérielle graphique (la face graphique est incontestablement un des objectifs pédagogiques majeurs d'un enseignement généraliste du chinois ; elle est d’autre part porteuse d'informations permettant d'orienter l'apprenant sur la prononciation ou la signification) + son ou ses faisceaux de sens + sa ou ses syllabes tonalisées.

 

Envisageant les perspectives en matière de rédaction de manuels de chinois, Liu Xun (1994) reconnaît la prédominance de la primauté accordée au signe dans les manuels conçus par des Occidentaux face aux manuels de Chine continentale reposant sur le mot ; tout en reconnaissant le bien-fondé des deux positions, l'auteur justifie le principe des manuels continentaux de la façon suivante :

 

- « accorder la primauté au mot, c'est aussi partir des particularités du chinois » ;

- « c'est tenir pleinement compte des particularités de l'enseignement du chinois langue seconde »

- « seul le mot peut être l'unité la plus fondamentale d'une langue en matière de construction de phrases ; si les étudiants étrangers n'étudient que les caractères, ils ne peuvent connaître les mots, seule unité fondamentale pouvant avoir une utilisation libre dans la construction des phrases » (ibid. p. 66).

 

Ces propos appellent, nous semble-t-il, les remarques suivantes :

 

l) comment ne pas relever ici ce que l'on est bien obligé d'appeler une distorsion de la réalité : le principe de la primauté au caractère (zi benwei) réduit à la négation du mot, ce qui est en aucun cas le fait des manuels occidentaux de chinois. En revanche, l'auteur de ces lignes ne mentionne pas le fait que les manuels de Chine continentale sont conçus sur le mode de la primauté au mot (ci benwei).

 

2) si primauté devait être accordée au mot dans l'enseignement du chinois, on voit difficilement en quoi il y aurait là un respect particulier des particularités du chinois,

 

3) ou encore un respect particulier des particularités de l'enseignement du chinois langue seconde (la présence du pinyin sous les caractères des premières leçons des manuels continentaux concernés est justifiée de la même façon).

 

Il est d'autre part de règle de présenter, de catégoriser les manuels de chinois langue seconde parus en Chine continentale de la façon suivante : 

 

- des années 50 aux années 70 : c'est la période des manuels reposant avant tout sur les impératifs de l'apprentissage des structures linguistiques (jiegoufa).

- les années 80 : aux préoccupations de structure vient s'associer celles de l'approche fonctionnelle (gongnengfa).

- à partir des années 90, l'union des approches structurelle, fonctionnelle et culturelle est censée caractériser les manuels de cette dernière période.

 

La primauté au signe ou au mot n'est à l'évidence pas considérée ici comme un critère pertinent en matière d'analyse des manuels de chinois langue étrangère. Nous poserons au contraire l'idée que, considérant les particularités du chinois, les choix indiqués précédemment sont des options secondaires au regard de la ligne de démarcation la plus fondamentale, à savoir la gestion du « conflit territorial » entre l'oral et l'écrit en chinois.

 

Nous proposerons donc la classification suivante :

 

-  l'option annexionniste : c'est le rapport de type fusionnel, l'unité pédagogico-linguistique est le seul mot, c'est une logique lexicale, la sélection du vocabulaire est fonction des thèmes abordés et tient en principe compte de la fréquence du mot : manuels de Chine continentale ;

 

- la tendance à l'autonomie, le couple vivant sous un toit séparé (语文分居),  l'unité pédagogico-linguistique est le caractère, lequel est la pièce maîtresse du dispositif didactique, c'est une logique sémantique, l'attention portée à la grammatologie pédagogique, ainsi que les deux types de versions sont alors possibles, fréquence du signe, la sélection du vocabulaire est un compromis entre les impératifs de fréquence des caractères de celle des mots, arborescence et principe boule de neige : De Francis, Bellassen/Zhang ;

 

- la tendance à l'indépendance, l'unité pédagogico-linguistique est le composant graphique avant même le caractère, c'est une logique graphique, le choix du vocabulaire relègue au second plan la fréquence du mot, fréquence du composant : Nicolas Lyssenko & Delphine Weulersse, Miroslav Novak & Jaromir Vochala (1968) (enseigner l'écriture chinoise comme un pur système de formes, à double articulation (traits/éléments; éléments/caractères), indépendamment de toute considérations phoniques, sémantiques ou étymologiques).

 

 

Projetées sur l'enseignement du chinois proprement dit, la prise en compte ou la non-prise en compte du conflit écrit-oral en chinois dessine deux options pédagogiques majeures

 

- un enseignement conjoint, superposé de l'écrit et de l'oral, calqué de fait sur l'enseignement des autres langues étrangères : la même matière sert, au niveau élémentaire, au travail de lecture, de compréhension écrite ET d'expression orale. Or, cette démarche pédagogique est déterminée dans les autres langues par la nature phonétique de leur écriture, calque de la langue orale et par la correspondance terme à terme entre le mot de la langue écrite et celui de la langue orale.

 

Une telle pédagogie appliquée au chinois n'est bénéfique ni à l'enseignement de la langue orale, extraordinairement ralentie par l'apprentissage et la mémorisation d'une écriture par essence décalée par rapport à l'oral, ni à l'enseignement de la langue écrite, dont l'unité pédagogico-linguistique fondamentale est le caractère et non le mot.

 

 - un enseignement disjoint : la pédagogie du chinois ne peut être en accord avec les lois inhérentes à cette langue qu'au prix d'une disjonction, voire d'une rupture de cordon ombilical entre l'enseignement de l'écrit et celui de l'oral,

l) celui-ci recourant à des transcriptions phonétiques et aux matériaux multimédias ; 

2) celui-là se concentrant alors sur le caractère, sa structure graphique, sa combinatoire et sa polysémie. En tenant compte tout à la fois de la fréquence, de la combinabilité et des familles de composants, les caractères doivent alors être appris de façon concentrée, la voie à suivre la plus radicale pouvant être de type :

 « le vif zéphyr jubile sur les kumquats du clown gracieux »

 

L'orientation alors suivie, la solution du conflit serait un divorce à l'amiable entre le 语 et le . Pour conclure, nous évoquerons un discours tenu depuis quelques dizaines d'années sur la « difficulté d'apprentissage du chinois » et la position prise en réaction sur la « facilité du chinois », pour dire qu'à nos yeux aucune de ces positions n'est pertinente : la question est plutôt de savoir si enseigner le chinois à l'aide d'un mode d'enseignement adapté aux langues à écriture phonétique ne conduit pas à rendre le chinois plus compliqué. C'est par l'affirmative que nous répondrons, quant à nous, à cette question.

 

Références bibliographiques

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ZHU Dexi 朱德熙, 1985, 《语法答问》 [Questions et réponses sur la grammaire], 商务印书馆北京.

27 mai 2025
Un article de référence revisité : Trois questions à Joël Bellassen

Question 1

Bernard Allanic :  Tu dressais dans cette communication de 1996 un constat très sévère sur la situation de l’enseignement du chinois langue étrangère, en allant même jusqu’à parler d’un état d’arriération. Trente ans après, ce constat est-il encore d’actualité ? La situation en France est-elle différente de celle du reste du monde ? 

 

Joël Bellassen : Dans le constat que tu évoques, je pense avoir été aidé par ma formation en philosophie entreprise juste après le baccalauréat, parallèlement à mon autre spécialité (le chinois), Parce qu’à l’époque les professeurs que j’ai eus mettaient beaucoup en avant l’épistémologie, et notamment la philosophie des sciences, en référence notamment aux idées du philosophe français Gaston Bachelard (1884-1962). C'est vraiment cela qui m'a beaucoup aidé ces dernières dizaines d'années pour réfléchir, par exemple à la question telle que tu la soulèves. C'est à dire que l'évolution de la science n'est pas un long fleuve tranquille. Il y a des obstacles de connaissance, des obstacles épistémologiques comme Bachelard les appelle. Et il se trouve que pour un certain nombre de raisons que j'ai détaillées ici et là, notre discipline, notre science, au sens épistémologique du terme, se trouve dans un tourbillon d'obstacles épistémologiques. D'où le fait que personnellement, je ne retire rien à au terme d'arriération, mais bien sûr de façon tout à fait distanciée, sans aucune coloration polémique. 

 

La situation en France est-elle différente ? Comme tu le sais, de façon très objective, il y a lieu de souligner et de rappeler que le berceau de l'enseignement institutionnel du chinois se trouve en France – avec Abel Rémusat, premier professeur titulaire d'une chaire de chinois en 1814 – et historiquement dans un contexte où on se focalisait déjà sur l'écriture en France. J'aime à rappeler que Champollion et Rémusat se connaissaient. Quand il croisait au Collège de France son collègue Champollion, Rémusat disait « Bonjour l'Égyptien, ça va ? », et Champollion lui répondait « Bonjour le Chinois ». Ils se connaissaient et ils étaient surtout issu du même contexte historique et intellectuel. Alors il y a ce contexte de l'orientalisme, mais il y a aussi cette focalisation sur la question de l'écriture. Voilà, ça c'est une première chose.

 

Et donc la France, je crois qu'il convient de le rappeler, a été pionnière dans tous les domaines ou presque tous les domaines de l'enseignement du chinois. Alors rapidement : d’Abel Rémusat, premier professeur titulaire d'une chaire de chinois (1814), au département de chinois des Langues’O (1843) ; puis deux choses fondamentales, au plan de la disciplinarisation : la première implantation effective, institutionnelle, du chinois dans le secondaire (1958). Et nous savons, toi et moi, que qualitativement, c'est quelque chose de fondamental. Pour des raisons simples à expliquer : il y a le baccalauréat, donc il faut définir des objectifs pédagogiques, une progression pédagogique, etc. Et petit à petit, on s'est orienté vers des programmes, etc. 

 

Donc, l'implantation du chinois dans le secondaire, c'est la France. L'intégration du chinois au baccalauréat, en 1968 si mes informations sont bonnes, c'est en France. Création d'un concours de recrutement de professeurs fonctionnaires certifiés pour la première fois dans le monde, c'est encore en France ;  et on voit ce que ça va générer en termes de formation initiale et plus tard de formation continue. Et enfin, at last but not least, conception et publication d'un véritable programme scolaire de chinois au sens didactique du terme. Un programme de langue vivante. Et j'en termine, Bernard, et ce n'est pas rien : première thèse de doctorat explicitement inscrite dans le champ de la didactique du chinois langue seconde… par un certain Bernard Allanic. Thèse qui de plus porte sur l'écriture chinoise, cette singularité unique et forte par rapport à la didactique des langues étrangères en général. Voilà, tout ceci pour moi, ce sont des jalons importants qui structurent, qui construisent une discipline. 

 

Alors je dois rendre à César ce qui appartient à la Chine. Il y a eu une contribution considérable de la Chine en termes de disciplinarisation. Mais pas du tout dans ce domaine, c'est plutôt au plan théorique. Au plan théorique, parce qu’heureusement il y a des équipes assez considérables de chercheurs, d'universitaires. Alors, nous le savons, certains prenant appui sur la linguistique et sur l'étude de la langue en tant que telle, donc avec des effets, des liens franchement parfois assez distendus par rapport à l'enseignement, mais d'autres, très tôt, se sont positionnés par rapport à l’enseignement du chinois langue étrangère. Ainsi, Lü Bisong, par exemple, qui a été fondateur de la discipline académique du chinois langue seconde et président de l’Association mondiale de l’enseignement du chinois de nombreuses années. Lü Bisong a ceci de grand que dès le début, il se positionne du point de vue de l'enseignement et de la transmission des connaissances et de la transposition des connaissances. Contrairement à d'autres, il ne s'est pas positionné dans l'étude pure de la langue et dans la linguistique et identifie dès 1978 l’enseignement du chinois langue étrangère comme une discipline en tant que telle à construire. Il y a là bien sûr hommage à rendre à la Chine, mais pour tout le reste, la France est totalement pionnière et on va même voir que la Chine est dans une situation paradoxale, c'est à dire des équipes assez consistante et considérable de chercheurs, d'universitaires, mais d'une certaine manière, colosse aux pieds d'argile. C'est à dire? Il lui manque… j'allais dire l'essentiel, c'est à dire le terrain, la pratique effective de la transmission du chinois. Il faut le dire sans aucun esprit polémique : où sont en Chine les collégiens, les lycéens de chinois langue étrangère? Pour des raisons objectives, évidentes, il n'y en a pas, sauf quelques lycées internationaux, mais avec lesquels nos collègues chinois n'ont jamais eu de relations … Donc pas de programme au sens scolaire du terme et pas tout ce que j'ai indiqué. 

 

Et il y a eu enfin un jalon fondateur avec la publication d'un premier seuil de caractères, le SMIC (« Seuil minimal et indispensable de caractères ») au milieu des années 80. Je dis bien « seuil » et non « liste », même si j’ai moi-même utilisé le terme « liste » pendant un moment. Et d'ailleurs j'ai même fait une communication il y a un an sur la différence entre liste de caractères et seuil de caractères, car il y a des listes qui sont des seuils, mais il y a des listes qui ne sont que des listes. Je crois que c'est assez intéressant au plan historique, de distinguer les deux, pour y voir plus clair. Donc le SMIC au milieu des années 80 et à la fin des années 80, un second seuil conçu sur les mêmes critères qui va générer une méthode de chinois, la mienne en l'occurrence. Et là, les choses étaient signées, la route, l'orientation était quelque part tracée. C'est à dire que si on veut respecter ce que j'appelle le « principe d'économie » appliquée au chinois – toutes les autres langues dans leur enseignement appliquent le principe d'économie, mais les autres langues n'ont pas cette unité qu’est le caractère –, il faut arriver au plus vite à un seuil, selon des critères bien sûr évidents de fréquence et de combinatoire.

 

Je tiens, dans ce rappel historique à tirer un grand coup de chapeau à quelqu'un qui ne relève pas lui du contexte français, et qui est méconnu dans le milieu scientifique chinois (cela commence à aller un petit peu mieux – j’y suis peut-être un petit peu pour quelque chose, avec une communication que j’ai faite à l’Université de Hawaï–), c'est John de Francis. Dans la conception de sa série de manuels de chinois, John de Francis n'a pas publié de seuil, mais il est explicitement dit dans l'introduction de ses séries de manuels, qu'il se fonde sur des recherches en matière de fréquence sinographique, que toi, Bernard, tu connais très bien, avec les travaux de Chen Heqin, etc. J'ai publié l'an dernier pour la première fois un article en chinois qui est une façon de saluer toute la contribution considérable de John de Francis dans le domaine de la didactique du chinois et notamment dans son option dualiste. Malheureusement, à l’exception des introductions circonstanciées de ses manuels, De Francis n'a pas développé de réflexion à travers des articles académiques à ce sujet, il a écrit sur d'autres choses, sur le pinyin, etc., un dictionnaire et tous ses manuels, mais malheureusement il n'a pas systématisé, théorisé, mais il suffit de parcourir ses manuels, les orientations sont claires il est ce que l'on appelle un « zi ben wei » dans la confection de manuels. Je dirai juste ceci : chaque leçon de John de Francis commence par dix caractères. Relevons en premier que ce sont des caractères, Et prêtons attention au fait qu’il y en a dix, pas neuf, pas onze. Autrement dit, : il a une attention aux caractères comme unité, j'insiste : comme unité didactique. Avec bien sûr une attention portée à la mémorisation, etc. Il y a bien donc un microclimat français en termes de structuration disciplinaire et de surcroît indépendante de la puissance éditoriale chinoise.

 

Question 2

Bernard Allanic : Dans un article récent publié en Chine en 2017 je crois, tu as inventé le concept de « phénomène du Mont Lu » (庐山现象), pour tenter d’expliquer ou comprendre pourquoi la majorité des méthodes et manuels d’enseignement de CLE publiés en Chine n’attribuaient toujours pas au sinogramme la place qu’ils méritent, en continuant d’accorder la primauté au mot. Peux-tu nous en parler ?

 

Joël Bellassen : Cette question renvoie, à mon avis, à plusieurs strates, à plusieurs couches d'obstacles épistémologiques au sens bachelardien. Premièrement, en plan large, il y a un contexte chinois marqué idéologiquement par le mouvement du 4 mai 1919, dont on sait que ça a été la vraie révolution culturelle, qui a attaqué frontalement la « boutique confucéenne ». Mais pour ce qui nous intéresse, nous, elle a attaqué frontalement, malheureusement, la « boutique sinographique », la boutique des caractères chinois, avec une violence inouïe, avec des flots de politisation de cette question de l'écriture, rendant cette question totalement subjective et politique, là où il aurait fallu faire preuve, bien sûr, de plus de discernement. L'écriture, on le sait, a été accusée en 1919  de tous les maux : cause de l'arriération de la Chine, avec une vision darwiniste, marxiste, darwino-marxiste de l'histoire de l'évolution de l'écriture. Et même avec des racines qui vont chercher du côté de Jean-Jacques Rousseau pour qui il y avait des stades de l'écriture : aux peuples barbares, l'écriture pictographique ; aux peuples policés, l'écriture alphabétique, etc. Deuxièmement, un autre obstacle épistémologique qui découle en partie du précédent, c'est cette propension à l'imitation par la Chine de ce qui relève des pays dits « développés ». On connaît bien ce phénomène. Et donc la fondation de la discipline du chinois langue étrangère en Chine s'est faite dans un total mimétisme avec les langues telles que l'anglais ou le français, surtout l’anglais, et avec un total mimétisme avec la didactique des langues étrangères dominantes. Et donc, quand, au milieu du XXᵉ siècle, les premiers manuels chinois apparaissent pour faire face à la venue des étudiants étrangers en Chine, peut-être pas en masse, mais en nombre, venant des pays socialistes, des pays africains, il y a alors un modèle qui se crée, qui, comme nous le savons, ne laisse aucune place au caractère. Quand je dis : « aucune », c’est qualitativement aucune place. Il y a en Chine une situation paradoxale : les caractères chinois brillent partout de leur éclat, par leur dimension culturelle et esthétique. Mais en même temps, dans le domaine du CLE, du chinois langue étrangère, il existe de façon diffuse une sorte de complexe d'infériorité. Je veux dire par là qu’on remet toujours sur la table la question sempiternelle de la difficulté des caractères. On ne parle des caractères que pour dire qu'ils sont difficiles. Ce qui, je l'ai toujours pensé, est une formulation non scientifique et quelque peu réductrice d’aborder les choses. Pour des raisons évidentes, c'est que les mathématiques, pour toi Bernard, c'est peut-être facile, et pour moi c'est peut-être un cauchemar. Donc ce n'est pas aussi simple que cela, le facteur individuel du profil de l’apprenant, de son degré de motivation, est aussi à prendre en compte. Et puis on sait que la méthode de transmission peut jouer sur le fait d'accroître la difficulté ou le fait de la réduire. Parce que finalement, il n'y a que ça qui compte, que ce soit en chinois ou en mathématiques, c'est comment réduire la difficulté ! 

 

Ensuite, un autre obstacle, rédhibitoire en matière scientifique, c'est l'état relatif d’enfermement et de sinocentrisme, comme je l'ai dit, qui a cours en Chine depuis longtemps. Mettons les pieds dans le plat ! A-t-on remarqué que l'Association mondiale de l'enseignement du chinois et le Hanban ont totalement ignoré un anniversaire majeur de la discipline en 2014 ?  Un bicentenaire… de quoi ? Tout simplement de la première chaire de chinois dans le monde, Abel Rémusat, c’est-à-dire de la naissance même de notre discipline ! Alors j'espère que, au tricentenaire, au plan international, on la fêtera ! Mais voilà, formé à la philosophie, je sais que derrière ces phénomènes apparemment anecdotiques, il y a nécessairement quelque chose. C'est ce que j'appelle, faute de mieux, un certain sinocentrisme. Abel Rémusat n'est pas, effectivement, chinois. La communauté internationale de l'enseignement du chinois est passée à côté de cela. Alors, le Collège de France, bien sûr, a fait un colloque. Il a invité des collègues chinois, dont Zhang Xiping. Mais voilà. Et cette auto-centration, que j'appelle le « phénomène Lushan », que tu as rappelé, s’est accentuée par le fait que, tout naturellement, la Chine méconnaît la réalité du chinois langue étrangère, comme nous on le connaît en France, c’est-à-dire : l'enseignement du chinois en primaire, c'est comment ? Dans le secondaire ? Collège, lycée ? C'est comment ? Dans le supérieur ? Dans le supérieur même, la Chine n'est en contact direct qu'avec une petite partie de ce qu'est la réalité de l'enseignement supérieur. Toi, tu es au fait du Lansad, de la spécificité de cette formation et de ses différences avec un parcours de chinois comme spécialité, etc. En ce qui nous concerne, nous avons baigné dans un tel contexte, que ce soit en tant qu'étudiant et ensuite en tant qu'enseignant.

 

Et enfin c'est une vision moniste – encore un terme de philosophie –, c'est à dire l'idée selon laquelle il n'y a qu'une seule substance, qui s'est diffusée en Chine et au-delà, vu la puissance éditoriale de la Chine, avec la reconnaissance d'une seule unité didactique minimale, le mot, exactement comme l'anglais, le français, l'espagnol, l'arabe. Le mot…et rien d'autre. Et le caractère, eh bien, il a été relégué exactement au même statut que les lettres d'un alphabet, c'est à dire à un rôle instrumental de notation de la langue orale. Si on regarde les manuels publiés en Chine, des années 50 jusqu'à aujourd'hui, dans la quasi-totalité d’entre eux, le traitement qu’ils font des caractères est un traitement de simple notation. C'est relégué, comme tu le sais, à la fin d'une leçon, avec l'ordre des traits…dans le meilleur des cas ! Parce que parfois il n'y a même pas l'ordre des traits. Le plus souvent, il n'y a pas d'indications des composants et de leurs noms, etc. 

 

Question 3

Bernard Allanic : Justement Joël, après tant d’années passées à défendre en Chine l’approche didactique du dualisme, donnant autant de place à l’enseignement de la langue graphique qu’à celle de la langue orale, n’es-tu pas parfois un peu, voire très las, et totalement découragé, de voir que la situation n’évolue pas tellement ? 

 

Joël Bellassen : Merci de ta question parce que finalement, oui, il faut en parler, il faut en parler. Alors est ce que je ne suis pas las, découragé de voir que la situation n'évolue pas tellement ? À court terme, peut-être. Mais à long terme, je pense que non. Pourquoi ? Parce que, bien des disciplines, beaucoup de sciences, ont eu à aller à contre-courant. Face à ce que je j'appelle encore des obstacles épistémologiques. Mais finalement, l'idée que le soleil tournait autour de la Terre, et bien finalement cette idée a été battue en brèche. L’épistémologie, c’est cela, l'histoire des sciences, des obstacles à la connaissance, etc. Et finalement, aujourd'hui, tous les obstacles parce qu'il y en a eu, dans les autres sciences, ont été levés. Alors ta question c'est : mais pourquoi chez nous ce n'est toujours pas levé? Je dirais tout d’abord qu’on est une discipline jeune…Mais bien entendu, il n'y a pas que ça. Dans mes très nombreuses interventions académiques en Chine, sache, Bernard, qu'il y a toujours dans l'assistance, toujours sans exception, des personnes qui se lèvent au moment des questions, qui prennent la parole pour me dire qu'ils sont en plein accord sur cette question cruciale, fondamentale, avec mon point de vue. Certains collègues chinois, il y a déjà un certain temps, m'ont dit : vous savez, le nombre de personnes dans notre milieu de spécialistes, le nombre de personnes en accord avec ce qu'on appelle le « zi ben wei », avec vos idées, est beaucoup plus élevé que vous ne le croyez ! Et certains disent que ce point de vue est peut-être de fait majoritaire, je dis bien de fait. Et là je vais te citer en chinois ce que m'a dit un jour un éminent collègue. Il m'a dit « mais tu sais, en Chine il y a un contexte… ». Quand on dit contexte, on comprend, il est à la fois culturel, systémique, et aussi vertical, n’est-ce pas ? J'ai dit : mais alors, mais si les gens sont en accord, pourquoi ne le disent-ils pas ?  Et ce collègue m'a dit : «因为怕得罪前辈 !   Yīnwei pà dézuì qián bèi (pour ne pas heurter les aînés).  Ils ont peur de faire du tort à d’éminents anciens spécialistes, qui ont simplement peut-être mis leur nom sur des manuels. Culturellement, ça ne se fait pas. 

 

Alors, il n'y a pas uniquement le culturel. La discipline du chinois en Chine n'est pas indépendante de la sphère gouvernementale. Et donc, ceci explique cela. Si on veut avoir des crédits, ce genre de choses, on n'exprime pas nécessairement son avis. Mais bon, comme je le répète, on m'a dit : vous savez, les gens qui sont d'accord avec cette position sont plus nombreux que vous ne le pensez, dans la réalité.  Oui, parce que ça ne résiste pas, Bernard, à une objection élémentaire. L'écriture chinoise, est-elle phonétique ou sémantique ? Est-elle logographique ou phonographique ? Globalement, tout le monde est d'accord pour dire qu'elle est sémantique, logographique. Eh bien, ouvrons n'importe quel manuel chinois. Et là, on voit qu'il n'y a aucun reflet de ceci… mais aucun ! C'est-à-dire, par exemple : on a Zhongguo, présenté comme signifiant « Chine » sans dire, comme si c'était classé confidentiel-défense, ce qu'est zhong et ce qu'est guo. Autrement dit : on passe à la trappe l'aspect logographique. C'est énorme ! 

 

Mais, alors, puisque ta question porte aussi là-dessus, est-ce qu'il n'y a pas des raisons d'optimisme ? Alors, oui, c'est le moment de rappeler que Lü Bisong, qui n’est rien de moins que le père scientifique de la discipline, et que Lu Jianming, qui n'est rien de moins que le numéro un de la linguistique chinoise, aujourd'hui, âgé de 89 ans, ces deux éminentes personnalités dans notre discipline ont publiquement dit leur accord et leur soutien avec ce que j'appelle maintenant le dualisme, le primat du caractère, le dualisme du chinois dans son enseignement. Voilà, alors ça, oui, ce sont des raisons d’espérer, parce qu’eux se sont démarqués.

 

13 juin 2025
Test marge

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